Vingt ans après la «réforme» de l’aide sociale de Clinton

Il y a vingt ans lundi, le 22 août 1996, le président Bill Clinton signait une loi bipartisane mettant fin à la garantie fédérale d’apporter une aide sociale aux pauvres.

Le Personal Responsibility and Work Opportunity Reconcilliation Act of 1996 (loi de 1996 sur la responsabilisation personnelle et la réconciliation avec la possibilité de travailler) a été la première abrogation d’une disposition importante de la loi de la sécurité sociale de 1935, qui faisait du soulagement des personnes âgées, des handicapés, des chômeurs, des mères célibataires et des enfants pauvres un «droit» financé et garanti par le gouvernement fédéral. L’admissibilité à ce qui allait devenir l’Aid to Families with Dependent Children (AFDC) (Aide aux familles avec enfants à charge) a été élargie en 1962.

Plutôt que de fournir un filet de prestations minimales de sécurité, le nouveau programme Temporary Assistance for Needy Families (TANF) (Aide temporaire aux familles nécessiteuses), venu remplacer l’AFDC, a imposé une limite de cinq ans aux versements de prestations à vie, en plus d’imposer des exigences de travail et de formation obligatoires. Le gouvernement fédéral s’est alors contenté d’envoyer un montant fixe d’argent, sous forme de subventions globales, aux divers États, laissés libres d’imposer des restrictions d’admissibilité encore plus sévères et de couper les prestations une fois que l’argent venait à manquer, peu importe combien de gens restaient dans la misère.

En conséquence, des millions de pauvres ont perdu toute aide monétaire et se sont vus privés de tout revenu. Alors que les prestations de l’AFDC avaient toujours été nettement insuffisantes, l’assistance du programme TANF fournit actuellement dans tous les États moins de la moitié du revenu jugé nécessaire par le gouvernement pour éviter la pauvreté. Dans le tiers des États, les subventions sont en deçà de 20 pour cent du niveau de pauvreté officiel.

La loi de 1996 a également coupé l’aide alimentaire aux pauvres. Le resserrement de l’admissibilité à l’aide alimentaire, maintenant appelé le Supplemental Nutrition Assistance Program (SNAP) (Programme d’aide à la nutrition supplémentaire), a eu des conséquences dévastatrices. En raison de la baisse des prestations maximales qui étaient alors en vigueur, une famille ouvrière comptant trois personnes reçoit aujourd’hui près de 400 $ de moins par année, donc 33 $ par mois par rapport à ce qu’elle aurait reçu si la «réforme» de l’aide sociale n’avait pas été adoptée.

Les mesures de Clinton étaient tellement draconiennes qu’elles ont été dénoncées par le sénateur Patrick Moynihan, un démocrate auparavant vilipendé pour s’être joint à l’administration Nixon et avoir lancé les premiers efforts visant à réduire les programmes sociaux. Moynihan a dénoncé les deux grands partis pour «faire de la cruauté envers les enfants un instrument de leur politique sociale».

En annonçant qu’il mettait «fin à l’aide sociale comme nous la connaissons», Clinton affirmait cyniquement que son projet de loi allait aider les bénéficiaires de l’aide sociale à se trouver du travail et à devenir autonomes économiquement. Pur mensonge: la mesure n’a fait que libérer des milliards de dollars qui ont permis de réduire les impôts des sociétés et augmenter les programmes de dépenses militaires, en plus de forcer des millions de travailleurs à accepter des emplois à bas salaires et à temps partiel. Cet afflux de travailleurs désespérément pauvres sur le marché du travail a contribué à la baisse des salaires qui se poursuit à ce jour.

Les médias contrôlés par le monde des affaires ont marqué cet anniversaire en saluant son «succès» et en rappelant avec émotion le soutien bipartisan pour la mesure. Les commentateurs des médias ont avancé que la coopération entre les deux grands partis qui a réussi à détruire l’aide sociale devrait être un modèle pour s’attaquer à l’admissibilité à des programmes sociaux encore plus élémentaires tels que Medicare, Medicaid et la sécurité sociale.

Une série de rapports récents a détaillé l’impact humain des compressions imposées par Clinton:

  • Le nombre d’enfants américains vivant dans des familles dont le revenu mensuel est inférieur à 2 $ par personne et par jour a doublé de 1996 à 2011, selon une analyse publiée en 2013 par le National Poverty Center (Centre national de la pauvreté).

  • Alors que 76 familles recevaient une aide financière sous l’AFDC pour 100 familles pauvres avec enfants en 1995, en 2014, il n’y avait plus que 23 pour cent des familles nécessiteuses qui recevaient de l’aide financière sous le programme TANF. Les niveaux de prestations fixes ayant perdu de la valeur en raison de l’inflation, les paiements en espèces pour une famille de trois en juillet 2015 étaient au moins 20 pour cent en dessous de leur niveau de 1996 dans 35 États et le District de Columbia.

  • Une revue de la loi menée par le National Bureau of Economic Research en 2015 a conclu que «la baisse des prestations sociales accompagnant le fait de quitter l’aide sociale annulait souvent l’augmentation des gains, laissant du coup un revenu final relativement identique». Par ailleurs, «un nombre important de familles monoparentales semblent connaître des conditions pires et des taux de pauvreté plus élevés et plus profonds», définis comme vivant au-dessous de la moitié du seuil de pauvreté fédéral.

