Perspectives

Le pillage des retraites des travailleurs américains

Derrière le dos de la population américaine, le gouvernement Obama met en place l'une des mesures les plus importantes de son mandat: l'éviscération des prestations sociales pour des centaines de milliers de travailleurs retraités, couvertes par les fonds de pension interentreprises. Cette attaque des retraites du secteur privé coïncide avec un assaut croissant sur les retraites des travailleurs du secteur public. 

Lundi à Detroit et mardi à Minneapolis, Kenneth Feinberg, homme de main de longue date de Washington, a tenu les audiences publiques finales avant la mise en œuvre des plans de réduction de 50 à 75 pour cent des retraites pour 270.000 conducteurs de camions, manutentionnaires et autres bénéficiaires retraités de la caisse de retraite Central States Teamsters. 

Les retraités doivent recevoir les bulletins du vote sur la réduction des prestations; ils seront comptés puis totalement ignorés puisque Feinberg, nommé «maître spécial» du Département du Trésor pour les fonds de retraite interentreprises par le gouvernement, décide de manière unilatérale d’imposer les réductions. 

En tant que « maître spécial » de l'administration Obama pour la compensation des dirigeants des banques et autres entreprises renflouées avec l'argent des contribuables en 2008-2009, Feinberg avait donné son feu vert aux bonus de plusieurs millions de dollars dans des entreprises comme l’assureur géant American International Group (AIG), renfloué par le gouvernement à hauteur de 185 milliards de dollars. 

A la réunion de Detroit, des centaines de camionneurs long-courriers retraités, de manutentionnaires et de livreurs avaient rempli la salle pour protester contre ces coupes brutales. L'un après l'autre, les mains tremblantes, beaucoup avec des cannes, d'autres en larmes, les travailleurs se sont levés pour expliquer comment leur vie et celle de leur famille allaient être détruites par ces coupes. 

Les travailleurs semblaient en état de choc. Comment cela pouvait-il se produire? N'avaient-ils pas travaillé toute leur vie, passé des années seuls sur la route, brisé leur corps, raté des centaines d'événements familiaux, eu des mariages tendus ou ruinés, pour un peu de sécurité dans leur retraite? Ces garanties n'étaient-elles pas contractuelles? Des institutions comme le gouvernement, les tribunaux, les syndicats, la presse n'existaient-elles pas pour empêcher de telles injustices? 

L'histoire, écrivait le révolutionnaire russe Léon Trotsky, n’est pas bienveillante, elle est cruelle. Comme une belle-mère acariâtre, elle donne des coups en guise de leçons, pas des caresses. 

Ces travailleurs ont en effet été informés par des lettres reçues pendant les fêtes de Noël, que les institutions politiques officielles avaient conspiré pour leur voler tout repos dans les dernières années de leur vie. Aux yeux de la société capitaliste, ils n’ont pas de droits, leur vie ne signifie rien et ils devraient juste se dépêcher de mourir. 

La campagne de démantèlement des retraites fait partie d'un complot visant à détruire tous les acquis sociaux gagnés par les travailleurs au cours de plus d'un siècle de lutte – une conspiration qui s’étend, au-delà de l'Amérique, au monde entier. 

C’est une contre-révolution sociale, en cours depuis des décennies. Elle a vu la destruction de millions d’emplois manufacturiers américains, des coupes claires dans les salaires, la remise en cause des avantages pour la santé, l'éviscération des programmes sociaux, un assaut frontal sur l'éducation publique, et le remplacement de pensions à prestations définies par des systèmes liés à la bourse.

En conséquence de cette offensive de la classe dirigeante, la part de la population des États-Unis qui reçoit une pension à prestations déterminées a chuté de près de 30 pour cent en 1980 à moins de 3 pour cent aujourd'hui.

La contre-révolution sociale s’est intensifiée depuis la crise financière de 2008-2009. Afin de payer pour le sauvetage des banques, pour lequel on a remis quelque sept mille milliards de dollars à Wall Street, le gouvernement Obama, avec l'appui et la collaboration des syndicats, a intensifié l’attaque du niveau de vie de la classe ouvrière.

