Grande-Bretagne: l'assassinat de Cox révèle le rôle des néo-fascistes dans la campagne du Leave

Thomas Mair, arrêté jeudi 16 juin après l'assassinat de la députée travailliste Jo Cox, a été accusé du meurtre de celle-ci samedi 18 juin. Il a également été accusé d’avoir gravement blessé un retraité de 77 ans, Bernard Kenny, intervenu pour tenter de sauver Cox, de possession d'arme à feu avec intention de commettre un acte criminel et de possession d'arme offensive. 

Quand on lui a demandé de confirmer son nom, il a dit à la cour, « Mon nom est mort aux traîtres, liberté pour la Grande-Bretagne ». Mair devait comparaître lundi devant la Cour pénale centrale d'Angleterre et du Pays de Galles, l'Old Bailey, à Londres 

Sa déclaration confirme que Mair a des opinions fascistes. Son attaque meurtrière de Cox met en évidence qu’on est en train d’exciter et de mobiliser, avec le nationalisme et la xénophobie de la campagne du référendum sur l'adhésion à l'UE, les éléments les plus droitiers et les plus désorientés.

L’assassinat de Cox a eu lieu devant la bibliothèque de Birstall, dans sa circonscription de Batley et Spen (West Yorkshire) où la partisane de premier plan du Remain (Rester) allait tenir une permanence. Plusieurs témoins ont vu Mair poignarder Cox plusieurs fois et tirer sur elle. 

Les preuves relatives aux relations de M. Mair avec des organisations d'extrême-droite et néo-nazies ont commencé très rapidement à apparaître. Plusieurs témoins ont dit aux journalistes qu'il avait crié « la Grande-Bretagne d'abord » en tuant Cox. « La Grande-Bretagne d'abord » est le nom d'un groupe dissident du British National Party (Parti national britannique) fasciste.

Après avoir été interrogé par la police locale, Mair a été emmené en voiture à Londres, 320 kilomètres plus au sud, au Tribunal d'instance de Westminster (Westminster Magistrates Court). L'avocat général David Cawthorne a dit au tribunal que, quand il fut arrêté, Mair avait dit à la police qu'il était un « militant politique ». 

Après que Cox est sortie de sa voiture, « [Bernard Kenny] a presque immédiatement vu qu'un inconnu l'avait abordée et commencé à l'attaquer avec un couteau ». Kenny s'est précipité à sa rescousse, mais a été poignardé par Mair dans l'abdomen, l'obligeant à se retirer dans un magasin de sandwichs à proximité, où le personnel lui a porté secours.

On a vu Mair poignarder Cox « à plusieurs reprises ». Cawthorne a dit que lorsque Cox est tombée à terre, Mair a pris une arme à feu dans un sac fourre-tout noir et a tiré trois fois sur elle. Il a ensuite continué à la poignarder.

« Faisant cela », a dit Cawthorne, « on a entendu l'accusé prononcer des mots comme ‘la Grande-Bretagne d'abord’, ‘maintenir la Grande-Bretagne indépendante’, ‘la Grande-Bretagne vient toujours en premier’, ‘voilà pour la Grande-Bretagne’». Mair a ensuite quitté la scène « calmement », pendant que Cox était transportée à l'hôpital.

La réquisitoire du procureur indique également: « Les perquisitions initiales [du domicile de Mair] ont produit des articles de journaux relatifs à Jo Cox et du matériel idéologique lié à l'extrême-droite et à des organisations et individus qui prône la suprématie blanche ». 

Mair était abonné, au moins jusqu'en 2006, à S. A. Patriot, un magazine sud-africain publié par le White Rhino Club, pro-apartheid. Des documents ont été publiés sur les médias sociaux et dans les journaux montrant qu'il avait également acheté des livres du groupe néo-nazi américain National Alliance. 

Une note dans un bulletin de 2006 du Springbok Club, d'extrême droite, basé à Londres, affirme que, « Thomas Mair, de Batley, dans le Yorkshire a été l'un des premiers abonnés et partisans du

« S.A. Patriot. » La note demandait si les abonnés connaissaient l'adresse actuelle de Mair .

Le même numéro du bulletin annonçait les dernières activités du Swinton Circle de Londres d'extrême droite, que le Springbok Club soutenait. 

Le Swinton Circle de Londres a été créé comme groupe à la périphérie du Parti tory (conservateur) dans les années 1960 par des admirateurs du politicien tory xénophobe Enoch Powell. Le bulletin faisait remarquer que la publication du Swinton Circle, Tough Talking from the Right (Parler dur depuis la droite) « a récemment tenu une réunion et un buffet exceptionnels pour ses lecteurs dans la City de Londres, où le conférencier invité était M. Nigel Farage, député européen, co-président du groupe Indépendance et Démocratie au Parlement européen. » Le bulletin ajoutait: « Il y avait salle comble pour cette rencontre, qui a écouté M. Farage prononcer un tour d'horizon très instructif et succinct sur les dangers actuels auxquels se heurte encore la Grande-Bretagne si l'adhésion à l'Union européenne se poursuivait. »

Farage, un porte-parole de premier plan de la campagne officielle du Leave (sortir) au référendum sur l'UE cette semaine, était en 2006, et est toujours, le leader du Parti pour l'Indépendance du Royaume-Uni (UKIP). Il a joué un rôle de premier plan dans la diffusion de l’ordure anti-migrants tout au long de la campagne référendaire.

