Perspectives

L’établissement du Parti démocrate mène une chasse aux sorcières contre les partisans de Sanders

Dans le sillage de deux pires performances de Hillary Clinton dans des primaires démocratiques fermées – une victoire à quelques voix près dans le Kentucky et une déroute aux mains de Bernie Sanders dans l’Oregon – l’établissement du Parti démocrate et les grands médias ont lancé une provocation vicieuse contre la campagne Sanders, sur la base d’assertions selon lesquelles les partisans de Sanders auraient menacé de violence les responsables du parti dans le Nevada.

La Convention démocrate de l’État du Nevada à Las Vegas samedi dernier a pris fin dans le chaos après que la présidente de l’État, Roberta Lange, a clos la convention par un rapport truqué de vérification des pouvoirs qui excluait tout juste assez de partisans de Sanders pour assurer une majorité étroite pour Clinton et deux délégués Clinton additionnels à la Convention nationale démocrate de Philadelphie. Lorsque les partisans de Sanders ont commencé à se lever et à exprimer leurs objections, Lange a déclaré la convention ajournée et a convoqué les adjoints du shérif pour faire appliquer sa décision. 

Au cours des jours suivants, Lange affirme avoir reçu plus d’un millier de messages électroniques et vocaux venant de tout le pays, dénonçant ses actions en termes cinglants. Ces messages sont des expressions prévisibles d’indignation contre les méthodes d’intimidation typiquement bureaucratiques de la machine du Parti démocrate. Mais une tempête médiatique a éclaté à propos d’une poignée de messages qui étaient abusifs dans le ton ou l’auraient menacé de violence. Il n’y a pas la moindre preuve que ces messages sont suscités par la campagne Sanders. Ils sont tout aussi susceptibles d’être l’œuvre de provocateurs qui cherchent à aider la campagne Clinton ou le candidat républicain probable Donald Trump. 

Cependant, depuis le week-end, de hauts responsables du Parti démocrate et des médias ont intensifié leurs dénonciations de la violence et du sexisme prêtés aux partisans de Sanders, tout en minimisant ou en ignorant la fraude électorale du camp Clinton et la mobilisation de la police pour protéger les fonctionnaires du Parti démocratique contre une base de membres en colère. 

Lundi, le Parti démocrate de l’État du Nevada a envoyé une lettre au Comité national démocrate (DNC) qui déposait une plainte formelle contre la campagne Sanders, pour « ne pas avoir dénoncé de manière adéquate les menaces de violence de ses partisans. » Il a averti que « les tactiques et le comportement affichés ici dans le Nevada sont annonciateurs des choses à venir au moment où les démocrates se réunissent à Philadelphie. » Dans un langage qui pue la chasse aux sorcières façon McCarthy, cette branche du parti a déclaré : « Une partie de l’approche de la campagne de Sanders était d’employer ces délégués facilement irrités en tant que troupes de choc » tout en « incitant à la perturbation et, oui, à la violence », il a continué : « l’objectif d’un grand nombre de ces personnes, dont l’action est approuvée ou encouragée par la campagne Sanders, n’est pas la construction du parti, mais quelque chose de plus sinistre. » 

Sanders a envoyé une lettre désavouant toute violence ou menace de violence, mais en réitérant les plaintes de ses partisans quant au truquage des résultats de la Convention de l’État du Nevada, (DNC). La présidente Debbie Wasserman Schultz a donné une série d’entretiens médiatiques mardi critiquant sa réponse comme « tout sauf acceptable. » Le dirigeant de la minorité démocrate du Sénat, Harry Reid, le patron du Parti démocrate du Nevada, a appelé Sanders afin de se plaindre et a dénoncé sa « déclaration stupide. » 

Certains dirigeants du Parti démocrate et les commentateurs des médias ont même cherché à assimiler le comportement des partisans de Sanders dans le Nevada aux voyous des rassemblements de Trump. Le « whip » [responsable de la discipline du parti, ndt] de la minorité du Sénat, Dick Durbin de l’Illinois, a dit : « Nous avons vu ce qui est arrivé aux rassemblements de Trump, qui ont éclaté dans la violence, des gens en train d’en frapper d’autres. Je ne veux pas que cela se produise au Parti démocrate. » 

Dans un éditorial mercredi, le Los Angeles Times – qui soutient Clinton dans la primaire critique de Californie le 7 juin – a écrit : « Donald Trump n’est pas le seul candidat à la présidence de jouer avec le feu et faire la cour témérairement à une foule en colère. Pour la dernière série de lancements des gros mots et invectives, de jets des chaises, de traque sur les médias sociaux et d’échanges de théories du complot, ne cherchez pas plus loin que les partisans de Bernie Sanders. » 

