Les Verts allemands négocient pour former une coalition avec la CDU de droite

Les Verts et l’Union chrétienne-démocrate (CDU) sont en train de négocier les termes d’un gouvernement de coalition dans le Land du Bade-Wurtemberg. Après que les Verts ont gagné 30,3 pour cent des voix dans les élections régionales de mars, un résultat sans précédent, le chef des Verts Winfried Kretschmann dirige maintenant les négociations.

Kretschmann, le seul ministre-président d’un Land du Parti vert dans l’histoire allemande, a mené une coalition avec le Parti social-démocrate (SPD) du Bade-Wurtemberg pour les cinq dernières années. Cependant, la coalition vert-rouge ne peut pas continuer parce que le SPD a subi de lourdes pertes aux urnes. Avec seulement 12,7 pour cent des voix, il est tombé derrière le parti raciste et anti-immigrant de l’Alternative pour l’Allemagne (Afd), qui a reçu 15 pour cent.

Le chef régional de la CDU, Thomas Strobl, dirige les négociations de son parti. Après avoir été à la tête de l'État depuis 58 ans, la CDU a subi de lourdes pertes en mars, glissant à son plus bas niveau de 27 pour cent et reculant derrière les Verts.

Thomas Strobl est le beau-fils du ministre fédéral des Finances, Wolfgang Schäuble, et travaille en étroite collaboration avec lui.

Kretschmann et Strobl disent que les négociations de coalition vont bien. Les deux s'efforcent de calmer les critiques dans leurs propres rangs.

Une grande partie de l’opposition vient du côté de la CDU, qui dans le Bade-Wurtemberg est extrêmement conservatrice. Dans les années qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale, il a été construit et façonné par deux anciens membres du parti nazi, Kurt Georg Kiesinger, qui devint plus tard le chancelier, et l’ancien juge nazi Hans Filbinger.

Filbinger, qui a démissionné en tant que ministre-président en 1978 après les révélations sur son passé nazi, fondit alors le Weikersheim Student Center droitiste qu’il a dirigé jusqu’en 1997. Plusieurs hommes politiques réactionnaires des Lands, y compris Lothar Späth, Erwin Teufel et Gunther Öttinger, faisaient partie de ce milieu. Filbinger est toujours officiellement un président d’honneur de la CDU dans le Bade-Wurtemberg, de même que Lothar Späth, qui est mort il y a peu de temps.

Une alliance avec les Verts au niveau d’un Land est un nouveau départ pour la CDU, dont beaucoup de responsables ne sont pas disposés à accepter le rôle de partenaire junior dans une coalition avec les Verts. Cependant, Strobl et Schäuble travaillent à convaincre leurs camarades de parti d'appuyer le projet.

Ce qui est en cours de négociation à Stuttgart est bien plus qu’un simple expédient temporaire à un résultat d’élection de Land compliqué. Le ministre des Finances Schäuble a l’élection nationale de cette année en vue. Des sondages de tout le pays prédisent des pertes spectaculaires pour le SPD qui le placeraient sous la barre des 20 pour cent. Compte tenu de cette situation, Schäuble se prépare à la collaboration avec les Verts au niveau national.

Schäuble est un stratège politique expérimenté pour l’élite dirigeante. Depuis 1972, il a été membre du Parlement et est maintenant le représentant qui y siège depuis le plus longtemps. Il a été président du parti, président de la fraction parlementaire, chef du bureau du chancelier et ministre de l’Intérieur. Il a négocié l’Accord d’unification allemande.

Il voit la collaboration entre la CDU et les Verts comme un moyen de répondre à la montée des crises économiques et politiques: la crise de l’euro, la crise des réfugiés, la pauvreté croissante et l’opposition populaire au militarisme et à la guerre.

Kretschmann et le Parti vert se présentent en tant que partenaires fiables de gouvernement. Depuis les cinq dernières années, en tant que ministre-président vert, il manœuvre pour une alliance avec la CDU et tente de présenter les Verts comme de meilleurs conservateurs, plus modernes. Lors de l’élection, il a encensé la chancelière Angela Merkel et a souligné qu’il soutenait beaucoup plus fermement sa politique sur les réfugiés que de nombreux membres de la CDU.

Kretschmann fait appel aux électeurs conservateurs lors de manifestations électorales quand il dit que, comme fervent catholique, il prie tous les jours que Merkel ne plie pas sous les critiques de sa politique européenne au sein de son propre parti. Kretschmann sait que, dès le début, l’objectif de la politique des réfugiés de Merkel était de sceller les frontières extérieures de l’Europe et de restreindre le droit d’asile. En 2014, il a voté au Conseil fédéral pour le resserrement des restrictions sur le droit d’asile.

