Perspectives

La violence, le racisme et la campagne de Trump

La série d'incidents violents survenus aux meetings du milliardaire Donald Trump est un avertissement du caractère de plus en plus fascisant de la campagne du favori à la nomination républicaine.

Mercredi 9 mars, lors d'un meeting près de Fayetteville, en Caroline du Nord, un partisan de Trump a attaqué un homme noir de 26 ans, Rakeem Jones, alors qu'il était escorté hors du Crown Coliseum par des adjoints au sheriff du comté de Cumberland. Jones faisait partie d'un petit groupe de manifestants anti-Trump présents à l'événement.

L'agresseur de 78 ans, John McGraw, a donné au visage de Jones un coup de poing qui l’a envoyé à terre. McGraw s’est ensuite vanté de l'attaque à la télévision, «et comment que j’ai aimé!» a-t-il dit, ajoutant: « Il le méritait. La prochaine fois qu’on le verra, il se peut qu’on doive le tuer… Il pourrait faire partie d’une organisation terroriste. » McGraw a ensuite été arrêté et inculpé pour voies de fait.

Vendredi 11 mars, lors d'une conférence de presse à Palm Beach, en Floride, Trump a défendu l'agression, rejetant la faute sur la victime. « C’était un type sans retenue, très bruyant, et puis il a commencé à agresser le public », a déclaré le magnat milliardaire de l’immobilier. « Et tu sais quoi? Le public le lui a rendu. Et j’ai pensé que c’était très, très approprié. »

Cette agression a été suivie plus tard par des échauffourées entre partisans de Trump et quelques-uns des milliers de manifestants anti-Trump présents à l’un de ses meetings à Chicago vendredi soir, qui fut annulé à la dernière minute. Au cours d’interviews plus tard dans la soirée, Trump a déclaré que si le rassemblement avait eu lieu, « quelqu'un aurait pu être tué. »

Plus tôt dans la semaine, lorsque Michelle Fields, une journaliste pour le site web de droite Breitbart.com, avait tenté d'aborder Trump après un meeting en Floride, son directeur de campagne Corey Lewandowski l’avait saisie par le bras et poussée, une agression dont furent témoins plusieurs journalistes .

Ces incidents suivent une tendance où les opposants présents aux meetings de Trump, ou à l’extérieur, sont agressés par ses partisans, dont des groupes de suprémacistes blancs, et son service d’ordre, ou expulsés manu militari par la police. La semaine dernière, une jeune femme noire portant une pancarte anti-Trump à un meeting a été agressée physiquement et couverte d’insultes racistes et sexistes. Sa pancarte a été déchirée et on l’expulsa de force.

Trump a incité à maintes reprises à la violence contre ceux qui protestaient contre lui; cela a commencé à l' automne dernier, mais c’est devenu de plus en plus fréquent depuis le début de la primaire:

• Le 1er février, il a dit à un rassemblement à Cedar Rapids, Iowa, « Si vous voyez quelqu'un prêt à lancer une tomate, cassez-lui la figure s’il vous plait! Sérieusement. D’accord? Il faut lui casser la gueule – je vous le promets, je payerai les frais de justice. »

• Le 22 février, lors d'un meeting à Las Vegas, Trump a attaqué un protestataire, disant: « J’aimerais le frapper au visage, croyez-moi. » Il a ajouté: «Vous savez ce qu'on faisait à des types comme ça quand ils étaient dans un endroit comme ça? On les sortait sur un brancard.»

• Le 9 mars, à Fayetteville, il a commenté ainsi les interventions de manifestants, « Ecoutez, dans le bon vieux temps ça n’arrivait pas, parce qu'ils se faisaient tabasser. Nous sommes devenus très faibles. » Peu de temps après avait lieu l'agression contre ​​Rakeem Jones.

Lors du débat présidentiel républicain jeudi 10 mars en Floride, le présentateur de CNN Jake Tapper a cité ces déclarations et demandé à Trump s’il avait fait quoi que ce soit pour «créer un ton » qui encourageait la violence.

Trump a carrément nié l'évidence. Il a donné la faute aux victimes et déclaré que ceux qui protestaient avaient provoqué ses partisans. « Les gens s’amènent avec une passion et un amour formidables pour le pays, et quand ils voient des gens protester, dans certains cas ... Ils ont la colère, » a-t-il déclaré.

Aucun des trois autres rivaux de Trump, les sénateur Ted Cruz du Texas et Marco Rubio de Floride, ou le gouverneur de l’Ohio John Kasich, n’a parlé de la question. Au contraire, Cruz a exprimé sa sympathie avec « la frustration qui déborde» et Rubio a déclaré que les agents de police « méritent notre respect », bien que la question ait trait aux attaques de nervis de droite.

