Le Canada participe à la nouvelle «présence avancée» de l'OTAN contre la Russie

Avant le prochain sommet de l'OTAN qui se tiendra cette semaine à Varsovie en Pologne, où l'alliance, menée par les États-Unis, va resserrer la pression sur la Russie, le gouvernement libéral du Canada a dévoilé ses plans pour déployer jusqu'à 1000 soldats dans la région balte.

Le bataillon des Forces armées canadiennes fera partie d'une «force de déploiement avancée» d’«intervention rapide» de 4000 soldats. Les États-Unis, le Royaume-Uni et l'Allemagne se sont déjà engagés chacun à fournir un bataillon à ce déploiement, qui sera en activité dans les trois pays baltes: l'Estonie, la Lettonie et la Lituanie ainsi que la Pologne. Il viendra appuyer la Force de réaction rapide de l'OTAN, une force plus importante qui compte jusqu'à 40.000 soldats et qui peut être déployée dans la région en quelques jours.

«En tant que membre de l'OTAN, nous donnions des garanties aux États membres là-bas, mais cela a évolué vers la dissuasion», a déclaré le ministre de la Défense, Harjit Sajjan, lorsqu'il a annoncé le déploiement jeudi le 30 juin. Il a aussi rajouté que les 220 soldats canadiens déjà en Pologne se tiendraient prêts à de potentielles attaques. Auparavant, ils étaient engagés seulement dans des exercices d'entraînement.

Le nouveau déploiement canadien est ouvert, c'est-à-dire permanent en pratique. C'est une violation claire de l'engagement pris par l'OTAN dans le but d'obtenir l'accord de Moscou à son incorporation des États baltes et des anciens membres du Pacte de Varsovie. L'OTAN s'était engagée à ne pas déployer des troupes de manière permanente sur les frontières de la Russie.

Ottawa et l'OTAN prétendent que la «présence avancée» ne viole pas cet engagement parce qu'environ tous les six mois, les troupes qui la composent font une rotation et sont remplacées par d'autres.

L'annonce de Sajjan a été faite seulement 24 heures après que le Président Barack Obama s'est rendu au Canada et a prononcé un discours au Parlement dans lequel il encourage fortement Ottawa à jouer un plus grand rôle dans l'OTAN et à dépenser plus d'argent pour son armée. Faisant explicitement référence au besoin d'être unis face à l’«agression russe», Obama a déclaré, devant des applaudissements euphoriques: «En tant qu'allié et ami, laissez-moi vous dire que nous serons plus en sécurité lorsque chaque membre de l'OTAN, y compris le Canada, contribue à sa pleine capacité à notre sécurité commune.» «Le monde, a-t-il poursuivi, a besoin de plus de Canada. L'OTAN a besoin de plus de Canada. 

Le moment choisi pour faire l'annonce semble résulter de la pression exercée par les États-Unis pour démontrer l’«unité» de l'OTAN suite au vote référendaire en faveur du retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne, le Brexit. Plus tôt en juin, des sources proches du gouvernement libéral de Justin Trudeau ont indiqué que certains membres de son cabinet hésitaient à envoyer des troupes en Europe de l'Est à cause de plans de longue date pour déployer une mission soi-disant de paix en Afrique de l'Ouest. Des haut-gradés militaires auraient rassuré le gouvernement en lui disant que les deux plans pourraient être réalisés simultanément.

Le secrétaire général de l'OTAN, Jens Stoltenberg, aurait appelé Sajjan directement afin de l'inciter à donner une réponse positive. «Nous sommes très reconnaissants des contributions du Canada, que nous [avons] déjà reçues, mais nous aimerions en recevoir encore plus», a dit Stoltenberg lors d'une entrevue à CBC.

L'appareil de sécurité et militaire du Canada ainsi que sa classe dirigeante ont aussi incité le gouvernement Trudeau à jouer un rôle plus important dans l'offensive menée par les États-Unis contre la Russie. La semaine dernière, l'ancien premier ministre progressiste-conservateur, Brian Mulroney, a prononcé un discours belliqueux dans lequel il a dit que le Canada devait se joindre aux forces de l'OTAN, augmenter les dépenses militaires à au moins 2 pour cent du PNB par année et se préparer à la guerre. Plus tôt en juin, la principale agence de renseignement du Canada, le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS), a émis un rapport dans lequel il accuse la Russie d'être en train de se «mobiliser pour la guerre» contre l'OTAN. 

Le Canada a joué important et incendiaire dans la coalition anti-russe en Europe de l'Est dès le début du déploiement de forces militaires qui a suivi le coup d'État mené par des fascistes et commandité par les États-Unis et l'Allemagne en février 2014. Le gouvernement conservateur de Stephen Harper a envoyé des avions de combats CF-18 pour s'entraîner en Roumanie et pour participer à des patrouilles aériennes au-dessus de la mer Baltique. Il a également déployé une frégate dans la mer Noire et envoyé des soldats en Pologne. Harper a aussi utilisé un ton belliqueux contre la Russie et était un des plus proches alliés du régime d'extrême-droite de Kiev. Il avait dit au président russe Vladimir Poutine, lors d'un sommet du G-20, de «sortir de l'Ukraine»!

