Avec l’Inde qui promet de « punir » le Pakistan pour l’attaque que des militants islamistes ont monté sur une base de l’armée indienne à Uri dans la région contestée du Cachemire, une campagne concertée a commencé dans les médias américains indiquant du soutien pour l’action agressive indienne contre le Pakistan. Étant donné que l’Inde et le Pakistan sont des États dotés d’armes nucléaires qui se sont livrés quatre guerres sanglantes l’un contre l’autre, cette campagne est extrêmement téméraire.
Mercredi, le Wall Street Journal a présenté un article sur la politique du Premier ministre indien Narendra Modi intitulé « La retenue de Modi envers le Pakistan ». Le Journal a écrit : « Modi pratique la retenue pour le moment, mais Islamabad ne peut pas compter sur la poursuite d’une telle politique. L’offre de coopération de Modi, si elle est rejetée, sera un motif de plus pour faire du Pakistan encore plus une nation paria qu’il ne l’est déjà ».
Le Journal a prévenu : « Si l’armée [pakistanaise] continue d’envoyer des armes et des combattants à travers la frontière, le Premier ministre indien aura une très bonne raison pour prendre des mesures. »
De même, le Los Angeles Times a publié un article intitulé : « L’Inde possède l’une des plus grandes armées du monde, pourquoi ne l’utilise-t-il pas ? » L’article a noté qu’il y a : « des appels croissants à l’intérieur de l’Inde – maintenant une grande économie avec la plus forte croissance du monde, avec des aspirations à devenir une puissance mondiale – à éprouver son pouvoir ». ajoutant : « la réputation internationale du Pakistan s’effiloche, comme son alliance de longue date avec les États-Unis ».
Le Times a également cité les critiques de l’ancien responsable du renseignement indien, Vikram Sood, contre la politique actuelle de « retenue » envers le Pakistan : « Qu’avons-nous tiré de cette politique, à part plus de morts et plus de tueries ? […| Nous les Indiens, nous disons continuellement que la guerre n’est pas une option. Nous devons dire que la guerre est une option, mais qu’elle est laide. »
Ces articles représentent une approbation de l’atmosphère de plus en plus belliqueuse, voire hystérique, que les politiciens, l’establishment de la sécurité nationale et les médias de l’Inde ont attisée à la suite de l’attaque sur Uri le 18 septembre, qui a tué 18 soldats indiens.
Le mardi, l’Inde a annoncé que Modi ne participera pas au sommet de l’Association sud-asiatique de coopération régionale (SAARC), une réunion régionale des huit pays d’Asie du Sud, qui se tiendra au Pakistan en novembre. L’Inde a également annoncé qu’elle se permettra de maximiser ses prélèvements d’eau dans le cadre du Traité de 1960 sur l’eau de l’Indus jusqu’à la limite légale, serrant ainsi le Pakistan, qui a été en proie à la sécheresse et des pénuries d’électricité. Le pays a également signalé qu’il pourrait abroger le traité entièrement. Par la suite, le Pakistan a averti qu’il jugerait l’abrogation du traité sur l’eau comme un « acte de guerre ».
Dimanche, Modi a comparé l’attaque d’Uri à la guerre indo-pakistanaise de 1965 et a salué la fièvre guerrière nationaliste qui se développait selon lui en Inde. « Il y a beaucoup de valeur à la colère que les gens du pays ont. C’est un symbole de l’éveil du pays, » a-t-il dit. « Cette colère est du genre à “faire quelque chose” [… Lorsque la guerre de 1965 [avec le Pakistan] a éclaté et Lal Bahadur Shastri dirigeait le pays, le sentiment était semblable : la colère dans le pays. Il y avait une fièvre du nationalisme. Tout le monde a tenu à faire quelque chose ».
De même, le major général indien à la retraite G. D. Bakshi, a publié un déchaînement hystérique qui exigeait que l’Inde détruise le Pendjab pakistanais, apparemment avec des armes nucléaires. « Le Pakistan fait un cinquième de la taille de l’Inde, » a déclaré Bakshi dans une émission de télévision indienne. « Si on tire même une partie de notre arsenal, la plus grande partie sera sur le Pendjab pakistanais, d’où l’armée pakistanaise vient : aucune culture ne va y croître pendant 800 ans ! […] Arrêtons de nous auto-dissuader ! »
La couverture médiatique américaine de la dernière crise de la guerre indo-pakistanaise indique qu’il y a une faction croissante à Washington, y compris dans l’establishment militaire et sécuritaire, qui est prête à laisser les mains libres à l’Inde pour traiter avec le Pakistan.
Cela a des implications inquiétantes pour le conflit indo-pakistanais et représente une escalade très dangereuse des tendances guerrières impérialistes en Asie.
