Perspectives

L'armée américaine revient au Vietnam

L'annonce par le président Barack Obama à Hanoi lundi que Washington levait un embargo sur les armes en place depuis quarante ans a été qualifié par les médias, et par Obama, d’étape décisive dans la « normalisation » des relations entre les Etats-Unis et le Vietnam.

Le processus est en cours depuis le rétablissement de relations diplomatiques en 1995. Dans le domaine militaire, les Etats-Unis ont convenu en 2007 de vendre du matériel militaire non létal au Vietnam et l'an dernier, de fournir cinq bateaux de patrouille non armés aux garde-côtes vietnamiens. 

Bien qu'il n'y ait pas de perspective immédiate d'accord massifs sur les armements entre Washington et Hanoi, le geste des États-Unis vise à placer le Vietnam plus fermement dans l'orbite de l'impérialisme américain et dans le « pivot » du gouvernement Obama « vers l'Asie. » Il cherche, au Vietnam comme au Japon, aux Philippines, à Singapour, en Australie et généralement en Asie, à forger une chaîne d'alliances et de bases militaires pour contenir et, finalement, faire la guerre à la Chine. Le Pentagone veut avoir le droit d'utiliser les mêmes bases que durant la guerre du Vietnam et d'y prépositionner du matériel militaire en vue d'un tel conflit. 

Ce qui a empêché cette « normalisation » jusqu'à présent est l'histoire sanglante de l’affrontement entre l'impérialisme américain et le Vietnam. Entre 1964 et 1975, l'armée américaine a déchaîné une violence de proportions quasi-génocidaires contre le peuple vietnamien. 

La guerre, qui a coûté la vie à au moins 3 millions de Vietnamiens, a vu le déploiement d'une armée américaine qui à son apogée comptait plus de 536.000 soldats, dont 58.000 moururent au Vietnam. Les avions militaires américains ont largué trois fois plus d’explosifs sur le Vietnam, le Laos et le Cambodge voisins que ceux largués sur toute l'Europe et sur l'Asie au cours de la Seconde Guerre mondiale. De plus, quelque 75 millions de litres de produits chimiques toxiques ont été déversés sur la campagne vietnamienne, rendant incultivables au moins 10 pour cent des terres et créant une crise sanitaire qui cause toujours des malformations cruelles chez les nouveau-nés vietnamiens.

Les hommes politiques tant démocrates que républicains et les chefs militaires de haut rang qui ont planifié et mené cette guerre d'agression dévastatrice sont responsables des pires crimes de guerre commis depuis le Troisième Reich hitlérien, bien qu’aucun d'entre eux, bien sûr, n'ait eu à comparaître devant un tribunal comme celui de Nuremberg. 

Malgré sa puissance militaire massive, l'impérialisme américain a subi une défaite humiliante, due en premier lieu à l’héroïsme et au sacrifice immenses du peuple vietnamien. Cela, combiné à l'hostilité écrasante à la guerre et à la croissance de la combativité dans la classe ouvrière américaine, a rendu impossible une poursuite de l'intervention impérialiste. 

L'image du sauve-qui-peut des derniers membres du personnel américain, hissés dans des hélicoptères depuis le toit de l'ambassade américaine à Saïgon en avril 1975, reste une manifestation indélébile de la crise et du déclin historique de l'impérialisme américain.

Que 41 ans plus tard, le Vietnam soit en passe d'être entraîné dans les préparatifs d'une guerre américaine contre la Chine encore plus sanglante et plus catastrophique, est une expression du sort tragique de la Révolution vietnamienne. 

L'évolution du Vietnam après cette guerre donne une justification historique – au négatif – de la théorie de la révolution permanente de Trotsky. La libération de ce pays opprimé de la domination impérialiste ne pouvait, en fin de compte, être accomplie que par une révolution de la classe ouvrière, entraînant derrière elle les masses opprimées. En outre, aucun des immenses problèmes économiques que confrontait le Vietnam brisé par la guerre ne pouvait être résolu sur la base d’une politique nationaliste comme celle avancée par la direction stalinienne du Parti communiste vietnamien (PCV). A une époque de domination de l'économie capitaliste mondiale sur toutes les économies nationales, la transformation socialiste, tout en commençant sur le sol national, ne pouvait être achevée que sur la scène internationale.

L'isolement de la révolution vietnamienne était une fonction non seulement de la perspective stalinienne du PCV, le « socialisme dans un seul pays », mais plus nettement encore de la trahison par les staliniens, les sociaux-démocrates et les syndicats d'une série de soulèvements révolutionnaires au plan international au cours de la même période. Des événements de Mai-juin 1968 en France à l'effondrement du régime fasciste de Franco en Espagne en 1975, ces dirigeants ont tous oeuvré pour empêcher la mobilisation révolutionnaire de la classe ouvrière et pour stabiliser à nouveau le régime capitaliste. 

Finalement, la bureaucratie stalinienne vietnamienne a pris la même route que son homologue chinoise, elle adopta en 1986 sa politique du Doi Moi (rénovation) et se donna pour objectif la création d'une « économie de marché à orientation socialiste ».

Le Vietnam a été transformé en plate-forme de main d'oeuvre à bas coût pour le capital transnational, sa classe ouvrière soumise à un degré d'exploitation accablant et à des salaires deux fois inférieurs à ceux de la Chine. La corruption règne dans le parti au pouvoir qui représente les intérêts des capitaux étrangers et de l'élite financière émergente au Vietnam même, et utilise des mesures d'état policier pour assurer la discipline de la main d'oeuvre. 

Le gouvernement Obama tente de faire entrer le Vietnam plus définitivement dans son orbite économique par une participation au projet de Partenariat Trans-Pacifique (TPP) dont le but principal est de contrer l'influence économique de la Chine dans la région. L’effet attendu de cet accord est l'élimination des contraintes restantes au commerce et à l'investissement capitaliste américain et la démolition de ce qui reste d’entreprises publiques au Vietnam. 

La Chine reste le premier partenaire commercial du Vietnam, même si les Etats-Unis sont son principal marché d'exportation. La bureaucratie dirigeante, tout en penchant vers Washington, tente toujours de maintenir un équilibre délicat entre les deux. 

Les provocations de plus en plus agressives de l'armée américaine en mer de Chine méridionale et les efforts de Washington pour attiser les tensions entre la Chine et les Etats voisins à propos du contrôle des îles, des récifs et des eaux territoriales, bouleversent inévitablement cet équilibre et entraînent le Vietnam une fois de plus dans l’horreur d’une guerre.

Seule la classe ouvrière peut empêcher une telle catastrophe. La bureaucratie dominante du Vietnam et les couches riches qu'elle représente, qui promeuvent la pénétration de l'investissement direct étranger au Vietnam et une croissance rapide par là de la production capitaliste, sont en train de créer leur propre fossoyeur sous la forme d'une classe ouvrière jeune et concentrée qui prendra inévitablement le chemin de la lutte de classe. 

(Article paru en anglais le 24 mai 2016)

 

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