Il est co-fondateur de l'organisation anti-UE Grassroots Out (la base pour sortir de l’UE), dont le lancement au début de cette année a été soutenu par les députés conservateurs Peter Bone, Tom Pursglove et Liam Fox, par la députée travailliste Kate Hoey et par Sammy Wilson du Democratic Unionist (Parti unioniste démocrate d’Irlande du Nord). Un des principaux conférencier à l'événement annonçant la formation de Grassroots Out était George Galloway, l'ancien député de Bradford West du parti Respect.

Quelques heures avant la mort de Cox, Farage avait déployé la dernière affiche de sa campagne du Leave, représentant une longue file de réfugiés avec la légende, « Le point de rupture, L'UE nous a tous laissé tomber »

Plus tôt dans la campagne référendaire, il s’était fait l’écho du discours tristement célèbre de Powell, qui disait en 1968 que si l'immigration en Grande-Bretagne n’était pas stoppée, « Comme les Romains, il me semble voir ‘le Tibre charriant beaucoup de sang.’» Parlant à la BBC, Farage a dit: « Je pense qu'il est légitime de dire que si les gens ont le sentiment qu'ils ont perdu le contrôle complètement – et nous avons perdu complètement le contrôle de nos frontières en tant que membres de l'Union européenne – et si les gens ont le sentiment que le vote ne change rien, alors la violence est la prochaine étape ».

Un mois seulement après cette déclaration, Cox était brutalement assassinée.

Le Swinton Circle de Londres a maintenu des liens étroits avec le Parti conservateur en tant que groupe à sa périphérie. En 2014, Liam Fox et Owen Paterson, deux anciens ministres du gouvernement conservateur et maintenant partisans bien en vue du Leave, ont parlé à différentes réunions du Swinton Circle de Londres. En 1998, le député conservateur Neil Hamilton, qui plus tard est parti à UKIP, a parlé à une réunion du Springbok Club. Il fut photographié lors de la réunion prononçant son discours devant le drapeau national de l’Afrique du Sud du temps de l'apartheid.

Tout est fait par les partisans droitiers de la campagne du Leave, en Grande-Bretagne comme à l'étranger, pour nier le caractère politique de l'assassinat de Cox et son rapport à la campagne du « Brexit » (Sortie de l’UE).

La dirigeante du Front National Marine Le Pen a fait savoir vendredi à la télévision que, clairement, c’était difficile d'avoir une explication du meurtre et qu’il fallait empêcher toute récupération politique.

Dans un article publié dans le Sun, le quotidien à scandale pro-Leave dont le propriétaire est le magnat milliardaire de la presse Rupert Murdoch, la chroniqueuse Louise Mensch, députée conservatrice en 2010-2012, a affirmé: « Si le tueur [de Cox] était en effet atteint d’une maladie mentale grave à long terme, alors toutes les opinions racistes ne sont pas à prendre en considération. On a rapporté que c’était un néo-nazi qui avait acheté des manuels et des livres sur la façon de fabriquer des bombes et ceci pendant des années – bien avant qu’un référendum sur l'UE ne soit même envisagé. Sa psychopathie n'avait donc précisément rien à voir avec le Brexit. »

Mensch a conclu: « Ni la campagne, ni les partisans du Leave ne portent aucune responsabilité, même éloignée, pour ce qui s’est passé. »

Le premier ministre conservateur David Cameron et le leader du Parti travailliste d'opposition, Jeremy Corbyn, alignés dans la campagne du Remain (Rester dans l’UE), n’ont encore rien dit sur ​​le caractère manifestement politique de l'assassinat de Cox. Parlant à la BBC dimanche, Corbyn a simplement déclaré que l’assassinat de Cox était « une attaque contre la démocratie, une attaque du droit de quelqu'un à être élu pour vous représenter et à vaquer à ses occupations, » fermant les yeux sur les liens de Mair avec l’extrême-droite.

Le Parlement a été convoqué hier, à la demande de Corbyn, pour rendre hommage à Cox. Les députés envisageaient, selon la presse, de ne pas siéger dans leurs blocs traditionnels de parti de chaque côté de la Chambre des communes, mais de se mêler dans une démonstration d’« unité nationale ». Ce qui ne fait que souligner la complicité de tout l'establishment politique dans la promotion de la politique nationaliste et anti-migrants et la légitimation des organisations et des figures d’extrême droite.

(Article paru en anglais le 20 juin 2016)

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