Le Parti libéral du Canada lance une commission d'enquête sur les «femmes autochtones tuées ou disparues»

L’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues ou assassinées a été lancée officiellement au début du mois de septembre par le gouvernement du Parti libéral.

Dirigée par la première juge autochtone de la Colombie-Britannique, la juge Marion Buller, la commission d’enquête, constituée de cinq membres, est chargée d’identifier les «causes systémiques de toutes formes de violence – y compris la violence sexuelle – à l’égard des femmes et des filles autochtones au Canada, notamment les causes sociales, économiques, culturelles, institutionnelles et historiques sous-jacentes».

La mise sur pied d’une telle commission d’enquête était une promesse électorale importante des libéraux et des sociaux-démocrates du NPD lors de la campagne électorale l’année dernière. Ils faisaient appel à la colère populaire devant la profonde indifférence du gouvernement conservateur concernant la pauvreté abjecte dans laquelle la majorité de la population autochtone du Canada vit et devant les taux de violence disproportionnée qui affectent les autochtones, y compris la violence policière.

La commission d’enquête fait partie du programme de «réconciliation» des libéraux envers les autochtones. Ce programme est présenté comme un moyen pour défendre la «justice sociale» et l’«égalité» pour les autochtones et pour faire d’eux des «partenaires à part entière» au Canada. En fait, le premier ministre Justin Trudeau et ses libéraux cherchent à «réconcilier» la population autochtone appauvrie au capitalisme canadien en cultivant une élite autochtone privilégiée. Celle-ci servira de partenaire à la grande entreprise canadienne pour approfondir l’intégration des réserves amérindiennes et du nord du Canada dans le système de profit et réprimer l’agitation grandissante, autant dans les réserves qu’en dehors.

La classe dirigeante canadienne est inquiète des signes grandissants d’opposition sociale parmi la population autochtone, particulièrement chez les jeunes, et de la baisse d'appui, comme ce fut démontré par l’apparition soudaine du mouvement Idle No More en 2012-2013, pour l’Assemblée des Premières Nations (AFN) et d’autres groupes autochtones reconnus officiellement.

Un vaste réservoir de données socioéconomiques montre la détresse sociale parmi la population autochtone du Canada. La pauvreté, le chômage, le décrochage scolaire, la consommation de drogues et le taux d’incarcération sont beaucoup plus élevés que dans le reste de la population canadienne et l’espérance de vie est significativement plus courte.

Ces conditions misérables sont le produit d'un siècle et demi d'exploitation et de discrimination par l'État capitaliste canadien. Afin de créer les conditions pour l'expansion de la propriété privée capitaliste dans l'Ouest canadien, il a dépossédé les peuples autochtones de leurs terres au 19e siècle et a continué d'éliminer la population autochtone par des politiques génocidaires, comme le système d'écoles résidentielles pour autochtones, jusque vers la fin du 20e siècle.

La commission d'enquête des libéraux cherche à détourner l'attention de la responsabilité du capitalisme et de l'État canadiens pour le sort des Premières Nations en défendant un discours réactionnaire qui attribue au sexisme et au racisme de la «société blanche» la cause primaire des taux de violence plus élevés encaissés par les femmes autochtones.

Des groupes de femmes autochtones ont commencé à faire campagne pour une commission d'enquête après qu'un nombre important de cas médiatisés ont montré que la police et les autorités ignoraient complètement les disparitions de femmes et de filles autochtones ou montraient très peu d'intérêt à enquêter sur elles – le cas le plus notoire est celui des victimes du tueur en série de la région de Vancouver, Robert Pickton.

En réponse aux critiques d'indifférence et de négligence visant les autorités, la GRC a produit un rapport en 2014. Il faisait état que plus de 1180 femmes autochtones avaient été soit tuées ou portées disparues dans les 30 dernières années. Il attribuait ce taux beaucoup plus élevé de femmes autochtones assassinées à la «violence domestique».

