Le Président de la Commission européenne appelle au renforcement des États et à la guerre

Deux jours avant le sommet post-Brexit à Bratislava vendredi, le Président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, a prononcé son discours annuel de l’état de l’Union européenne. Prenant la parole devant le Parlement européen, il a averti que l’Union européenne est confrontée à « une crise existentielle » et a précisé que l’élite dirigeante européenne n’a rien à offrir à la classe ouvrière européenne en dehors de l’austérité, du nationalisme, du renforcement de l’État policier et de la guerre.

« Je ne me présente pas devant vous aujourd’hui pour vous dire que maintenant tout va très bien. Ce n’est pas le cas, » a-t-il dit. « Je suis témoin de plusieurs décennies d’intégration européenne, mais je n’avais jamais vu auparavant si peu de points communs entre nos États membres. Tellement peu de domaines où ils sont d’accord pour travailler ensemble […] Notre Union européenne est, au moins en partie, dans une crise existentielle. »

Juncker a reconnu que la crise historique de l’UE reproduit les mêmes divisions nationales et l’effondrement politique qui ont plongé le continent dans deux guerres mondiales au XXe siècle. « Je n’ai jamais vu auparavant des gouvernements nationaux à ce point affaiblis par les forces du populisme et paralysées par le risque de la défaite aux prochaines élections, » a-t-il averti.

« Les douze prochains mois seront décisifs si nous voulons ré-unir notre Union, » a ajouté M. Juncker. Il « propose donc un agenda positif des actions européennes concrètes pour les douze prochains mois. »

En réalité, il n’y a pas d’« agenda positif ». Juncker a pratiquement admis que les politiques de l’UE ont privé toute une génération d’un avenir meilleur. « Je ne peux pas et je n’accepterai pas que la génération du Millénaire ou la génération Y, puissent être la première génération en 70 ans à être plus pauvres que leurs parents ». Venant d’un homme qui a supervisé des années d’austérité profonde qui ont réduit les salaires et le niveau de vie en Grèce et dans toute l’Europe, c’est d’un cynisme absolu.

Dans une tentative de dissimuler le caractère de classe de l’UE, et de canaliser la colère croissante parmi les travailleurs européens dans une direction antiaméricaine et nationaliste, Juncker a allégué : « L’Europe n’est pas le ''Far West'', mais une économie sociale de marché. En Europe, les consommateurs sont protégés contre les cartels et les abus des entreprises puissantes. Cela vaut pour les géants comme Apple aussi. »

De qui Juncker se moque-t-il ? Ceux qui sont protégés dans l’Europe capitaliste – comme dans l’Amérique capitaliste – ce sont les super-riches et les banques ! Après des années de déréglementation et d’austérité, au bout du compte les travailleurs européens sont confrontés aux mêmes conditions dévastatrices que leurs frères et sœurs de classe aux États-Unis. Lorsque Juncker critique Apple, qui est impliqué, comme la plupart des grandes entreprises, dans la fraude fiscale à grande échelle, cela n’a rien à voir avec la protection des travailleurs européens. Au contraire, il souligne les tensions croissantes au moment où l’UE cherche à faire valoir ses propres intérêts de manière plus indépendante des États-Unis voire directement contre ce dernier.

« L’Europe ne peut plus se permettre de profiter de la puissance militaire des autres, ou de laisser la France seule à défendre son honneur au Mali, » a déclaré Juncker, appelant pratiquement à une escalade majeure des forces militaires européennes dans les guerres en cours en Afrique et au Moyen-Orient.

Juncker a également promis une importante escalade militaire : « Pour que la défense européenne soit forte, l’industrie européenne de défense doit innover », a-t-il dit. « Voilà pourquoi nous allons proposer avant la fin de l’année un Fonds européen pour la défense, afin de donner un effet de turbo à la recherche et de l’innovation. »

Juncker a confirmé les plans de l’UE, de longue date, ravivés par les ministres de la Défense, Ursula von der Leyen pour l’Allemagne et Jean-Yves Le Drian pour la France, dans leur proposition, émise dans le cadre des préparatifs du sommet, de transformer de fait l’UE en un État policier et militaire.

