Grande-Bretagne: les conspirateurs anti-Corbyn préparent un groupe parlementaire rival

Alors que les bulletins de vote pour l’élection du dirigeant du Parti travailliste (Labour) prévue le 24 septembre ont été distribués lundi, les menées pour écarter son leader actuel, Jeremy Corbyn, prennent de l’ampleur.

Cette élection est le résultat d’efforts initiés par l'aile droite, blairiste, du parti pour inverser le résultat de l’élection de l'an dernier qui a porté Corbyn à la direction à une écrasante majorité.

Selon un article du Sunday Times de Rupert Murdoch, les députés travaillistes sont en train de comploter pour constituer un nouveau groupe parlementaire si le dirigeant travailliste actuel l’emportait une nouvelle fois. L'écrasante majorité du groupe parlementaire travailliste est opposée à Corbyn ; 172 députés ont soutenu une motion de censure contre lui et seulement 40 s’y sont opposés.

Ayant vainement fait pression sur Corbyn pour qu’il se retire, ils ont imposé une élection à la direction et choisi Owen Smith comme candidat « stoppez-Corbyn ». Mais malgré l’emploi de méthodes anti-démocratiques comme l’interdiction de voter pour plus de 130.000 membres et sympathisants du parti travailliste, Corbyn est considéré comme le favori.

Dans ces conditions, le Sunday Times a rapporté que ses adversaires allaient former un « parti dans le parti » à travers le mécanisme du Co-operative-Party.

Le Co-opérative Party, qui promeut les entreprises appartenant aux travailleurs et aux clients, est une entité distincte du Parti travailliste. Mais il a depuis 1927 un accord électoral avec lui selon lequel les membres des deux organisations peuvent participer aux élections en tant que représentants du Labour Co-operative Party.

Il y a actuellement 25 députés travaillistes membres du Co-opérative Party, mais le but est de porter ce chiffre à plus de100. Comme entité juridiquement distincte reconnue par la Commission électorale, le Cooperative Party répond aux exigences posées par le président de la Chambre des communes, le député conservateur John Bercow. Il aurait déclaré qu'il ne pouvait reconnaître une opposition parlementaire différente que si elle était enregistrée auprès de la Commission électorale.

En recueillant le soutien de plus de députés que ne peut en rassembler Corbyn, les conspirateurs espèrent déjouer toute tentative des membres du Parti travailliste de les désélectionner du parti (leur enlever le statut de candidat à la prochaine élection) et demander à devenir l'opposition officielle.

En tant que membres du Co-operative Party, le groupe nommera ses propres dirigeants parlementaires (whips) et élaborera sa propre politique dans des domaines « comme le Brexit et la sécurité nationale » a-t-on rapporté. Cela leur permettra de changer « les règles pour élire le cabinet fantôme de façon à pouvoir « cerner » et « étouffer » Corbyn sur les bancs des ministres du cabinet fantôme, selon le Sunday Times.

L’aile droite du Parti travailliste fut violemment hostile à l'élection de Corbyn l'an dernier, dû en particulier à l’opposition déclarée de celui-ci à l'austérité et à la guerre. Mais les tentatives pour le renverser se sont accélérées dans la foulée du référendum du 23 juin sur l'adhésion du Royaume-Uni à l'Union européenne (UE).

Le vote majoritaire pour sortir de l’UE (Brexit) a créé une crise existentielle pour la bourgeoisie britannique, ainsi que pour l'impérialisme américain, car il met en danger la stabilité de l' OTAN à un moment où elle fait monter d’un cran ses provocations contre la Russie et la Chine, et au Moyen-Orient.

Dans le cadre des efforts visant à empêcher un Brexit, une section de la bourgeoisie espère refaçonner le Parti travailliste en tant que parti des « 48 pour cent » ayant voté pour rester dans l’UE. Mais cela ne rend que plus nécessaire de supprimer Corbyn, qui a dit que le résultat du referendum devait être respecté.

Durant le week-end, le maire de Londres Sadiq Khan et la dirigeante du Parti travailliste écossais Kezia Dugdale ont jeté tout leur poids dans la balance derrière Owen Smith.

Écrivant dans l'Observer, Khan a répété l’affirmation de la droite que Corbyn n’avait aucune chance d’être élu, malgré le fait que le Labour ait remporté les quatre dernières élections partielles, et chacune des quatre élections municipales dans les 12 derniers mois. La propre victoire de Khan en mai 2016 à l’élection pour la mairie de Londres (où il a obtenu le plus grand nombre de voix de tout candidat dans l'histoire du Royaume-Uni) a été largement attribué au soutien généré par l’élection de Corbyn à la tête des travaillistes.

Khan, partisan du maintien de la Grande-Bretagne dans l’UE, a attaqué Corbyn pour ne pas avoir « fait preuve des qualités de dirigeant » dont les militants pro-UE « avaient désespérément besoin » lors du référendum.

Dugdale a elle aussi insisté dans le journal écossais Daily Record pour dire que Corbyn était incapable de gagner une élection générale. Ceci venant de quelqu’un qui a présidé, en mai 2016, à la plus grave défaite électorale du Labour jamais vue en Écosse, reléguant le Parti travailliste en troisième position, derrière le Parti national écossais et les conservateurs.

