La crise politique de la Grande-Bretagne s’amplifie avec le Brexit

Jeudi, le président du Conseil européen Donald Tusk a rencontré le Premier ministre britannique Theresa May à Downing Street pour des entretiens privés.

La réunion a été présentée comme l’occasion de discuter des préparatifs pour la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne et des projets de sommet du Conseil européen en octobre. Un sommet des dirigeants de tous les pays de l’UE, à l’exception du Royaume-Uni, se tiendra à Bratislava la semaine prochaine. Le sommet du 16 septembre, pour discuter de l’avenir post-Brexit de l’UE, est désigné comme étant « informel », car le Royaume-Uni n’a pas encore quitté l’UE. Le Premier ministre britannique n’a pas été invité.

Tusk devra présider le sommet de Bratislava. Il a déclaré, avant de rencontrer May, qu’il était favorable à ce qu’on prenne une ligne dure dans les négociations entre le gouvernement britannique et Bruxelles sur les termes de la sortie de la Grande-Bretagne. Tusk a déclaré : « Nous devons protéger les intérêts des membres de l’UE qui veulent rester ensemble, et non pas ceux de celui qui a décide de la quitter. Cela paraît brutal, mais il doit être évident pour nous tous que nous sommes dans ce processus pour protéger nos propres intérêts européens, les intérêts des 27 pays. »

Tusk exige que le Royaume-Uni fasse amorcer rapidement l’article 50, ce qui débutera le processus de deux ans pour sa sortie officielle. Avant de rencontrer May, il y avait un ton hostile dans un Tweet de Tusk, « La balle dans le camps britannique pour lancer les négociations. Dans l’intérêt de tous de commencer dès que possible ».

May, qui a soutenu la campagne référendaire pour rester dans l’UE, et dont le Parti conservateur est scindé en deux sur la question de la sortie de l’UE, a réitéré sa position à Tusk que l’article 50 ne serait pas activé cette année. Un porte-parole de Downing Street a déclaré : « Le Premier ministre a dit qu’il serait important de travailler ensemble pour s’assurer que le processus se réalise autant que possible sans problème ».

Le Royaume-Uni « prendra du temps pour préparer les négociations », a-t-elle dit, « rappelant que l’article 50 ne sera pas activé avant la fin de l’année ».

La position de May est en contradiction avec de nombreux députés conservateurs et le parti en général, donnant lieu cette semaine à des divisions difficiles à résoudre sur l’Europe. Alors que May était en Chine pour le G20, où son mantra de « Brexit signifie Brexit », a été contesté par les gouvernements des États-Unis et du Japon, David Davis, le partisan le plus en vue du Brexit, a fait une déclaration lors de l’ouverture du Parlement. Il a dit aux députés que la Grande-Bretagne quitterait l’UE et qu’il était « improbable » qu’elle demeure membre du marché unique européen, si « une condition de cette adhésion est l’abandon du contrôle de nos frontières ».

Davis a été nommé secrétaire d’État de la Sortie de l’Union européenne dans le premier Cabinet de May, après avoir succédé à David Cameron, qui a démissionné après le vote référendaire. Mais il a été immédiatement critiqué non seulement par l’opposition du Parti travailliste pro-UE, mais aussi de sections de son propre parti opposées à la perte totale d’accès au marché unique.

Davis a été fortement réprimandé dans les 24 heures par un porte-parole de May qui a déclaré que Davis exprimait « son avis » et non pas la politique du gouvernement. Cependant, au Parlement mercredi, elle a refusé de fournir une réponse directe aux députés qui lui ont demandé de confirmer si le Royaume-Uni resterait membre du marché unique. « Nous n’allons pas divulguer notre posture prématurément et ne fournirons pas un commentaire à vif de chaque tour et détour de la négociation », a-t-elle dit.

Il n’y a aucune indication que l’UE soit susceptible de proposer un compromis à la Grande-Bretagne. Le vote pour le Brexit est seulement l’une des manifestations de la fracture de l’ensemble du projet de l’UE.

