L'Inde accuse le Pakistan d’avoir monté l'attaque sur sa base au Cachemire

Dix-sept soldats indiens sont morts et au moins 20 ont été grièvement blessés dimanche quand des combattants ont attaqué une base militaire indienne à Uri, près de la Ligne de Contrôle (LoC), la frontière de fait entre l'Inde et le Pakistan dans la région contestée du Cachemire

Les combats ont duré entre 5h30 et 8h30, les quatre assaillants seraient tous morts. Les autorités indiennes ont répondu par « l’intensification » du dispositif des forces de sécurité déjà massive dans la vallée du Cachemire.

L'attaque accroît le danger d’une guerre en une Asie déjà déstabilisée par la stratégie des États-Unis de faire de l'Inde un poste d'avant-garde dans ses préparatifs pour faire la guerre à la Chine, ainsi que par les troubles sociaux et politiques au Cachemire lui-même.

Pour l’instant, aucune organisation n'a revendiqué l'attaque à Uri. Cependant, l'Inde a immédiatement accusé le Pakistan et promis de venger la mort de ses soldats.

Selon l'armée indienne, les assaillants décédés à Uri apparetiennent au groupe islamiste Jaish-e-Muhammad (JeM) pro-pakistanais. L’armée a affirmé que les combattants du JeM avaient traversé la LoC et lancé leur attaque sur la base du côté le plus éloigné de la ligne de contrôle LoC, et vraisemblablement le moins bien défendu.

« Selon les premières informations, les terroristes tués appartiendraient à Jaish-e-Muhammad Tanzeem», a dit le directeur général des Opérations militaires indiennes, le lieutenant-général Ranbir Singh. « Quatre fusils AK-47 et quatre lance-grenades, ainsi que des provisions de guerre ont été récupérées d'eux. »

Les responsables civils indiens, des officiers actifs et retraités, et la presse ont réagi à l'attaque par des menaces belliqueuses.

« J’assure la nation que les commanditaires de cette attaque ignoble ne resteront pas impunis,» a juré le Premier ministre Modi, alors que son ministre de l'Intérieur Rajnath Singh tweetait, "Le Pakistan est un Etat terroriste et doit être identifié et isolé en tant que tel."

De nombreuses déclarations de personnalités en vue démontrent qu'un point tournant a été atteint. Shekar Gupta, l’ancien rédacteur en chef de l'Indian Express: "Si le Pakistan pense que [l’]attaque d’Uri provoquera la non-réponse indienne habituelle, c'est une illusion. L’Inde actuelle a abandonné sa vieille retenue stratégique ».

L'élite militaro-sécuritaire indienne et les groupes suprémacistes hindous qui constituent une base essentielle au BJP dirigeant, ont longtemps préconisé que l'Inde réagisse à une attaque depuis le Pakistan par la force. Islamabad a signalé qu'il considérerait une telle action comme un acte de guerre. Ceci soulève la possibilité que des «représailles» indiennes pourraient rapidement dégénérer en une guerre entre deux Etats rivaux disposant d'armes nucléaires.

Parmi le flot de déclarations belliqueuses, le lieutenant-général Ranbir Singh a déclaré que l’armée était prête à donner « une réponse digne» à «tout mauvais desseins de l'adversaire. »

Des liens existent depuis longtemps entre les groupes islamistes au Cachemire, dont le JeM, et le renseignement pakistanais. Toutefois, le Pakistan a rejeté les accusations indiennes. "L'Inde tient immédiatement le Pakistan comme responsable sans mener une enquête. Nous rejetons cela", a dit le porte-parole du ministère des Affaires étrangères Nafees Zakaria. t

L'armée pakistanaise a déclaré que les allégations sont « sans fondement et prématurées», réitérant sa position que le Pakistan ne permet plus aux insurgés cachemiris d’infiltrer le Cachemire depuis son côté de la ligne de contrôle.

Washington a condamné l'attaque d’Uri et réaffirmé son partenariat stratégique avec l'Inde, tout en évitant un commentaire sur l’accusation de New Delhi que le Pakistan est responsable. Le porte-parole du département d'Etat américain John Kirby a déclaré que Washington condamne « fermement » l'attaque. «Nous adressons nos condoléances aux victimes et à leurs familles.» «Les États-Unis», a ajouté Kirby, "sont attachés à notre partenariat solide avec le gouvernement indien pour combattre le terrorisme."

