La Banque des règlements internationaux met en garde contre une accumulation de la dette mondiale

Le conseil d’administration de la Banque centrale européenne (BCE) se réunira jeudi; on s’attend à ce qu’il étende son programme d’assouplissement quantitatif en élargissant son programme d’achats d’actifs et éventuellement en abaissant encore plus les taux d’intérêt, en territoire négatif.

Mais il y a des doutes croissants quant à l’efficacité de ces politiques alors que la déflation continue dans la zone euro et qu’on s’inquiète du danger d’un retour de manivelle.

Depuis que le président de la BCE, Mario Draghi, a promis en 2012 de « faire tout ce qu’il fallait, » la BCE a injecté des milliards d’euros dans le système financier sans réussir à arrêter la déflation ou à stimuler l’économie réelle. Son seul impact fut d’alimenter davantage la spéculation sur les marchés financiers.

Dans une note publiée lundi, l’économiste en chef de la Société Générale, Michala Marcussen, a résumé le sentiment général sur les marchés financiers. Elle s’attendait à une nouvelle baisse du taux de dépôt et à une extension des opérations de refinancement à long terme ; elle ajoutait: « Notre principale préoccupation est que, tandis que la banque continue à signaler sa volonté de faire ce qu’il faut, sa capacité à fournir une nouvelle relance significative est de plus en plus limitée. »

Il y a des préoccupations croissantes que non seulement cette politique est inefficace, mais qu’elle crée aussi les conditions d’une nouvelle crise financière. Dans sa revue trimestrielle publiée dimanche, la Banque des règlements internationaux (BRI), parfois appelée la banque des banquiers centraux, mais dont le rôle principal est un service d’information, note que le « calme précaire », qu’il avait pointé en décembre, avait « cédé la place à la turbulence. »

Présentant la revue, Claudio Borio, chef de la recherche économique et monétaire, a déclaré qu’avant, la BRI soulignait que « la tension entre la tranquillité des marchés et des vulnérabilités économiques sous-jacentes devait se résoudre à un moment donné. Au dernier trimestre, nous avons été témoins du début de cette résolution. »

Borio a ensuite examiné les deux développements les plus significatifs des trois derniers mois. D’abord, il y a eu la turbulence des marchés boursiers en janvier où les actions ont connu un de leurs pires départs d’une année de l’histoire. Cela a été suivi par un « épisode peut-être plus bref, mais plus inquiétant dans la première moitié de février » qui portait sur la « santé des banques mondiales » dont la valorisation est tombée à un nouveau plancher. La « principale source d’angoisse », surtout après la décision de la Banque du Japon de passer à des taux d’intérêt négatifs fin janvier, était « la vision d’un avenir avec des taux d’intérêt encore plus bas, bien au-delà de l’horizon, qui paralyserait les marges des banques, la rentabilité et la résilience. »

Un document de recherche publié comme partie de la revue avertit qu’il était difficile de prédire comment les individus et les institutions financières allaient réagir si les taux d’intérêt restaient au-dessous de zéro pendant une longue période de temps et si les mécanismes par lesquels les mouvements des banques centrales sont transmis au reste de l’économie « continuaient à fonctionner comme par le passé. »

Jusque là, les banques n’avaient pas transmis à leurs clients le coût de ces taux d’intérêt négatifs qu’on leur facture pour l’argent déposé à la banque centrale; ce qu’en seraient les conséquences à long terme n’est pas du tout clair. « La viabilité du modèle d’affaires des banques en tant qu’intermédiaires financiers peut être remise en cause, » dit la revue.

Indiquant un « certain sang-froid » revenu sur les marchés depuis les turbulences des deux premiers mois de l’année, Borio a dit qu’il était nécessaire de regarder, au-delà des oscillations entre espoir et peur des marchés, les « forces profondes à l’œuvre. »

« Une fois que nous faisons cela, les indices ne sont pas difficiles à découvrir. Dans le contexte d’une baisse à long terme exacerbée par la crise de la croissance de la productivité, l’encours de la dette mondiale a continué d’augmenter et la marge de manœuvre de la politique a continué de se réduire », a-t-il dit.

Autrement dit, alors que la dette a continué de monter, l’économie sous-jacente a augmenté très lentement et dans certains cas, stagné. Dans la zone euro, par exemple, la production n’est pas encore revenue aux niveaux atteints avant la crise de 2008, tandis que l’investissement, qui est la force motrice de la croissance réelle, reste à environ 25 pour cent en-dessous de sa tendance précédente.

Selon Borio, la dette est à l’origine des événements de 2008 et elle a continué de croître depuis, par rapport au produit intérieur brut mondial. La dette libellée en dollars dans les économies de marché émergentes a joué un rôle de premier plan; elle a été multipliée par deux depuis 2009 et atteint quelque 3,3 billions dollars. Il y avait à présent des preuves qu’elle se réduisait avec l’émergence d’un « cercle vicieux inquiétant entre l’appréciation du dollar américain et le resserrement des conditions financières pour les entreprises ou les pays ayant beaucoup emprunté en dollars. »

Résumant l’importance des turbulences des marchés financiers, il dit « il se peut que nous ne voyions pas des éclairs isolés dans un ciel bleu, mais plutôt les signes d’une tempête qui se développe depuis longtemps. » Le rapport indique que « les banques centrales ont été surchargées beaucoup trop longtemps » et que la confiance des institutions financières « dans les pouvoirs de guérison des banques centrales, probablement pour la première fois, est défaillante. »

La dernière analyse de la BRI, un critique de longue date de la logique de l’assouplissement quantitatif — que les problèmes résultant de la croissance de la dette pouvaient être atténués en créant encore plus de dettes — souligne la faillite de toute la politique bourgeoise face à l’aggravation des contradictions de l’ordre capitaliste mondial.

Le programme d’assouplissement quantitatif n’a rien fait pour favoriser la croissance économique réelle. Sa principale conséquence a été un transfert de richesses incalculables dans les mains des élites financières parasitaires, une aggravation des conditions sociales de la classe ouvrière et une extension de l’inégalité sociale, alors qu’en même temps il créait les conditions d’une nouvelle crise financière.

Mais le programme avancé par ses détracteurs dans la BRI — la purge de la dette et l’intensification des attaques contre la classe ouvrière par de prétendues « réformes structurelles » — ne revient à rien moins qu’une ordonnance pour un retour aux conditions des années 1930.

Cette réalité politique et économique a des implications profondes pour la classe ouvrière internationale. Elle montre de plus en plus qu’elle est en face non pas d’un ralentissement conjoncturel, après lequel il y aurait d’une façon ou d’une autre une « reprise », mais de l’effondrement de l’ensemble de l’ordre économique capitaliste, par rapport auquel elle doit avancer sa propre solution basée sur une lutte politique active pour un programme socialiste international.

(Article paru d’abord en anglais le 8 mars 2016)

 

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