Ce fut d'abord la restructuration en 2009 de l'industrie automobile. Les salaires ont été réduits de moitié pour les nouveaux embauchés et la part des travailleurs soumis à ce régime étendue de 20 à 40 pour cent chez GM et Chrysler, alors même que les prestations de santé des retraités étaient attaquées.

En 2010, le président Obama a promulgué la loi sur les Soins abordables, qui crée un mécanisme permettant aux entreprises d’éliminer leur prise en charge des travailleurs dans les plans de santé privés existants en échange de régimes privés de basse qualité et à coût élevé vendus par les compagnies d’assurance. Il a introduit une pénalité forte, appelée couramment la «taxe Cadillac », sur les plans de santé de meilleure qualité.

Ensuite, dans une série d'accords avec les républicains du Congrès, la Maison Blanche a réduit à plusieurs reprises les aides sociales vitales comme les bons alimentaires et les allocations chômage et a rogné les programmes sociaux de base d’assurance maladie et de retraites.

Puis vint la faillite de Detroit en 2013-2014, dans laquelle un administrateur d'urgence non élu a utilisé les tribunaux de commerce, en collaboration avec le gouvernement Obama, pour créer un précédent et saccager les pensions des retraités du secteur public, pourtant protégées par la Constitution. Cela a ouvert les vannes au démantèlement des retraites dans des Etats de tout le pays, comme en Illinois, en Californie, en Pennsylvanie et à New York.

À la fin de 2014, le gouvernement Obama a collaboré avec le Congrès, les grandes entreprises et les syndicats pour adopter la Loi sur la Réforme des retraites interentreprises, qui a ouvert la porte à la réduction radicale des retraites pour environ un million de retraités, à commencer par les bénéficiaires de la Caisse centrale de retraite des Camionneurs.

Chacune de ces initiatives a été promue par les syndicats qui ont soutenu la faillite organisée et la restructuration de GM et Chrysler d’Obama, ont servi de claque pour la loi sur les Soins abordables, soutenu le « plan d’ajustement » dans la faillite de Detroit, et ont collaboré dans les coulisses pour garantir l’adoption de la loi sur la réduction des retraites interentreprises.

Dans les années qui ont suivi le krach financier de 2008, le masque de la société capitaliste est tombé: l'essence des rapports sociaux est de plus en plus apparu à la surface.

Le capitalisme se montre comme une dictature de facto des grandes entreprises et des banques. Personne ne doit se faire d'illusions: alors que les États-Unis sont au bord de la récession, la classe dirigeante va redoubler d’efforts pour consolider sa propre richesse sociale au détriment des travailleurs.

La campagne pour réduire la classe ouvrière à la misère ne finira pas tant que les travailleurs n’organiseront pas une contre-offensive qui corresponde à la détermination et à la conscience avec laquelle la classe dirigeante défend ses intérêts, et les dépasse.

Il y a des signes de combativité croissante dans la classe ouvrière. Les votes des contrats dans l’automobile l'an dernier ont été marqués par l'opposition de masse à l'alliance du syndicat UAW et des entreprises. A Detroit, les enseignants et les étudiants ont lancé des grèves-maladie massives cette année. À Flint, Michigan, les travailleurs ont organisé protestations et manifestations contre l'empoisonnement au plomb de l'eau de la ville. Le large soutien au candidat démocrate Bernie Sanders, qui se prétend faussement socialiste, est une expression pâle et déformée d’un sentiment de plus en plus anticapitaliste dans la population.

La tâche essentielle est d'unifier les luttes croissantes des travailleurs et des jeunes et de les armer avec une perspective politique capable de s'opposer aux diktats de l'aristocratie financière. Les travailleurs doivent se rendre compte que toutes les institutions officielles, y compris les deux principaux partis politiques, les tribunaux et les médias, sont des instruments de l'oligarchie financière et qu'elles sont dressées contre eux.

Il ne s’agit pas de faire appel aux politiciens ou aux tribunaux, mais plutôt de mobiliser indépendamment l'immense puissance sociale de la classe ouvrière, tant aux États-Unis qu’ailleurs dans le monde.

Aucun des droits sociaux de la classe ouvrière ne peut être défendu en dehors de la construction d'un mouvement socialiste de la classe ouvrière visant à renverser le système capitaliste et à réorganiser la société pour satisfaire les besoins sociaux et non les profits privés.

(Article paru en anglais le 10 février 2016)

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