Ces faux-fuyants ont caractérisé l'approche de Cruz, Rubio et Kasich du débat en général, où ils ont peu fait pour contester le statut de favori à l'investiture républicaine de Trump. On n’a pas répété des déclarations précédentes que le démagogue milliardaire était inapte à exercer des fonctions ou représentait une menace pour la démocratie.

La campagne de Trump représente quelque chose de nouveau et de dangereux dans la vie politique américaine. Ayant depuis des décennies basé ses opérations politiques sur les appels au racisme, au chauvinisme national, au militarisme et à l’intégrisme chrétien, le Parti républicain est en train d’accoucher d’un mouvement de caractère fasciste.

Le fait que Trump rompe dans certains cas avec le programme traditionnel de l'extrême-droite – sur le commerce, par exemple ou en s’opposant aux coupes sociales – ne contredisent pas cette évaluation. Les mouvements fascistes, par opposition à la droite traditionnelle, prétendent défendre les intérêts sociaux des travailleurs, mais sur la base d'un nationalisme extrême.

Ce qui permet à la démagogie sociale de Trump et à ses appels à certaines couches de travailleurs blancs de paraitre crédible c’est ce qui se fait passer pour la «gauche» dans l'establishment politique, le Parti démocrate et sa périphérie, qui n'ont que mépris pour la classe ouvrière. C’est le gouvernement Obama qui a conduit l’assaut sur les salaires dans toute l'industrie en soutenant une réduction de salaire de 50 pour cent des nouveaux embauchés de l’industrie automobile comme composante-clé de son plan de sauvetage. Il a proposé une série de coupes des prestations sociales et de l'assurance-maladie dans des accords budgétaires avec les républicains au Congrès ou pour financer sa contre-réforme des soins de santé.

Le candidat démocrate de « gauche » à la présidentielle, Bernie Sanders, concentre à présent ses appels aux travailleurs sur une attaque de NAFTA (Accord de libre-échange nord-américain) et du Partenariat Trans-Pacifique, accusant les autres pays et non les entreprises américaines d’être responsables de l'effondrement de l’emploi et des salaires. Cela aide à légitimer le nationalisme économique réactionnaire qui est le fonds de commerce de Trump. Suite à la victoire inattendue de Sanders dans le Michigan, où la démagogie anti-commerce a joué un rôle important, la favorite démocrate Clinton a adopté un discours similaire.

La politique américaine a un caractère de plus en plus ouvertement violent, produit de près de quatre décennies de réaction politique et de guerre. Trump n’est pas sorti de nulle part. Tous les crimes commis à l’intérieur comme à l'extérieur – torture, invasions illégales, occupations, assassinats par drone, violence policière et répression intérieure – ont des conséquences politiques. Dans les 15 ans de la soi-disant « guerre contre le terrorisme, » la guerre permanente est devenue un trait fondamental de la vie américaine. Le militarisme à l'étranger et la réaction sociale à l’intérieur, marquée par des niveaux d'inégalité économique sans précédent, ont généré une violence croissante de l'Etat.

Tout cela s’est fait sous l’autorité des deux partis de la grande entreprise. Le Parti républicain s’est spécialisé dans la promotion de l’arriération idéologique sous toutes ses formes. Le Parti démocrate, tout en appliquant foncièrement la même politique que les républicains, a favorisé la politique identitaire basée sur la race, le genre et l'orientation sexuelle afin d’obscurcir la fracture fondamentale de la société en classes, semer la division dans la classe ouvrière et bloquer l'émergence d’un mouvement politique indépendant des travailleurs.

A présent, tout le système politique est en proie à une profonde crise de légitimité. Des masses de gens sont aliénés et dégoûtés par ces deux partis. Cela prend initialement une forme de gauche, quoique déformée, dans le large soutien à la campagne d’un Sanders qui se dit socialiste et une forme de droite dans le soutien à Trump.

Quel que soit l’issue du processus des primaires, qui reste incertain pour les deux partis de la grande entreprise, le système américain bipartite officiel va vers des bouleversements politiques sans précédent. Il y a là à l’oeuvre une dynamique de classe puissante. Les deux partis contrôlés par le patronat virent à droite, tandis que de larges masses de travailleurs et de jeunes vont à gauche.

Il faut considérer le racisme et les tendances fascistes de la campagne de Trump comme un sérieux avertissement. On ne peut s’y opposer que par le développement d'un mouvement unifié de la classe ouvrière qui doit se libérer du système bipartite tout entier et prendre le chemin de la lutte politique indépendante et révolutionnaire pour le socialisme.

(article paru en anglais le 12 mars 2016)

 

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