Le tumulte autour de la Convention de l’État du Nevada est une provocation politique fabriquée de toutes pièces. Il montre à la fois le désespoir de la campagne Clinton, qui a vu Sanders perturber le couronnement attendu de la favorite démocrate, et l’hostilité des médias contrôlés par le patronat envers les sentiments de gauche animant des millions de jeunes et de travailleurs qui ont afflué vers la campagne de ce « socialiste démocratique », comme il se qualifie lui-même. 

Il est grotesque et dégoûtant de voir les grands pontifes des médias comme Wolf Blitzer, un agent de publicité et un meneur de claque pour chaque guerre américaine du dernier quart de siècle, un passionné des assassinats par drone, se plaindre de quelques chaises jetées dans une salle de bal d’un casino de Las Vegas. 

La campagne de Clinton est impatiente de se débarrasser du défi Sanders afin que la favorite démocrate puisse abandonner toute prétention au populisme économique et s’installer dans sa posture d’élection générale en tant que candidate de l’établissement de Wall Street et de l’appareil de renseignement militaire, dénonçant Trump comme un « électron libre » par rapport aux états de service impeccables de Clinton comme belliciste défendant l’impérialisme américain. 

Au milieu de tout cela, il n’y a aucune place pour un débat sur les véritables politiques de Clinton et du Parti démocrate dans son ensemble, qui sont au fond de droite et pro-patronales. Clinton se met en avant comme la continuatrice du gouvernement Obama. Celui-ci a supervisé le plus grand transfert de richesse des travailleurs vers l’aristocratie financière de l’histoire des États-Unis. Sanders ne fait même pas une critique du bilan d’Obama, ce qui démontre que son propre programme n’a rien en commun avec le véritable socialisme. 

Dans son discours mardi soir à Carson, en Californie, Sanders a pris une posture de gauche pour les trois dernières semaines de la campagne des primaires déclarant : « Je viens de la classe ouvrière de ce pays, et je serai damné si nous allons permettre au Parti républicain, dont le travail est de représenter les riches et les puissants, gagner des voix des ouvriers américains. » 

Et pourtant, le propre objectif de Sanders tout au long de sa campagne a été de canaliser de plus en plus le sentiment anticapitaliste derrière les démocrates, qui, non moins que les républicains, sont une partie des « riches et puissants. » L’idée que sa campagne va transformer le Parti démocrate en un représentant de la classe ouvrière est exposé par la réaction de l’élite du Parti démocrate aux événements du Nevada. 

Le Parti démocrate n’est pas une association de pacifistes politiquement vierges, mais le deuxième plus ancien parti capitaliste de la planète, trempé dans le sang de ses origines comme parti des esclavagistes du Sud. Il est le parti de la Première Guerre mondiale, de la Seconde Guerre mondiale, des guerres de Corée et du Vietnam, d’Hiroshima et de Nagasaki. 

Il n’y a pas un grand maire, un gouverneur ou un sénateur du Parti démocrate, qui ne soit versé dans les arts sombres de la politique bourgeoise, jusqu’aux plus hauts niveaux de l’État. Le parti est dirigé par un Président qui s’engage dans des assassinats quotidiens à travers le monde. La candidate dont les partisans sont bêlants sur la violence supposée de Sanders, Hillary Clinton, est connue pour son commentaire sur Mouammar Kadhafi : « Nous sommes venus, nous avons vu, il est mort. » Barbara Boxer et Harry Reid ne sont pas opposés à cette célébration des bombes de l’OTAN et des lynchages islamistes. 

Des millions de personnes sont en train d’expérimenter la réalité de la politique capitaliste. Les partis démocrate et républicain ont une longue histoire en tant qu’instruments politiques de la classe capitaliste, et ce fossé de classe ne peut pas être surmonté. Si les démocrates réagissent donc hostilement à un candidat qui a travaillé avec eux loyalement pendant des décennies, comment vont-ils répondre à un mouvement politique qui les défiera vraiment de l’extérieur ? 

Le défi historique qui se présente à la classe ouvrière américaine est de se libérer de toute la structure politique des deux partis et d’organiser un mouvement politique de masse indépendant de la classe ouvrière, s’appuyant sur un programme socialiste.

(Article paru d’abord en anglais le 19 mai 2016)

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