L'attaque souligne le rôle réactionnaire des diverses milices islamistes pro-pakistanaises qui exploitent la colère sociale de masse au Cachemire indien, et la réponse belliqueuse du gouvernement indien lui-même. Les conflits qui en résultent approfondissent les tensions communautaires et régionales dans le sous-continent indien, et augmentent le danger d'une guerre entre deux puissances nucléaires, le Pakistan et l’Inde, ainsi que leurs alliés, la Chine et les Etats-Unis.

L'Inde et le Pakistan se sont affrontés au Cachemire à trois reprises après le premier conflit en 1947- 48, peu après la partition de l'ancien Empire britannique en un Pakistan à majorité musulmane et l’Inde à majorité hindoue.

One traite parfois la région de « poudrière nucléaire» en raison du caractère toxique de la rivalité entre les bourgeoisies indiennes et du Pakistan, qui se sont dotées d'armes nucléaires, quand même s’ils sont incapables de pourvoir aux besoins les plus élémentaires à des masses.

Le Cachemire a une importance croissante pour la Chine. Pékin construit une pipeline et des autoroutes qui relient l'ouest de la Chine et le Cachemire pakistanais au port de Gwadar sur l'Océan indien. Cette route a une grande valeur stratégique pour Pékin. En cas de guerre, elle lui permettrait de contourner partiellement un blocus américain qui contrôlerait les goulots d’étranglement du commerce chinois dans l'Océan Indien et en mer de Chine méridionale.

L’agitation de masse au Cachemire

L'attaque à Uri est intervenu alors que les forces de sécurité indiennes réprimaient violemment des manifestations de masse contre l'administration indienne du Cachemire.

Le Cachemire indien est en proie à des troubles violents depuis plus de deux mois. Il y a des protestations et des affrontements presque quotidiennement avec les forces de l'ordre. Plus de 85 personnes son tmortes dans des manifestations anti-indiennes, et un couvre-feu illimité a été décrété suite à l’assassinat par les forces de l'ordre indiennes le 8 juillet de Burhan Wani, un chef de file de la milice islamiste propakistanaise Hizbul Mujahideen.

Samedi, des milliers ont défié le couvre-feu pour assister aux funérailles d'un écolier de onze ans, Nasir Shafi, dont le corps a été retrouvé criblé de plombs de fusil. La police aurait tiré des gaz lacrymogènes sur les personnes en deuil.

Une unité paramilitaire indienne, a déclaré au à la Haute Cour de Jammu et Cachemire qu'elle avait tiré 1,3 millions de plombs de fusil en 32 jours.

"C’est la première fois que je vois autant de gens blessés. La chevrotine a également été utilisée lors des troubles de 2010, mais cette fois [les forces gouvernementales] l’utilisent à grande échelle », a fait savoir un médecin anonyme à Al Jazeera. «Nous recevons, presque tous les jours, les personnes blessées par des plombs de fusil ; la plupart des patients perdent la vue. »

Un autre médecin dans un hôpital de la capitale du Cachemire indien, Srinagar, a déclaré que 756 personnes ont été touchées aux yeux au cours des 72 derniers jours.

Dans ce contexte explosif, l'attaque à Uri accentue les tensions militaires régionales et mondiales. Alors que Washington affronte agressivement Pékin dans les mers de Chine méridionale et orientale, il renforce également l’Inde pour servir de contrepoids à la Chine.

Le mois dernier, l'Inde a signé un accord donnant l'accès régulier des ses ports et bases militaires aux forces américaines. Washington, pour sa part, a reconnu l'Inde comme « partenaire majeur de la Défense », et elle peut maintenant acheter des armements américains avancés.

Le Pakistan, dans un langage de plus en plus strident, a averti que l’alliance indo-américaine a renversé l'équilibre des forces en Asie du Sud, alimentant ainsi une course aux armements conventionnels et nucléaires. Mais Washington a allègrement ignoré ces préoccupations.

Confronté par l'alliance stratégique indo-américain en plein essor, le Pakistan et la Chine se rapprochent de plus en plus. Le conflit entre l'Inde et le Pakistan est ainsi devenu empêtré avec la confrontation sino-américaine, en ajoutant à chacun une nouvelle charge massive et hautement explosive.

(article paru en anglais le 19 septembre 2016)

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