La première puissance de l’Europe, l’Allemagne, prend une ligne dure contre le Royaume-Uni. La chancelière Angela Merkel a déclaré d’emblée que les intérêts de l’Allemagne prendront la première place lors des négociations sur le Brexit avec le Royaume-Uni. Sigmar Gabriel, chef de file de ses partenaires sociaux-démocrates de la coalition, et ministre de l’économie, a averti récemment que si d’autres États emboîtent le pas au Royaume-Uni pour la quitter, l’UE « coulerait. » Il a appelé à l’adoption d’une position punitive contre le Royaume-Uni, affirmant que : « Si nous organisons le Brexit de la mauvaise façon, alors nous serons dans le pétrin, alors maintenant nous devons nous assurer que nous n’allons pas permettre à la Grande-Bretagne de garder les belles choses, pour ainsi dire, en rapport avec l’Europe, tout en ne prenant aucune responsabilité ».

Cette semaine, Guy Verhofstadt a révélé qu’il représentera le Parlement européen, aux côtés des négociateurs de l’UE, dans les négociations du Brexit avec le Royaume-Uni. En juillet, M. Verhofstadt avait répété l’opposition fondamentale de l’UE, au maintient de l’accès du Royaume-Uni au marché unique tout en lui permettant de restreindre la libre circulation des personnes, afin de réduire le nombre de migrants (une demande centrale de l’aile anti-UE des conservateurs). Verhofstadt a mis en garde, « Le Parlement européen n’accepterait jamais un accord qui de facto met fin à la libre circulation des personnes pendant une décennie tout en accordant ainsi une remise supplémentaire en échange de tous les avantages du marché unique. Qu’est-ce qui empêcheraient d’autres pays de demander le même statut exceptionnel ? »

Il a ajouté : « La seule nouvelle relation entre le Royaume-Uni et l’Union européenne est celle dans laquelle le Royaume-Uni a un statut d’associé avec moins d’obligations, mais aussi moins de droits. Et si cela est impossible, la position de repli sera un accord commercial ordinaire entre la Grande-Bretagne et l’Union européenne ».

Le vote de sortie de l’UE a eu lieu à l’encontre des intérêts stratégiques de la majorité de l’élite dirigeante de la Grande-Bretagne. Ses représentants expriment bruyamment maintenant leurs préoccupations que le gouvernement est dépourvu de toute stratégie après le vote du Brexit.

Jeudi, le chroniqueur du Financial Times Philip Stephens a écrit : « Les partisans du Brexit qui claironnent maintenant un avenir indépendant brillant, voient la sortie de l’UE comme un événement. En réalité, ce sera un processus long et tortueux – à combustion lente, si vous voulez, avec des coûts, économiques et politiques, qui se feront bien sentir pendant les décennies à venir. »

Stephens a été très critique envers May, déclarant : « Quand elle dit à la Chambre des communes qu’elle n’a pas l’intention de divulguer prématurément sa position de négociation, ce qu’elle signifie vraiment par là est qu’elle n’a pas encore trouvé une position ». Il a ajouté : « Les fanfares médiatiques entourant une discussion à longue haleine du cabinet sur le Brexit […] dissimulent l’absence de convergence de fond vers des objectifs stratégiques ».

Vendredi, The Economist a écrit que 77 jours après le vote du Brexit, « le mantra de May, « Brexit signifie Brexit », est devenu un cliché écorné ».

Il a déclaré : « La justification pour rester dans le marché unique est simple : les économistes disent que cela permettra de minimiser les dommages économiques du Brexit. Un Brexit « dur » qui consiste à quitter le marché unique sans des accords complets de libre-échange avec l’UE et les pays tiers se traduirait par une plus grande baisse de l’investissement et de la production ».

Au cœur des efforts des conspirateurs de droite du Parti travailliste pour éliminer Jeremy Corbyn comme chef du parti, il y a le but de remodeler le parti comme l’outil politique pour annuler le résultat du référendum.

Étant donné que le Parti conservateur (Tory) est âprement et définitivement déchiré sur la question de l’Europe, les conspirateurs, avec le soutien de l’appareil de renseignement britannique et américain, voient le Parti travailliste comme le moyen le plus efficace d’établir un véhicule pro-UE, pro-OTAN qui représenterait les intérêts stratégiques de l’impérialisme britannique.

L’accès de la Grande-Bretagne au Marché unique a été au cœur des attaques les plus vocales encore faites contre Corbyn par Owen Smith, son rival pour diriger le parti, dans un débat organisé par la BBC jeudi. Smith a déclaré que s’il est élu chef du Parti travailliste, il ferait campagne pour un second référendum. Interrogé par le modérateur s’il avait l’intention d'« ignorer le vote Brexit », Smith a répondu : « Eh bien, exactement ».

(Article paru en anglais le 10 septembre 2016)

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