« L’Europe a besoin de s’endurcir, » a déclaré Juncker. « Nulle part n’est-ce plus vrai que dans notre politique de défense. Le Traité de Lisbonne permet aux États membres qui le souhaitent, de mettre en commun leurs capacités de défense sous la forme d’une coopération structurée permanente. Je pense qu’il est temps de faire usage de cette possibilité. »

Juncker a appelé de ses vœux : « une stratégie européenne pour la Syrie » et que Federica Mogherini, Haut-Commissaire de l’UE pour la politique étrangère, devienne : « notre ministre européen des Affaires étrangères, par l’intermédiaire de laquelle tous les services diplomatiques, de grands et petits pays semblables, mettent en commun leurs forces pour atteindre l’effet de levier dans les négociations internationales. »

Ce plan à lui seul en dit long sur la stratégie réactionnaire de l’UE. Mogherini a dirigé la poussée de l’UE pour des politiques militaire et étrangère communes pour l’Europe après le vote du Royaume-Uni de se retirer de l’UE. Lors du premier sommet de l’UE sans la participation britannique à la fin de juin, elle a présenté un document intitulé « La stratégie mondiale pour la politique étrangère et sécuritaire de l’Europe. » L’objectif au cœur de cette stratégie était que l’UE devienne une puissance militaire agressive capable de faire la guerre indépendamment des États-Unis.

L’Europe « doit être mieux équipée, formée et organisée pour contribuer de manière décisive à ces efforts collectifs, ainsi qu’agir de manière autonome si et quand c’est nécessaire, » exige ce document. Il fait appel à un programme de réarmement massif et montre clairement qu’il n’y a pratiquement pas de limite géographique à la portée potentielle d’une force militaire de l’UE. Bruxelles se réserve le droit d’intervenir non seulement dans les régions déchirées par la guerre en Afrique du Nord, Moyen-Orient et Europe de l’Est, mais partout dans le monde.

Les intérêts déclarés de l’UE comprennent « la garantie de routes océaniques et maritimes ouvertes et protégées qui est critique pour le commerce et l’accès aux ressources naturelles. » À cette fin, « l’UE contribuera à la sécurité maritime mondiale, en tirant parti de son expérience dans l’océan Indien et la Méditerranée, et explorera les possibilités dans le Golfe de Guinée, la mer de Chine méridionale et le détroit de Malacca. »

La poussée pour empêcher l’éclatement de l’UE en préparant des guerres mondiales est instiguée surtout par Berlin. « Le Livre blanc 2016 sur la politique de sécurité allemande et l’avenir de la Bundeswehr » publié récemment par l’Allemagne accueille explicitement : « la nouvelle stratégie globale des politiques étrangère et sécuritaire de l’Union européenne, » tout en indiquant qu’elle « apportera une contribution importante au renforcement de la capacité de l’UE à agir dans le domaine des politiques étrangère et sécuritaire. »

« Dès le début, l’Allemagne a joué un rôle actif dans le soutien du développement de cette nouvelle stratégie », se vante la doctrine officielle de la politique étrangère de Berlin.

Les plans franco-allemands actuels, tels que la création d’un quartier général militaire unifié de l’UE, ont également été énoncés d’abord dans le livre blanc de Berlin. À moyen terme, un « siège opérationnel permanent civil et militaire » est nécessaire, déclare-t-il, avec une « planification et une capacité de commandement et de contrôle au niveau civile et militaire ». Ce n’est que de cette manière, que le « poids politique des pays de l’Europe » peut être maintenu à long terme, ainsi que les « intérêts sécuritaires de l’UE », compte tenu « des changements géopolitiques et de l’évolution démographique mondiale ».

La poussée, surtout par la classe dirigeante allemande, pour organiser l’Europe militairement après le Brexit afin de défendre ses intérêts géostratégiques et économiques à l’échelle mondiale ne fait qu’augmenter les tensions entre les puissances européennes et le risque d’une nouvelle grande guerre entre les puissances impérialistes.

L’Amiral britannique Lord West a été cité par le tabloïd The Sun la semaine dernière : « À cause du Brexit, je pense que l’Europe est dans une situation délicate, je pense qu’il est regrettable que nous ne soyons pas restés dedans, parce qu’ils ont vraiment besoin de notre expertise militaire. Je peux voir des bouts de l’Europe en train de se briser et quand l’Europe se retrouve dans le pétrin, deux fois dans le passé nous avons dû aller là-bas pour y mettre un terme avec une immense perte de sang et de vies. »

(Article paru d’abord en anglais le 15 septembre 2016)

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