Le premier ministre conservateur Stephen Harper a brusquement balayé du revers de la main les appels pour une commission d'enquête, disant que les taux de violence plus élevés envers les femmes autochtones n'étaient pas un «phénomène sociologique» – c'est-à-dire un produit de la pauvreté et de l'oppression. «Nous ne devons pas voir cela comme une question sociologique», avait déclaré Harper. «Nous devons voir cela comme un crime.»

La position de Harper allait de pair avec une approche ouvertement agressive envers les autochtones. Non seulement les conservateurs ont mis au rancart une augmentation prévue de 5 milliards dans les dépenses en santé, en éducation et en logement pour les autochtones (les accords de Kelowna de 2005) en faisant d'eux une cible des politiques d'austérité. Ils ont aussi cherché à forcer la construction d'oléoducs et d'autres projets d'extraction des ressources malgré l'opposition de groupes d'autochtones dont les moyens de subsistance allaient être menacés par le développement capitaliste prédateur. Dans l'implantation de cette politique, Harper a oscillé entre ignorer et harceler la direction autochtone petite-bourgeoise que les gouvernements précédents, tant les libéraux que les progressistes-conservateurs, avaient cultivée à partir des années 1970 en tant que mécanisme pour le contrôle de la population autochtone.

Les libéraux, qui ont tourné en dérision les conservateurs pour n'avoir pas réussi à construire un seul kilomètre d'oléoduc, ont adopté une autre tactique, promettant la réconciliation et une relation soi-disant de «nation à nation» avec les autochtones. En faisant revivre les liens d'Ottawa avec l'AFN, en courtisant une couche petite, mais grandissante d'entrepreneurs et de professionnels et en donnant à l'élite autochtone un siège à table lorsqu'il est question d'exploitation des ressources, les libéraux cherchent à donner un «visage humain» à l'oppression continuelle de la population autochtone et à obtenir un «pacte social» pour leurs projets de développement des ressources.

Cela est mis en évidence par la sélection médiatisée par Trudeau de Jody Wilson-Raybould – la fille d'un chef de la Colombie-Britannique qui a suivi les pas de son père en devenant une avocate et qui est par la suite devenue l'un des dirigeants d'Idle No More – en tant que ministre de la Justice du Canada.

Le mandat dicté par le gouvernement à la commission d'enquête la limite explicitement à enquêter seulement sur la violence dirigée contre les filles et les femmes.

La réalité est que la plupart des autochtones du Canada, tant les hommes que les femmes, font face à un haut risque de violence en raison des crimes historiques de l’État capitaliste canadien et des niveaux élevés de pauvreté et d’inégalité sociale qu’ils confrontent chaque jour.

Le sexisme et le racisme ne sont pas la cause de ce fléau, bien que ceux-ci existent dans la société canadienne et que la Loi sur les Indiens, qui refusait aux autochtones le droit fondamental à la citoyenneté jusqu’aux années 1960 et qui gouverne encore largement leurs vies, est intrinsèquement raciste.

Le taux national d’homicides recensé par Statistiques Canada démontre qu’en 2014, les hommes autochtones canadiens avaient sept fois plus de chance d’être victime d’un homicide que les non autochtones, et trois fois plus de risque d’être tués que les femmes autochtones. En 2014, le taux de femmes autochtones tuées était de 3.64 par 100.000, soit six fois le taux pour l’ensemble des femmes non autochtones.

Bien qu’ils ne représentent que 4,3 pour cent de l’ensemble de la population canadienne, les autochtones représentaient, en 2014, 23 pour cent des victimes d’homicide. Les autochtones représentent environ le tiers des 431 personnes accusées d’homicide et près du quart de tous les Canadiens en détention.

