Nuit debout, un ramassis de mouvements politiquement « récupérés » et anti-ouvriers

Depuis son lancement il y a un mois, il devient de plus en plus clair que le mouvement Nuit debout est une opération politique de secteurs de la petite-bourgeoisie alliées à la pseudo gauche et aux syndicats. Il est destiné à canaliser la colère des jeunes qui entrent en lutte contre la loi El Khomri, et les récupérer autant que possible dans des organisations réactionnaires qui tournent autour le PS depuis des décennies. Ainsi, le PS espère bloquer le développement de tout mouvement d'opposition politique des jeunes et des travailleurs au gouvernement Hollande et à sa politique d'austérité. 

Loin d’être une expression spontanée d’opposition à la loi travail, Nuit debout fut initié par un groupe autour du cinéaste, figure médiatique et dirigeant du journal satirique Fakir, François Ruffin, fin février. Ce groupe a jugé opportun de l’accrocher, le 31 mars, à la plus forte manifestation contre la loi El-Khomri jusque-là. Le mouvement s’est dès le début donné comme inspirateur l’« économiste atterré » souverainiste Frédéric Lordon. 

Derrière une façade frauduleuse d’innocence politique, de refus de leaders et des partis, s’activent en fait une foule d’activistes du NPA, du Front de gauche, des syndicats et des Verts, tous liés de longue date au PS. Les directions de ces partis ont tous salué la création de Nuit debout. 

Exploitant l’hostilité de larges sections de la population vis-à-vis de l’attaque des droits démocratiques par l’élite politique, ce mouvement promeut le mythe d’une « démocratie directe » qui existerait en dehors des classes, et dont l’expression serait des « Assemblées générales » ouvertes et des « débats » où « la rue » peut s’exprimer. 

Cette ineptie étant devenue visible après quelques jours, Nuit debout s’est structuré en commissions où sont à présent discutés les projets tenant à cœur à ceux qui y donnent le ton. On y traite de la création de nouvelles institutions bourgeoises (citoyens constituants), de l’économie politique (souverainisme), de l’écologie et du climat, et du féminisme. 

Ruffin et Lordon ont déclaré qu'ils sont indifférents au résultat de la mobilisation des jeunes et des ouvriers contre la loi El-Khomri. Parlant de la loi, Lordon a dit lors d’un meeting à Tolbiac: « nous ne revendiquons nullement qu’elle soit modifiée ou réécrite, nous ne revendiquons pas de droits, nous ne revendiquons pas du tout d’ailleurs… » Le passage d’une telle loi aurait des conséquences désastreuses sur l’emploi, les salaires et les conditions de travail de la classe ouvrière.

Ruffin étale régulièrement son mépris de la classe ouvrière dans son journal satirique Fakir et défend expressément les intérêts de la petite bourgeoisie. Selon lui, celle-ci doit se servir de la classe ouvrière pour défendre ses intérêts spécifiques à l’intérieur du capitalisme. 

Il a expliqué ainsi son idée quelques semaines avant le début de Nuit debout: « Tant qu’on y va de manière séparée, on a de bonnes chances d’être foutus. L’une des leçons du film [‘Merci Patron!’] c’est de se dire que si on n’a pas la jonction de la petite bourgeoisie que j’incarne et des classes populaires incarnées par les Klur dans le film, on n’arrive pas à perturber [l’oligarque] Bernard Arnault ». 

Lordon, très applaudi dans les assemblées générales de Nuit debout, défend le nationalisme économique et insiste sur le rôle central de l’Etat bourgeois qu’il entend renforcer. Il est pour un retour à une politique protectionniste. Le Monde caractérise sa politique ainsi: « le défaut de l’Etat sur sa dette, la sortie de la monnaie unique, la prise de contrôle des banques en faillite par la puissance publique et la régulation des échanges avec l’étranger » une politique qui, comme il fut question en Grèce en 2015, ne peut être appliquée que par des mesures dictatoriales. Ces positions le rapprochent du souverainiste Jacques Sapir, qui avait en août dernier proposé une alliance entre « la gauche souverainiste » (entre autres Mélenchon et le Front de Gauche) et le FN. 

Ce n’est pas un hasard si on observe à Nuit debout la présence d’éléments et même de banderoles de l’extrême droite.

Une des tendances principales y est celle des « citoyens constituants » qui disposent de leur propre commission. Elle discute essentiellement d’un aménagement des institutions capitalistes. Dans une interview au Monde diplomatique, Xavi Lespinet, du journal de Barcelone El Critic et défenseur de la « citoyenneté constituante » dit: « nous estimons que le système institutionnel actuel, celui de la Ve République, est à bout de souffle, qu’aucune transformation significative du cadre ne peut s’y produire, et qu’il doit être entièrement refait, pour le redémocratiser, et pour rendre à nouveau possibles des différences politiques significatives... » 

Ces projets n’ont rien à voir avec une défense des droits démocratiques dans une lutte contre le capitalisme. Ils proposent simplement à l’oligarchie financière de faire quelques concessions aux couches de la petite bourgeoisie aisée qui estiment qu’elles ne profitent pas assez de l’exploitation de la classe ouvrière. La création d’un « nouveau cadre » servirait essentiellement à organiser un « meilleur » partage des profits. 

C’est là le dénominateur commun de tous les projets similaires, comme celui pour une VIe République de Jean-Luc Mélenchon ou celui d’Etienne Chouard, dont la proximité avec l’extrême droite est avérée. Ce dernier s’est récemment félicité sur son site Web des prises de positions de Lordon sur une « constituante ». 