Le plan du Labour Co-operative Party est présenté comme un moyen par lequel l'aile droite du parti peut éviter de rompre immédiatement – créant un nouveau parti en dehors du Labour – ce qui les mettrait en mauvaise posture pour obtenir un quelconque soutien et menacerait leur capacité à s’attribuer les actifs du parti.

Mais la perspective qu’Owen Smith perde lourdement dans l’élection à la direction du parti signifie que ceci n’est pas le seul complot en cours.

La semaine dernière, le Financial Times a prôné une scission. C’est également l'option préférée des journaux de Murdoch, le Times et le Sun, qui dénoncent Smith pour avoir tenté d'emprunter des éléments de la politique « de gauche » de Corbyn dans sa tentative de se faire élire à la tête du parti.

Le Sun on Sunday – qui a soutenu le Brexit – a déclaré dans son éditorial que « le pays se trouve à un moment critique. Les effets complets du Brexit ne se sont pas encore fait sentir. Les termes de notre sortie de l'UE n’ont pas été réglés non plus.»

Pourtant, confronté à « l'horreur » d’un Corbyn, la seule option proposée par le Labour comme alternative était « un Owen Smith, un terrible clone de Miliband [ancien leader travailliste] qui veut aussi charger le pays de milliards de livres de dettes supplémentaires et pense qu’il peut négocier avec l’EI [Etat islamique]. »

« Les vieilles têtes sages du Labour doivent reprendre le contrôle de l'appareil du parti aux anarchistes de salon et aux manifestants étudiants » a souligné le journal.

De même, le Sunday Times s’est plaint de « l’allure de desperados » des conspirateurs anti-Corbyn, les exhortant à se mettre d'accord sur « une figure de proue plus enthousiasmante qu’Owen Smith, dont la tentative d’obtenir la direction semble vouée à l'échec. » Le problème des « modérés » était « qu’ils n’ont pas d’héritier de Blair. »

Dans le Daily Mail, le blairiste Dan Hodges a dénoncé Smith comme « mou, incohérent, incompétent », citant spécifiquement l'insistance du député à dire « Je ne suis pas un adepte de Blair, je suis socialiste, la même chose que vous. Je n'ai jamais été blairiste. »

Plutôt que de se jeter « sur Corbyn avec une férocité politique effrénée, » c’était la preuve que Smith essayait de « battre en retraite et flatter et se mettre dans les bonnes grâces de la direction du Labour ».

Dans les coulisses, l’information circule que certains députés travaillistes tentent d'obtenir un accord avec les députés conservateurs pour forcer des élections législatives anticipées comme le seul moyen de se donner la possibilité de « se débarrasser de Jeremy Corbyn. »

Le député conservateur Andrew Bridgen, un partisan du Brexit, a indiqué qu'il avait été interpellé par trois députés travaillistes qui lui ont demandé d'intensifier sa campagne pour une élection générale surprise, dans l'espoir que Corbyn serait « anéanti » et qu’ils pourraient reprendre le contrôle du parti.

« Des députés travaillistes de premier plan sont venus me voir et ils m’ont supplié de faire pression pour des élections générales anticipées afin d’en finir avec Corbyn. Ils disent: ‘Mettez fin à notre souffrance. Ce serait un meurtre par compassion’ », a-t-il déclaré au Sunday Times.

La première ministre Theresa May a une majorité parlementaire de seulement 17 députés. La rentrée parlementaire étant prévue pour dans deux semaines, les eurosceptiques conservateurs ont commencé à se plaindre qu'elle traînait des pieds pour débuter des négociations avec l'UE sur le Brexit. Iain Duncan Smith, l'un des principaux partisans d’une sortie de l’UE, a dit que celles-ci devaient commencer au début de 2017, pour s’assurer que le résultat du référendum ne soit pas transformé en un « jamaisrendum. »

Ruth Davidson, la dirigeante des conservateurs écossais, a suggéré que des élections anticipées pourraient être le meilleur moyen d’empêcher les « suspects habituels » d’entre les députés conservateurs de base de créer des « problèmes » pour May.

Tom Watson, le chef adjoint du Parti travailliste, a également dit qu'il pensait que May ne serait pas seulement disposée à appeler à une élection anticipée, mais qu’elle était obligée de le faire. Vu le désarroi des travaillistes et la perspective de troubles chez les conservateurs eurosceptiques, c'était sa meilleure option, a-t-il fait remarquer.

Ses remarques figurent dans une interview avec le Guardian, le chef-propagandiste contre Corbyn. Watson a été la figure de premier plan dans les agissements contre le leader travailliste, y compris dans la tentative de limiter le droit de vote.

Dans une interview donnée le 11 août, il a demandé avec insistance, « Si vous étiez à la place de Theresa May, pourquoi ne le feriez-vous pas [appeler à une élection anticipée]? Honnêtement, pourquoi ne le feriez-vous pas? Vous obtiendriez votre propre mandat, vous auriez la campagne électorale la plus facile que vous puissiez imaginer, et selon toute vraisemblance, vous la remporteriez avec une plus grande majorité. Pourquoi ne le feriez-vous pas ? »

 

(Article paru en anglais le 23 août 2016)

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