L’hebdomadaire autrefois libéral, Die Zeit, a réagi avec enthousiasme à la «fermeté du Moïse de Sigmaringen».

Kretschmann est en train de guider les discussions de coalition avec un œil fixé sur le ministre des Finances Schäuble, qui tire les ficelles dans les coulisses. Ce n'est pas une coïncidence s’il a discuté de la politique économique et financière au début des négociations et a annoncé la semaine dernière que le premier point d’accord concerne le maintien strict du plafond de la dette.

En alliance avec la CDU, les Verts prennent l’initiative de former un gouvernement de droite. Cela en dit beaucoup sur le caractère et l’évolution du parti, qui a vu le jour il y a 35 ans à partir d’une variété d’initiatives citoyennes contre l’énergie atomique, le stationnement d’armes américaines et la destruction de l’environnement.

Kretschmann personnifie l’évolution de toute une couche d’anciens radicaux petits-bourgeois qui sont aujourd’hui politiquement indiscernables des politiciens extrêmement conservateurs de l’Union chrétienne-démocrate/Union chrétienne sociale (CDU/CSU). Il est l’un des membres fondateurs des Verts, dont nombre d'entre eux sont descendus dans les rues à la fin des années 1960 pour protester contre la crise de l’éducation, la guerre du Vietnam et la puanteur de l’ère Adenauer. Au début des années 1970, il est devenu membre d’un groupe maoïste appelé la Fédération communiste d’Allemagne de l’Ouest (KBW).

Ce qui l’a attiré aux Verts était son rejet de la classe ouvrière et la lutte des classes. Les autres membres fondateurs des Verts ont également apporté la conception de la classe ouvrière comme une masse apathique qui avait été intégrée au système et qui était imprégnée d’idées réactionnaires.

Cette animosité envers la classe ouvrière a constitué la base idéologique pour un mouvement rapide des Verts vers la droite. En 1998, ils sont entrés au pouvoir en tant que partenaires juniors au sein du gouvernement de coalition fédérale du SPD du chancelier Gerhard Schröder, où ils ont soutenu les lois Hartz anti-ouvrières et ont convenu de la participation de l’armée allemande dans la guerre de l’OTAN contre la Yougoslavie. Depuis lors, les Verts ont été les promoteurs sans faille du militarisme allemand. Ils exigent la construction d’une armée professionnelle et appellent à de nouveaux déploiements militaires à l’étranger.

Kretschmann a joué un rôle important dans ce développement, d’abord comme secrétaire dans le gouvernement du Land de la Hesse, sous l’ancien ministre de l’Environnement Joschka Fischer, puis en tant que membre du conseil du parti, et ensuite en tant que ministre-président à Stuttgart. Maintenant, il met l’accent sur ses relations étroites et amicales avec les grandes entreprises, surtout Daimler et Porsche, les fabricants d’automobiles dans le Bade-Wurtemberg, et avec les associations professionnelles.

«Je visite une usine tous les 14 jours en moyenne», a déclaré Kretschmann dans une interview avec le Süddeutsche Zeitung mardi dernier. Il a dit que les employeurs avaient un grand respect pour les Verts, qui depuis de nombreuses années ont travaillé non pas contre les sociétés, mais avec elles. Déclarant que de nombreuses sociétés cherchent de leur propre initiative «à développer des produits qui réduisent la consommation de ressources et d'énergie», a ajouté Kretschmann: «Nous sommes un parti des affaires d’un caractère moderne.»

Dans la même interview, il a exigé que les «vieux tabous des verts» soient abandonnés. Entre autres choses, cela concerne la séparation de la direction de la fraction parlementaire de la direction du parti. Dans les premières années, cela était acceptable pour des raisons féministes, dit-il. Aujourd’hui, cependant, une «relation droite-gauche» s'était développée. Il fallait mettre un terme à ce «partenariat réaliste-gauche», a déclaré Kretschmann, ne laissant aucun doute qu’il parlait en faveur d'une option «réaliste» de droite.

Le ministre-président vert a souligné qu’il n’avait pas été intimidé par ceux qui l'accusent d'avoir des vues conservatrices, puisque «la préservation de la création a toujours été une question conservatrice».

(Article paru d’abord en anglais le 25 avril 2016)

Loading