Le gouvernement allemand projette une extension massive des services d’espionnage

Le gouvernement allemand envisage une extension massive de ses agences de renseignement. Le financement de l’Office fédéral de protection de la constitution (Bundesamt für Verfassungsschutz, BfV) devrait être augmenté de 18 pour cent l’année prochaine tandis que le service fédéral de renseignement extérieur allemand (Bundesnachrichtendienst, BND) recevra une augmentation de 12 pour cent. C’est ce que révèle le groupement de recherche (Rechercheverbund) des chaînes publiques NDR et WDR et du quotidien Süddeutsche Zeitung.

L’extension des agences allemandes de renseignement fait partie d’un considérable renforcement de l’appareil d’État sur le plan intérieur et extérieur. Selon le ministre allemand de l’Intérieur, Thomas de Maizière, (Union chrétienne-démocrate, CDU), 7000 nouveaux postes seront créés rien que dans la police fédérale entre 2016 et 2020. Dans son discours prononcé mardi dernier au parlement (Bundestag) lors du débat sur le budget, le ministre des Finances, Wolfgang Schäuble, a annoncé, en plus de l’augmentation du budget de la défense, une « hausse significative de plus de 2,2 milliards d’euros d’ici 2020 des dépenses relatives à la sécurité intérieure par rapport au précédent projet de financement ».

Cette augmentation est officiellement justifiée par des déficits sécuritaires et des lacunes dans la lutte contre le terrorisme. En fait, l’objectif de ces mesures exhaustives est une surveillance des plus vastes possibles de la population et la mise en place d’un État policier.

Dans les conditions d’une opposition accrue contre la course à la guerre dans laquelle sont engagés les principaux partis, contre l’inégalité sociale croissante et la crise économique prolongée, l’élite dirigeante est en train de se préparer sciemment à l’éclatement d’une lutte de classes ouverte.

Des documents budgétaires secrets reçus par le Süddeutsche Zeitung montrent clairement l’étendue du renforcement de la sécurité intérieure. Le BfV bénéficiera l’année prochaine d’une hausse de 45 millions d’euros de son financement. Avec un budget s’élevant à 307 millions d’euros, ceci correspond à une augmentation de 18 pour cent en l’espace d’un an.

D’après le journal, le BND doit aussi être sensiblement renforcé. Son budget augmentera de 12 pour cent pour passer à 808 millions d’euros, soit 86 millions de plus.

Le BND planifie entre autres, l’interception, le filtrage et le traitement de communications non standardisées. Ceci inclura les services de messagerie tels WhatsApp qui ces dernières années ont de plus en plus remplacé les textos. Selon un article paru en février de cette année dans le magazine Focus plus d’un milliard de personne de par le monde utilisent maintenant WhatsApp en envoyant plus de 42 milliards de messages par jour.

Le « projet Panos » prévu par le BND doit être utilisé pour déchiffrer des messages partiellement codés. Comme le rapporte le Süddeutsche Zeigung, le BND ne lit actuellement que 10 services de messagerie sur les 70 utilisés dans le monde. C’est dans ce but que 21,5 millions d’euros ont été mis de côté dans le budget. Selon ce rapport, le BND n’est pas seulement préoccupé par les métadonnées mais aussi par le contenu des messages chat qui sont échangés. Au besoin des firmes extérieures pourraient être engagées pour effectuer le décodage.

Un programme appelé « Zerberus » est censé aider le BND à intercepter des discussions menées par téléphone satellite. Les écoutes des câbles à des points clé pour les données intérieures au pays doivent aussi être intensifiées comme le signale tagesschau.de. De plus, 55 millions d’euros supplémentaires ont été rendus disponibles pour la « modernisation technique en général » du BND.

Les projets concrets du BfV ne sont pas spécifiés dans les documents secrets. Néanmoins, la direction du BfV est on ne peut plus claire. Le service de renseignement intérieur est doté d’effectifs bien plus nombreux que par le passé avec 470 postes supplémentaires cette année et 100 autres prévus pour 2017. Le BfV a donc grandit rapidement au cours de ces dernières années. Si ce budget devait être approuvé, le budget du BfV aura triplé depuis 2000, a indiqué tagesschau.de.

Les ressources supplémentaires visent à approfondir les liens entre l’agence fédérale et les différentes agences de sécurité des Länder. À ce titre, fut-il déclaré, le BdV doit « à moyen terme de plus en plus assumer le rôle d’agence centrale » pour les différentes agences de surveillance des Länder. De plus, les bases de données du BfV seront reliées à celles du registre central des étrangers (AZR). Le domaine de la cyber défense doit lui aussi être renforcé.

L’espionnage de la population n’est pas seulement effectué par voie électronique. Le BfV a engagé une somme de 2,8 millions d’euros pour le paiement et les frais des informateurs.

Le renforcement de l’agence de renseignement intérieur dispose aussi d’une importante composante de politique étrangère. À ce jour, le BfV dépend lourdement de la coopération avec l’agence nationale de sécurité américaine (NSA), y compris de l’utilisation du logiciel XKeyScore, comme les révélations du lanceur d’alerte Edward Snowden l’ont montré en 2013. D’après tagesschau.de, les actuels développements marquent une « émancipation par rapport aux agences américaine. À long terme, les agences allemandes prévoient manifestement d’être en mesure d’opérer de façon plus indépendante. »

Le parti Die Linke (La Gauche) et les Verts soutiennent la mise en place d’un appareil d’État policier et de surveillance. Toutes leurs critiques émises contre les projets du gouvernement pour renforcer l’appareil d’État se font par la droite.

« C’était d’ailleurs l’opposition qui avait réclamé plus de police, » a dit Dietmar Bartsch, le président du groupe parlementaire de Die Linke, alors qu’il cherchait à s’attribuer l’initiative de De Maizière. Dans le même temps il reprochait devant le parlement à la grande coalition d’être « responsable d’une mauvaise politique d’austérité budgétaire et de gestion du personnel ». Elle avait fait de la police « une victime de l’austérité » en ayant « supprimé 17 000 emplois de policiers » depuis 1998. Ce qui est nécessaire selon lui c’est « un État capable d’agir », ce qui inclue « des gens bien équipés et bien formés dans la fonction publique, et notamment dans la police ».

(Article original paru le 13 septembre 2016)

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