Le Japon se prépare à étendre son rôle militaire à l'étranger

Le Japon doit annoncer qu’il commencera l’entraînement de ses forces d’autodéfense (SDF) en vertu de la nouvelle législation adoptée en septembre dernier. Celle-ci permet à son armée de prendre part à des guerres à l’étranger. Les premières troupes participant à ce programme doivent être envoyées au Sud-Soudan en novembre, officiellement dans le cadre de la Mission des Nations Unies en République du Sud-Soudan (MINUSS).,

Par cette initiative, le Japon vise également à affirmer ses prétentions dans la nouvelle ruée impérialiste vers l’Afrique. Bien que menée sous la bannière de l’ONU comme opération de « maintien de la paix, » la force multinationale renforcée au Sud-Soudan marque une nouvelle étape de l’intervention politique et militaire prolongée, conduite par les États-Unis, au Soudan. Celle-ci s’est a surtout concentrée dans le sud du pays, Etat séparé maintenant où se trouvent la plupart des richesses pétrolières du pays, contrôlées avant, en bonne partie, par des entreprises chinoises.

En vertu des nouvelles lois militaires du Japon, entrées en vigueur en mars, les SDF peuvent rejoindre des opérations de combat aux côtés de troupes d’autres nations, tant qu’il s’agit prétendument de « protéger » des alliés ou des civils. Ceci fait suite à la réinterprétation de la Constitution par le cabinet du premier ministre Shinzo Abe en juillet 2014, destinée à permettre une telle « autodéfense collective. »

Les opérations SDF au Sud-Soudan sont un test pour voir comment la loi sera mise en œuvre. Les troupes devant être formées remplaceront le contingent de 350 hommes déjà en poste dans ce pays africain, ostensiblement pour aider des projets de construction dans le cadre de la MINUSS.

Le prétexte en est l’escalade de violence ayant éclaté au Sud-Soudan ces dernières semaines. En juillet, Tokyo avait envoyé trois avions militaires de transport C-130 pour évacuer les citoyens japonais du pays, principalement le personnel de l’Agence japonaise de coopération internationale (JICA). Alors que beaucoup avaient quitté le pays par avion-charter, quatre fonctionnaires de l’ambassade ont été évacués sur l’un des C-130 qui s’étaient d’abord arrêtés à la base militaire japonaise de Djibouti.

Tokyo exploite régulièrement des missions de sauvetage afin d’élargir et de justifier l’utilisation de son armée. La législation de septembre dernier a été introduite à la suite de la crise des otages où deux Japonais avaient été enlevés et assassinés par l’État islamique (EI). Après l’élection de la Chambre haute en juillet, le gouvernement Abe et le Parti démocratique libéral (LDP) font avancer plus vivement encore leur programme de remilitarisation.

Les intérêts du Japon en Afrique et dans la région sont liés aux besoins en énergie. L’an dernier, environ 82 pour cent des importations japonaises de pétrole sont venus du Moyen-Orient. En conséquence, Tokyo cherche à élargir ses sources d’énergie à des zones comme le Sud-Soudan, où la Chine a encore une présence substantielle. La National Petroleum Corporation chinoise détient une participation de 40 pour cent en coentreprise pour exploiter les gisements de pétrole du Sud- Soudan.

La présence japonaise en Afrique n’a cessé de croître ces dernières années. Ayant d’abord envoyé des troupes à Djibouti en 2009 sous prétexte de lutte contre la piraterie, Tokyo a établi sa première base militaire à l’étranger depuis la Seconde Guerre mondiale en juillet 2011 dans ce petit pays de la Corne de l’Afrique. La base accueille actuellement 600 marines SDF. De là, le Japon a étendu son influence à d’autres parties du continent, comme le Ghana lors de l’épidémie d’Ebola.

En novembre 2011, le gouvernement du premier ministre Yoshihiko Noda (Parti démocrate) avait, pour la première fois approuvé l’envoi des SDF au Sud-Soudan. Cela suivait le partage du Soudan par les États-Unis et les puissances européennes plus tôt cette année dans le cadre d’une campagne pour saper les activités de Pékin dans la région.

Le cabinet de renseignement privé Stratfor avait écrit à l’époque : « Leur pénétration dans le Sud-Soudan peut également signaler un effort renouvelé pour réintroduire progressivement les opérations du JSDF dans des initiatives stratégiques de politique étrangère – dans le cas actuel, la sécurité énergétique. S’il parvient à établir une plus forte présence au Sud-Soudan, le Japon sera mieux positionné pour faire face à l’influence chinoise dans le cadre tumultueux de l’industrie pétrolière soudanaise au Sud-Soudan. »

En février 2015, le cabinet Abe a révisé la Charte officielle d’aide au développement du Japon, tout en établissant une Charte de coopération au développement pour intégrer ses organisations « d’aide et de développement, » telles que la JICA, aux SDF. Cela se fit conjointement avec la stratégie de sécurité nationale publiée en décembre 2013 et supervisée par le nouveau Conseil national de sécurité (NSC) établi le même mois. Le NSC centralise la politique étrangère et de défense sous le premier ministre, alors que son travail est maintenu caché du public par les lois antidémocratiques sur le secret d’État.

La décision du Cabinet sur les chartes de développement disait : « Dans cette nouvelle ère, le Japon doit fortement conduire la communauté internationale, comme nation contribuant encore plus de façon proactive à assurer la paix, la stabilité et la prospérité de la communauté internationale dans la perspective de la ‘Contribution proactive à la Paix’. »

Les références à la « Contribution proactive à la paix » -- une formule qu’Abe a régulièrement utilisée pour justifier des changements juridiques anticonstitutionnels – sont en fait des justifications pour l’augmentation des opérations militaires à l’échelle internationale.

L’an dernier, la Fondation de Tokyo, un groupe de réflexion ayant des liens avec le gouvernement japonais, a publié un rapport appelant à une coopération renforcée entre la JICA et les SDF. L’un des auteurs, Ippeita Nishida, a répondu à une question sur l’utilisation des SDF dans une interview, intitulée « Exploiter le potentiel des Forces d’autodéfense du Japon, » avec Nikkei business online en mai 2015.

Tout en faisant des déclarations superficielles d’adhésion à ce qui s’appelle la constitution pacifiste du Japon, Nishida a déclaré : « La perception générale de la stature et de l’influence du Japon dans la communauté internationale est en train de se dégrader en termes relatifs. Dans les circonstances, nous devons réfléchir sérieusement à l’élaboration d’une stratégie qui permet une utilisation optimale des instruments à notre disposition. L’un de ces instruments est l’aide étrangère, que le ministre des Affaires étrangères Fumio Kishida a appelée ‘notre outil de politique étrangère le plus important.’ Un autre sont les Forces d’autodéfense [SDF] qui peuvent aider à améliorer notre influence et notre stature dans la communauté internationale en contribuant à la sécurité internationale. »

Les missions « humanitaires » sont tout simplement l’excuse du gouvernement Abe et du LDP pour remilitariser plus encore le Japon. Cette politique s’est heurtée à une large hostilité parmi les travailleurs et les jeunes du japon. Le Parti démocrate a pris la pose d’un adversaire d’Abe, mais a proposé un projet de loi en février pour permettre aussi aux SDF d’être déployé à l’étranger, tant que l’opération avait la feuille de vigne d’une approbation de l’ONU, ce que n’exigent pas les lois d’Abe.

(Article paru d’abord en anglais le 17 août 2016)

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