Comment aller de l’avant dans la lutte contre la loi-travail en France?

Le gouvernement PS (Parti socialiste) en France a imposé sa loi-travail sans vote parlementaire jeudi, à l'aide des pouvoirs anti-démocratiques conférés par l'article 49-3 de la Constitution. Cette imposition d'une loi contestée par les trois quarts de la population française, malgré deux mois de manifestations de masse des travailleurs et des jeunes, marque un tournant politique. Elle ouvre une nouvelle étape dans la lutte contre l'austérité en France et en Europe. 

Les mobilisations contre la loi ont commencé en mars, lorsque les syndicats ouvriers, lycéens et étudiants liés au PS ont commencé à appeler à des manifestations. Ces organisations avaient soutenu l'élection du candidat PS à la présidentielle François Hollande en 2012; elles n'ont organisé aucune opposition à ses mesures d'austérité une fois qu’il fut au pouvoir. Elles sentaient cependant une profonde opposition en France à l'introduction du type de conditions d'exploitation introduites en Allemagne par les lois Hartz IV. La loi El Khomri augmente le temps de travail, élimine la sécurité de l'emploi et permet aux syndicats de négocier des contrats violant le Code du travail. 

La réponse à la loi a révélé une large radicalisation de la population, en particulier chez les lycéens et les étudiants. Une génération entière de la jeunesse ouvrière dans toute l'Europe, qui a grandi dans la période d'effondrement du capitalisme après le krach de Wall Street en 2008, est entrée dans un conflit de plus en plus direct avec le système économique et social. Lorsque les syndicats ont timidement appelé des sections des travailleurs à soutenir les jeunes manifestants, plus d'un million de personnes sont descendues dans la rue. 

De plus en plus faible et isolé, le PS a réagi en lançant une répression farouche des manifestations par des hordes de policiers anti-émeute, mobilisés dans le cadre de l'Etat d'urgence. Mais ces actions n’ont pas réussi à arrêter les manifestations et sous la pression croissante des banques et de l'UE pour qu'il impose la mesure, le PS a quand même mis le projet de loi au vote. 

Bien que tous les partis à l'Assemblée nationale soutiennent l'austérité, le premier ministre Manuel Valls n'a pu trouver une majorité de députés osant voter la loi. À la fin, Valls a eu recours à l'article 49-3, qu'il avait déjà utilisé l'an dernier pour imposer la loi de déréglementation du ministre de l’Économie Emmanuel Macron, pour faire passer la loi en force, obligeant les députés, s'ils voulaient bloquer la loi, à voter une motion de censure pour faire tomber le gouvernement. 

La faction des soi-disant « frondeurs » du PS, proche d’organisations pseudo de gauche comme le Front de gauche et le Nouveau Parti anticapitaliste (NPA), qui a émis quelques critiques impotentes de la politique d’austérité du PS, aurait dû soutenir la motion de censure pour qu'elle passe. Arguant que le passage de la motion de censure porterait au pouvoir Les Républicains (LR) de droite, sur un programme d'austérité plus draconien encore, les « frondeurs » ont voté contre, entraînant le passage de la loi El Khomri. 

Le passage de cette loi réactionnaire doit être l'occasion pour les travailleurs et les jeunes de tirer des conclusions politiques fondamentales sur la façon dont peut être stoppé l'assaut mené par les banques dans toute l'Europe. 

La classe ouvrière passe au plan international par des expériences politiques critiques. Les protestations de cette semaine en France ont eu lieu alors que des masses de travailleurs faisaient grève deux jours en Grèce contre la réduction des retraites et les mesures d'austérité de l'UE imposées par un gouvernement Syriza ( « Coalition de la gauche radicale ») ayant totalement trahi ses promesses de mettre fin à l’austérité de l'UE. 