  • Au cours de la première décennie de la «réforme» de l’aide sociale, les revenus du dixième le plus pauvre des enfants de mères célibataires ont chuté de 18 pour cent, et le nombre d’enfants vivant dans la profonde pauvreté a augmenté, passant de 2,1 pour cent à 3,0 pour cent – c’est-à-dire de 1,5 million à 2,2 millions – selon le Center for Budget and Policy Priorities (Centre pour les priorités budgétaires et politiques). Bien que le pourcentage d’enfants vivant dans la profonde pauvreté ait été réduit à 2,6 pour cent lors de la décennie suivante, ce fut en grande partie en raison de la prolongation temporaire des allocations de chômage et de la distribution de coupons alimentaires après la grande récession qui se sont depuis largement taries.

  • L’annulation des paiements d’aide sociale aux immigrants légaux par l’imposition de conditions de résidence à long terme a conduit à une baisse des taux d’obtention du diplôme d’études secondaires aussi prononcée que 17 pour cent, selon un récent article paru dans le Washington Post

Pendant qu’il détruisait l’aide sociale, le président Clinton avait le soutien enthousiaste de sa femme, Hillary Clinton, qui est maintenant la candidate démocrate à la présidence des États-Unis. L’ex-président a souligné le rôle de sa femme dans une lettre d’opinion publiée en 2006 dans le New York Times et intitulée «Comment nous avons mis fin à l’aide sociale ensemble». Dans cet article, Clinton se vantait que le nombre d’assistés sociaux avait été réduit, passant de 12,2 millions de personnes à 4,5 millions lors de la première décennie de sa «réforme».

La destruction du système de protection sociale fédéral faisait partie d’une contre-révolution sociale orchestrée par la classe dirigeante américaine et lancée dans les dernières années de l’administration démocrate de Jimmy Carter à la fin des années 1970 et qui s’est accentuée par la suite sous Reagan pendant les années 1980. Elle a marqué l’abandon complet des politiques de réformes libérales associées au New Deal de Roosevelt dans les années 1930 et à la guerre de Johnson contre la pauvreté du milieu des années 1960.

Les Clinton étaient parmi les personnalités dirigeantes du Conseil de la direction démocrate lors de la renonciation à ce type de réformes qui a contribué à faire du Parti démocrate le principal parti de Wall Street.

Après la débâcle de la «réforme» des soins de santé de Hillary Clinton favorable à l’entreprise privée, les démocrates ont subi une déroute aux élections de mi-mandat de 1994, donnant du coup aux républicains, alors dirigés par l’archiréactionnaire Newt Gingrich, le contrôle des deux chambres du Congrès. La réaction des Clinton a été d’aller encore plus vers la droite.

Jeter des millions de bénéficiaires de l’aide sociale dans le dénuement était un effort calculé pour gagner la faveur de l’élite dirigeante et des sections réactionnaires de la classe moyenne supérieure. Dans son actuelle campagne présidentielle, la femme de Clinton a adopté une stratégie similaire, à l’exception que ce coup-ci, elle est encore plus réactionnaire.

La guerre contre les pauvres, avec ses dénonciations de «générations de dépendance» et ses demandes de «responsabilisation personnelle», a coïncidé avec un programme bipartisan d’aide sociale illimitée du gouvernement pour le monde des affaires et les super-riches aux États-Unis. C’était l’époque de l’«exubérance irrationnelle» de Wall Street, de l’abrogation par l’administration Clinton du Glass-Steagall Act et autres réglementations bancaires remontant à la Grande Dépression, de la destruction de millions d’emplois parmi les mieux rémunérés dans l’industrie, de la croissance de la financiarisation et de l’arrivée d’une nouvelle aristocratie financière au sommet de l’économie américaine.

Au cours des derniers sept ans et demi, l’administration Obama a intensifié cette contre-révolution sociale en réduisant les salaires des travailleurs de l’automobile, en déplaçant le fardeau des soins de santé et des retraites sur le dos des travailleurs et en canalisant des billions de dollars vers Wall Street et d’autres billions de dollars vers le Pentagone pour mener une guerre permanente.

Les divers défenseurs de la politique identitaire de la pseudo-gauche et du Parti démocrate caractérisent la «réforme» de l’aide sociale de Clinton comme une mesure raciste. Un article typique en ce sens intitulé «The Racist Roots of Welfare Reform» (Les racines racistes de la réforme de l’aide sociale) a récemment été publié dans le New Republic.

Une telle position ne sert qu’à dissimuler le caractère de classe des attaques menées par le Parti démocrate – et dont les victimes se comptent parmi toutes les races et toutes les nationalités, la majorité étant des Blancs pauvres. En opposition à toutes ces tentatives réactionnaires de diviser la classe ouvrière, le Socialist Equality Party des États-Unis et ses candidats à la présidence et à la vice-présidence, respectivement Jerry White et Niles Niemuth, luttent pour l’union de la classe ouvrière dans la lutte contre le système capitaliste, la source de la guerre, de la pauvreté et de la répression.

(Article paru d’abord en anglais le 23 août 2016)

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