Bien que la brutalité et le racisme fréquents des forces de l’ordre fassent partie des principales plaintes des autochtones à travers le pays, le mandat de l’enquête ne comporte aucune directive spécifique sur l'examen du rôle de la police. La commission ne sera pas en mesure de rouvrir des dossiers non résolus, ce qui signifie que les familles n’auront aucune chance de savoir ce qui est arrivé à leurs proches dans les cas où les enquêtes policières ont été sommaires, bâclées ou tout simplement inexistantes. Aussi, la commission n’a pratiquement aucun pouvoir d’examiner attentivement la conduite des policiers. La GRC et les gouvernements provinciaux, qui gèrent la plupart des services policiers au Canada, ont fait beaucoup de pression pour restreindre le mandat de la commission à cet égard.

L’idée même que la police, dont le mépris pour la population autochtone est à peine dissimulé, puisse être amenée à se réformer et «servir» les communautés est absurde et réactionnaire. La GRC est née en 1873 lorsque le premier premier ministre du Canada, Sir John A. Macdonald, créa la Police montée du Nord-Ouest comme mécanisme pour éliminer et déposséder la population autochtone dans l’Ouest canadien. Depuis, la GRC, comme le reste de la police et de l’État canadien, a été l’instrument d’une mince couche dirigeante assurant sa domination sur la vaste majorité – autant les autochtones que les blancs.

Le programme de «réconciliation» du gouvernement Trudeau n’a aucunement comme objectif d’établir les causes véritables des conditions inhumaines auxquelles fait face la majorité de la population autochtone, et encore moins de s’y attaquer sérieusement.

La commission s’inscrit plutôt dans la tentative du gouvernement de camoufler l’exploitation brutale des autochtones derrière une façade «progressiste». À cette fin, le gouvernement fait la promotion de certaines couches privilégiées pour étouffer la colère populaire, y compris la bureaucratie syndicale et, dans le cas des autochtones, une couche petite-bourgeoise privilégiée chargée de gérer les réserves, de diriger les organisations autochtones reconnues par le gouvernement et de faire affaire avec la grande entreprise dans le développement du nord.

Cette réalité est démontrée par le grand battage entourant la hausse du financement aux communautés autochtones. Après deux décennies de compressions de masse, le gouvernement a promis une hausse de 8,4 milliards de dollars répartie sur 5 ans pour la population autochtone. Trudeau a toutefois laissé en place la politique vieille de deux décennies que le gouvernement libéral de Jean Chrétien avait mise de l’avant en 1996, qui impose une hausse limite de 2 pour cent dans les dépenses pour le financement de l’éducation, des soins de santé, du logement et des services sociaux dédié aux réserves. En raison de la croissance de la population et de l’inflation, ce plafond de 2 pour cent s’est traduit par une baisse draconienne dans les dépenses dédiées aux réserves par personne.

Considérant les politiques identitaires qui sous-tendent la commission d’enquête, les soi-disant causes systémiques que cette dernière identifiera dans son rapport final, qui doit être déposé en décembre 2018, sont prévisibles. Le rapport va souligner le manque de juges, de policiers et autres représentants d’origine autochtone au sein de l’État capitaliste. Il notera également l’absence d’une relation «nation à nation» entre l’État canadien et les structures autochtones d’«autogouvernance», c’est-à-dire de leur intégration formelle en tant que «troisième ordre» dans la constitution canadienne comme les conservateurs de Mulroney l’avaient proposé dans l’accord avorté de Charlottetown en 1992.

Le programme propatronal des libéraux empêche toute enquête sérieuse des causes fondamentales du haut taux de violence auquel fait face la population autochtone. Une telle enquête serait forcée de reconnaître le lien direct entre l’émergence du capitalisme canadien au 19e siècle et la dépossession, l’appauvrissement et l’élimination systématiques de la population autochtone. Les conditions terribles auxquelles fait face la majorité du peuple autochtone, tant sur les réserves qu’en dehors, sont une des plus claires expressions du désastre social que confronte l’ensemble de la classe ouvrière canadienne dans un contexte de profonde crise capitaliste. Ces conditions ne seront surmontées qu’à travers une lutte commune unissant les travailleurs et les jeunes – autochtones comme non autochtones – pour la réorganisation socialiste de la société.

(Article paru d'abord en anglais le 6 septembre 2016)

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