Comme la Grèce et les autres pays d’Europe, la France est en proie à une profonde crise du régime bourgeois. La classe dirigeante, face à une crise économique croissante et prônant la hausse des dépenses militaires alors que les principaux pouvoirs européens se livrent une course aux armements, n'entend pas faire de concessions. Alors même que le PS suit la voie de l'anéantissement électoral déjà prise par le PASOK en Grèce, il impose des lois au mépris de la colère populaire montante. 

Il n'y a pas d’issue à cette crise à travers les institutions étatiques existantes. Les alternatives au PS au sein de l'establishment politique sont LR, dont le favori actuel, Alain Juppé, propose un programme libéral d'allongement du temps de travail, de réductions importantes des impôts des grandes entreprises, et le Front national néo-fasciste (FN). Ces deux partis, si élus, intensifieront les attaques contre les travailleurs et les jeunes. 

Quant aux institutions qui ont permis de canaliser la lutte des classes depuis la formation du PS dans les années qui ont suivi grève générale de 1968, elles se sont révélées totalement en banqueroute. Les occupations de places publiques du mouvement #NuitDebout en grande partie encadré par des forces proches du NPA et du Front de gauche, alliés de Syriza, qui ont aussi appelé à voter Hollande en 2012, sont un cul-de-sac politique. En faisant la promotion du nationalisme économique, elles empêchent l'unification dans toute l'Europe des ouvriers dans une lutte contre l'austérité. 

Les syndicats, menés par la Confédération générale du travail (CGT) stalinienne, s'opposent à la mobilisation de la classe ouvrière dans une lutte politique contre le gouvernement PS. Après le passage de la loi jeudi, le secrétaire général de la CGT Philippe Martinez s'est moqué des appels parmi les manifestants à une grève générale, déclarant, « Grève générale, ça ne veut rien dire en tant que tel. Même en 1968, la CGT n'a pas appelé à la grève générale ». 

En fait, si la classe ouvrière n'est pas intervenue plus tôt pour faire tomber le régime Hollande, c'est avant tout en raison du rôle de ces organisations, qui soutiennent le PS, un parti bourgeois réactionnaire, depuis 1968. 

La crise grandissante que confrontent la France et l'Europe ne peut être résolue en tentant de faire pression sur le PS et ses satellites politiques sur sa «gauche». Elle ne sera même pas résolue non plus par la seule expérience explosive d'une grève générale, comme en 1936 ou 1968 en France. La crise objective du capitalisme et la colère grandissante de la classe ouvrière européenne et internationale préparent effectivement l'éruption de grèves générales et de luttes ouvrières de masse. 

Mais comme l’a clairement montré la réponse autoritaire de la classe dirigeante française aux manifestations anti-Loi El Khomri, ces luttes ne feront que préparer le terrain d'une confrontation révolutionnaire avec les gouvernements, en France et en Europe. Les couches les plus conscientes et les plus avancées politiquement des travailleurs et des jeunes doivent donc se préparer non seulement aux luttes de masse qui vont éclater, mais encore à la révolution socialiste. 

Cela soulève la question la plus brûlante que confronte la classe ouvrière en France et à l'échelle internationale: la crise de la direction révolutionnaire et la nécessité de construire des partis trotskystes. La lutte contre la loi El Khomri a nettement montré qu'aucun parti de l'establishement ne peut ni ne veut parler au nom de la colère explosive qui se développe dans la classe ouvrière contre tout le système politique actuel. 

La fraude selon laquelle le socialisme serait représenté par le PS et ses satellites politiques staliniens et pseudo de gauche comme le NPA est chaque jour démasquée davantage. La radicalisation des travailleurs et le discrédit de ce qui depuis des décennies se fait passer pour la « gauche » en France, créent les conditions d'une véritable lutte pour le socialisme, c'est-à-dire une lutte révolutionnaire pour l'égalité sociale par la classe ouvrière internationale. Dans ces conditions, le Comité international de la Quatrième Internationale construit des sections à travers le continent afin de lutter pour les États socialistes unis d'Europe. 

(Article paru en anglais le 13 mai 2016)

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