Cette position intransigeante s'est poursuivie de façon non moins intense depuis la venue au pouvoir de Justin Trudeau en octobre dernier. Dès le début, Trudeau avait juré d'implanter l'accord de libre-échange avec l'Ukraine que Harper avait conclue et de poursuivre le déploiement de troupes canadiennes et de bateaux de guerre en Europe, y compris 200 soldats dans l'Ouest de l'Ukraine pour entraîner l'armée ukrainienne et des unités de la garde nationale en collaboration avec les États-Unis. Plus tôt cette année, après le retrait des avions de combats CF-18 de la guerre aérienne en Syrie et en Irak, le gouvernement Trudeau a ordonné à quatre d'entre eux de se rendre en Roumanie, qui a une frontière commune avec le sud de l'Ukraine, afin de réaliser des exercices avec les membres de la force aérienne de l'OTAN.

La semaine dernière, Trudeau a donné un appui total aux arguments fallacieux de Washington sur l’«agression» russe, affirmant que Moscou fomentait le conflit en Ukraine et qualifiant ses actions d’«illégales et irresponsables». «Nous avons de sérieuses inquiétudes», a-t-il dit lors d’une conférence de presse, «au sujet de la Russie et de ses actions, et nous agirons de manière réfléchie et ferme, comme je l’ai toujours été, dans nos relations avec la Russie».

Trudeau a aussi rencontré l’ultranationaliste Congrès des Ukrainiens Canadiens (CUC), qui a collaboré étroitement avec l’État canadien durant la guerre froide et a travaillé de concert avec les gouvernements libéraux et conservateurs des vingt dernières années pour soumettre l’Ukraine à l’impérialisme occidental. Accueilli par une ovation de membres du CUC et de politiciens ukrainiens en visite, Trudeau a déclaré: «Le Canada va continuer à défendre la souveraineté de l’Ukraine en réaction à l’annexion illégale de la Crimée par la Russie et au soutien russe pour les insurgés en Ukraine de l’Est.» Dans le Toronto Star, Paul Wells n’a pu s’empêcher de commencer son article sur le discours de Trudeau par le commentaire révélateur: «Certains jours, c’est comme si Stephen Harper n’avait jamais perdu les élections.»

Les membres du CUC sont profondément impliqués dans l’envoi direct d’équipement militaire, y compris des armes, aux bataillons de soldats volontaires dans la guerre civile ukrainienne. Beaucoup de ces forces sont dominées par des éléments d’extrême-droite ouvertement fascistes.

Immédiatement après le sommet de l’OTAN de cette semaine, Trudeau se rendra à Kiev pour deux jours de rencontres avec le gouvernement ukrainien.

Au cours des 25 dernières années, le Canada a renforcé son alliance militaire et de sécurité de longue date avec Washington, et l’a fait alors que l’impérialisme américain avait recours de plus en plus à l’agression et à la guerre pour défendre son hégémonie mondiale.

Depuis 1991, le Canada a participé à toutes les guerres des États-Unis, à l’exception de leur invasion illégale de l’Irak en 2003. Et même dans ce cas, comme l’a admis Washington, le Canada avait fourni plus d’aide militaire que bien des membres de la «coalition des volontaires» de Bush.

Actuellement, des forces canadiennes sont déployées dans la guerre au Moyen-Orient qui vise à renverser le régime d’Assad à Damas et à consolider la domination des États-Unis sur la plus importante région exportatrice de pétrole au monde. Le Canada est aussi profondément impliqué dans le «pivot vers l’Asie» de l’administration Obama, une offensive économique et militaire contre la Chine.

La décision du gouvernement Trudeau de déployer des troupes dans les États baltes a un appui écrasant au sein de l’establishment politique et médiatique. Ce geste est vu comme le moyen de renforcer davantage l’alliance canado-américaine et de faire prévaloir plus agressivement les intérêts de l’impérialisme canadien sur la scène mondiale.

Les libéraux effectuent actuellement une révision de la politique de défense dans le but de faire accepter à la population les plans qui visent à faire de l’armée canadienne un «gendarme mondial» et à augmenter considérablement ses armes et ses ressources.

Ces objectifs ont été résumés dans un article de Stephen Saideman, directeur du programme d’Affaires internationales de l’Université Carleton, paru dans le Globe and Mail tout juste avant l’annonce du nouveau déploiement de l’OTAN. Saideman a exhorté le gouvernement à accepter rapidement de diriger le quatrième bataillon de cette nouvelle force de l’OTAN, écrivant que cela placerait le Canada au même niveau que «les gros joueurs dans l’alliance».

Saideman soutient qu’en adoptant un rôle dirigeant dans la nouvelle force d’«intervention rapide», le Canada jouerait «un rôle beaucoup plus visible en Europe, ce qui donnerait plus de poids au Canada dans ses discussions au sein de l’OTAN. Comme le dit l’expression, on en aurait plus pour notre argent.»

(Article paru en anglais le 2 juillet 2016)

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