Un autre pilier important de Nuit debout est la tendance qui s’intitule « grève générale », qui dispose également d’une commission place de la République. 

L’organisation ayant soulevé en premier l’idée de « grève générale » reprise par Nuit debout est le groupe moréniste publiant le site mal nommé « Révolution Permanente » et qui fonctionne comme tendance constituée au sein du NPA. Le groupe, que son ancien dirigeant latino-américain Nahuel Moreno intégra dans les années 1960 à la tendance internationale dont faisait aussi partie la LCR, le prédécesseur du NPA, était un défenseur de la révolution nationaliste petite-bourgeoise de Castro à Cuba. 

Il fonctionne depuis longtemps en Argentine comme une aile du mouvement péroniste nationaliste et populiste, construit autour de la personne de Juan Peron. 

Les forces censées organiser cette soi-disant « grève générale » sont des syndicats qui sont tous, y compris la CGT, en faveur d’une loi El-Khomri modifiée, sont en rapport et en négociation constants avec le gouvernement PS, et ont systématiquement refusé de mobiliser la classe ouvrière contre la répression brutale des jeunes travailleurs, lycéens et étudiants par la police. 

Il s’agit d’une grève « reconductible » et non pas d’une grève illimitée qui, elle, déboucherait sur un affrontement entre la classe ouvrière et le gouvernement. La grève reconductible est une grève d’un jour qui doit être revotée chaque jour et sur chaque lieu de travail, alors que gouvernement reste en place. Elle n’unit pas la classe ouvrière mais l’atomise. Elle garantit qu’aucune stratégie à long terme ne sera discutée pour s’opposer au gouvernement Hollande. 

Elle est conçue comme un moyen de pression des bureaucraties syndicales pour obtenir l’un ou l’autre aménagement de la loi sans toucher à l’essentiel. C’est la raison pour laquelle le dirigeant de la CGT, Philippe Martinez, l’a adoptée avec enthousiasme lors de son intervention à Nuit Debout le soir du 28 avril. 

Son sens est de donner un vernis de radicalisme ouvrier à des syndicats réactionnaires et d’internationalisme à des sections nationalistes de la petite bourgeoisie et de démoraliser le plus possible les ouvriers qui se mettent en grève.

Révolution permanente défend en outre spécifiquement le souverainiste Lordon, en soulevant l’épouvantail d’une prétendue opposition de l’establishment contre lui. Un article publié sur son site argumente en faveur du souverainisme et de l’Etat-nation bourgeois comme cadre de l’opposition « des opprimés et des pauvres ». 

Pour le gouvernement Hollande il est clair non seulement qu’aucun danger ne vient de Nuit Debout mais encore qu’il lui est utile car il crée un enthousiasme dans les médias susceptibles d’influencer des couches de la jeunesse. Il bloque une discussion fondamentale sur la nécessité du socialisme, la grève générale et la question du pouvoir. 

Dès le 14 avril Hollande disait: « Je trouve légitime que la jeunesse, aujourd’hui par rapport au monde tel qu’il est, même par rapport à la politique telle qu’elle est, veuille s’exprimer, veuille dire son mot… je ne vais pas me plaindre qu’une partie de la jeunesse veuille inventer le monde de demain…» Le 29 avril, Bernard Cazeneuve le ministre de l’Intérieur directement responsable des brutalités policières contre les manifestations étudiantes, l’avait défendu contre les demandes d’interdictions de LR et du FN. 

Si des groupes Nuit Debout se sont établis dans d’autres villes de France, des tentatives de faire prendre ce mouvement dans les banlieues ouvrières des grandes villes ont échoué devant la méfiance et même l’hostilité de la population. Le Monde a décrit à plusieurs reprises comment les activistes des syndicats et des partis de pseudo gauche ont essayé sans succès, malgré la promotion et le soutien matériel de municipalités, staliniennes entre autres, d’attirer des ouvriers et des jeunes. Le 14 avril, il titre : « Le mouvement Nuit debout peine à s’étendre en banlieue » et le 24 avril: « A Marseille, Nuit debout se heurte durement à la réalité des quartiers nord ». 

Dans un article en ligne du 1er mai, le magazine Le Point met le doigt sur le caractère réel de Nuit debout et des syndicats: « Jeudi, Philippe Martinez y est intervenu pour la première fois, pour évoquer la ‘convergence des luttes’, à un moment où 63 pour cent des Français estiment que ni Nuit debout, ni les syndicats, ni les partis ne sont ’en phase avec les salariés’, selon un sondage Odoxa publié vendredi. En revanche, sept Français sur dix considèrent que 'la lutte des classes est une réalité en France’». 

C'est cette réalité internationale, et non pas les clichés de la politique petite-bourgeoise véhiculés par Nuit debout, qui fait entrer en lutte des millions de jeunes et de travailleurs en France et à travers le monde. Leurs luttes contre l'ordre social discrédité défendu par l'Union européenne et en France par le PS et ses satellites politiques ne font que commencer. Elles tendent inévitablement vers un affrontement entre la classe ouvrière et l'oligarchie capitaliste, qui posera la question du pouvoir, et de la construction d'Etats ouvriers par la révolution socialiste internationale. 

Ces luttes ne pourront toutefois avancer qu'en enlevant la lutte des mains des syndicats, opposant au protectionnisme réactionnaire des « souverainistes » la perspective internationaliste des Etats-unis socialistes d'Europe, et en rompant décisivement avec la perspective nationaliste et petite bourgeoise des groupes liés à Nuit debout.

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