La politique de la chancelière allemande sur les réfugiés et le danger croissant d’une guerre avec la Russie

Dans sa déclaration de politique générale, mercredi 17 février, la chancelière allemande Angela Merkel a réitéré les positions bien connues de sa politique au sujet des réfugiés. Dans son discours elle a précisé son intention de renforcer l’étroite collaboration de l’Allemagne avec la Turquie. Cette dernière pousse à une confrontation avec la Russie en Syrie.

Au début de son allocution, Merkel a souligné que sa politique visait à « réduire de manière significative » le nombre des réfugiés arrivant en Europe. Cette politique anti-réfugiés comportait trois aspects. D’abord la lutte contre les causes de la fuite; cela exigeait des initiatives politiques et diplomatiques intensives et une aide financière pour soutenir les camps de réfugiés dans le voisinage immédiat de la guerre et de la crise.

Deuxièmement, une protection efficace des frontières extérieures de l’UE avant qu’on puisse s’attaquer au troisième aspect, la répartition des réfugiés dans l’Union européenne. Les divisions existant sur ce dernier point parmi les classes dirigeantes européennes sont bien connues. Sur les plus de 160.000 réfugiés sur lesquels l’UE s’était mis d’accord à l’automne dernier pour les répartir par quotas, moins d’un millier ont été acceptés. La question des quotas de réfugiés ne sera pas un thème central du sommet a dit Merkel. La question la plus importante était la protection efficace des frontières extérieures de l’UE.

Sur ce point, Merkel a répondu à ses critiques, qui exigent la fermeture des frontières nationales en affirmant qu’une telle décision éliminerait la libre circulation dans l’espace Schengen et par là même l’un des plus principaux fondements et acquis du marché unique européen.

Comme alternative, elle a proposé de « sécuriser les frontières extérieures de l’Europe, » ce qui ne signifie rien d’autre que l’extension de la forteresse Europe. L’UE devait apprendre à protéger efficacement ses frontières extérieures, a-t-elle dit, ajoutant, « Et donc, je préconise le recours à l’OTAN en mer Egée. » Des unités de l’OTAN doivent être déployées pour soutenir Frontex et l’armée turque « dans la lutte contre les personnes qui font de la contrebande » et pour sécuriser la frontière maritime entre la Grèce et la Turquie.

Par conséquent, selon Merkel, la coopération avec le gouvernement turc était essentielle. Bien des progrès avaient déjà été accomplis lors de pourparlers avec le premier ministre Ahmet Davutoglu et le président Recep Tayip Erdogan, a-t-elle dit. Une fois que les trois milliards d’euros promis à la Turquie seraient débloqués par l’Union européenne, la construction de grands camps d’internement pour les réfugiés avancerait à la frontière syrienne.

Mais la véritable signification de la coopération avec le gouvernement turc est ressortie clairement lorsque Merkel a réitéré son appel en faveur d’une zone d’exclusion aérienne en Syrie, une exigence formulée à maintes reprises par le gouvernement turc et dont les conséquences militaires sont lourdes et explosives.

Merkel n’a toutefois pas parlé en ces termes. Elle a au contraire décrit la zone d’exclusion aérienne comme un corridor humanitaire pour protéger les réfugiés. « Ce serait un signe de bonne volonté, » a-t-elle dit. « Quoi qu’il en soit, ceci rassurerait beaucoup, beaucoup de gens si personne ne devait plus périr à Alep et dans les territoires menant à la frontière turque, et si plus personne ne devait plus tenter de fuir. »

Mais tout ceci n’est que poudre aux yeux. L’exigence d’une zone d’exclusion aérienne en Syrie n’a rien à voir avec une préoccupation humanitaire ou une aide aux réfugiés. Elle fait partie de l’intensification de la confrontation militaire entre la Turquie, qui est membre de l’OTAN, et la Russie.

Depuis l’intervention militaire de la Russie en Syrie en septembre dernier, le gouvernement Erdogan réagit de plus en plus agressivement. En novembre, lorsqu’un avion de combat russe avait prétendument violé durant quelques secondes l’espace aérien turc, il fut abattu par l’aviation turque.

A présent, les troupes gouvernementales syriennes ont lancé, avec l’appui d’avions de chasse russes, une offensive militaire dans la bataille pour Alep. Elles ont repris des territoires détenus par les rebelles tout en coupant aussi une importante voie d’approvisionnement des milices islamistes.

Le gouvernement américain et ses alliés dans la région, en particulier l’Arabie saoudite et la Turquie, ont réagi avec colère. Les ‘rebelles’, parmi lesquels se trouvent des milices islamistes telles le Front al Nusra, jouent un rôle prépondérant et sont soutenus depuis longtemps par Ankara, Riyad et Washington qui leur fournissent armes, argent et aide logistique.

Une zone d’exclusion aérienne doit créer les conditions qui permettrait de nouveau à la Turquie de développer son soutien militaire et logistique aux milices islamistes anti-Assad. De plus, Ankara veut empêcher à tout prix que, grâce à la protection des forces aériennes russes, les Kurdes syriens ne conquièrent des territoires le long de la frontière turque. Ce qui pourrait très vite entraîner la formation d’un Etat kurde.

Afin d’y parer, le gouvernement turc a intensifié ses attaques et est en train de préparer le déploiement de troupes terrestres. Une telle escalade est susceptible de mener rapidement à une confrontation directe entre l’OTAN et la Russie.

Quelques heures seulement avant le discours de la chancelière, le journal Süddeutsche Zeitung avait publié un article intitulé, « Lorsque la guerre froide devient chaude. » L’article débutait ainsi, « L’OTAN contre la Russie – une telle escalade n’est plus impensable. » L’épreuve de force était depuis longtemps devenue un bras de fer dans lequel l’escalade ne dépendait plus seulement de décisions prises aux Etats-Unis ou en Russie, écrivait le journal. Les deux pays étaient en train de surestimer leur capacité à contrôler la situation.

L’article décrivait ensuite les événements survenus ces dernières semaines en Syrie et posait la question de ce qui se passerait en cas de nouveau conflit entre troupes turques et russes, et dans le cas où la Turquie réclamerait le soutien de l’OTAN? « Refuser à Ankara un soutien de l’OTAN en vertu de la clause de défense mutuelle signifierait la fin de l’alliance: l’invoquer signifierait la fin de la guerre froide et le début d’une guerre chaude. »

Il y a presque cinq ans jour pour jour, le conseil de sécurité de l’ONU avait approuvé la zone d’exclusion aérienne au-dessus de la Libye. On l’avait justifié au nom de la protection des civils et du soutien des insurgés contre un régime dictatorial. En réalité, elle avait marqué le début d’une terrible campagne de bombardement des puissances impérialistes, qui avait tué un nombre incalculable de personnes et détruit l’Etat libyen, produisant d’interminables flots de réfugiés.

A l’époque, l’Allemagne n’était pas impliquée et avait perçu l’intervention occidentale comme une grave erreur de politique étrangère. Depuis, Berlin a opéré dans sa politique étrangère un fort virage à droite et décidé de mener une politique de grande puissance et de réarmement militaire.

La collaboration de Merkel avec le gouvernement turc et son soutien à une zone d’exclusion aérienne en Syrie sont lourds de conséquences. Ils soulignent la volonté du gouvernement allemand d’intensifier fortement sa participation à la guerre en Syrie et ailleurs.

(Article original paru le 19 février 2016)

 

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