Pour plus d’une décennie, Washington a travaillé pour faire de l’Inde un contrepoids à la Chine, et depuis le lancement de son « pivot vers l’Asie » contre la Chine en 2011, afin de l’établir comme un état de la « ligne de front » dans ses efforts pour isoler stratégiquement la Chine, l’encercler et se préparer à la guerre contre elle.
Cela attise non seulement des tensions entre Pékin et New Delhi, mais aussi la rivalité stratégique entre l’Inde et le principal allié sud-asiatique de la Chine, le Pakistan. Cette rivalité est historiquement enracinée dans la partition réactionnaire de l’Inde britannique à l’indépendance formelle, en 1947-48, entre un Pakistan explicitement musulman et l’Inde à majorité hindoue. Sept décennies plus tard, cette rivalité menace de provoquer une guerre ouverte, potentiellement un conflit nucléaire entre l’Inde et le Pakistan qui pourrait rapidement entraîner les États-Unis et la Chine.
Depuis le tournant du siècle, Washington a cherché à renforcer ses liens militaires et stratégiques avec l’Inde contre la Chine. En 2005, New Delhi et Washington ont signé un Accord-cadre de défense et, grâce à l’accord nucléaire indo-américain de 2008, l’Inde a eu accès à de la technologie et du combustible nucléaires civiles de pointe, ce qui lui permet de concentrer son programme nucléaire maison sur le développement des armes. L’Inde achète des systèmes d’armes avancés américains, et le mois dernier Washington et New Delhi ont signé un Protocole d’entente pour l’échange des logistiques (Lemoa) donnant à l’armée américaine un accès systématique à des bases indiennes, et le pouvoir d’y stocker du matériel « en position avancée ».
L’une des principales cibles de l’alliance américano-indienne qui se développe rapidement est l’expansion des liens stratégiques sino-pakistanais.
La Chine considère le Pakistan comme un partenaire clé, car il accélère son projet ambitieux « Une route, une région » (OBOR) qui vise à relier la Chine à l’Asie centrale, au Moyen-Orient, et, à long terme, l’Europe, contestant ainsi l’hégémonie des États-Unis sur le continent eurasiatique. Pékin a annoncé le projet OBOR en 2013, peu de temps après que Washington a annoncé qu’il réduisait sa force d’occupation en Afghanistan.
Un élément clé de OBOR est le couloir économique Chine-Pakistan (CPEC). Le CPEC se compose de divers projets pétroliers, infrastructures routières et ferroviaires reliant la ville de Gwadar dans la région du Baloutchistan sud-ouest du Pakistan à la région du nord-ouest de la Chine du Xinjiang. En février 2013, le Pakistan a attribué le contrat opérationnel pour le port de Gwadar à la Chine. Le CPEC a une grande importance stratégique pour la Chine, car elle permettrait à Beijing de contourner partiellement les plans du Pentagone pour imposer un blocus économique sur la Chine en saisissant l’océan Indien et de la mer de Chine méridionale en tant que « goulots d’étranglement. »
Comme Washington, New Delhi considère l’OBOR et le CPEC comme des menaces importantes, portant atteinte à son influence stratégique en Asie. The Diplomat a écrit, « L’Inde s’oppose fortement au couloir proposé dans le CPEC et au développement du port de Gwadar principalement pour deux raisons. En premier lieu, le couloir prévu passe à travers les territoires controversés de Gilgit-Baltistan et du Cachemire entre l’Inde et la Chine et entre l’Inde et le Pakistan respectivement. Deuxièmement, l’Inde craint que Gwadar devienne effectivement une base navale chinoise. »
Avec le soutien plus ou moins explicite des États-Unis, l’Inde adopte une politique irresponsable en fomentant le séparatisme ethnique en Chine et au Pakistan. En avril, les responsables américains ont assisté à une conférence des organisations séparatistes chinoises financées par des États-Unis à Dharamsala en Inde signalant ainsi le soutien indien et américain pour le séparatisme à la fois au Tibet et au Xinjiang.
Alors que l’Inde a accusé Islamabad de soutenir le groupe militant pakistanais Jaish-e-Mohammad (JeM) au Cachemire, le Pakistan a publiquement accusé l’Inde de soutenir l’insurrection et le terrorisme au Baloutchistan à travers ses consulats en Afghanistan.
Depuis la mi-août, dans ce que la presse indienne a salué comme un coup stratégique, le gouvernement de Modi a monté une campagne internationale dénonçant le Pakistan pour des violations des droits de l’Homme au Baloutchistan, et, dans un mouvement destiné à signaler qu’il est prêt à travailler pour le démembrement du Pakistan, il a dit qu’il fournira aux séparatistes Balochi plus « d’espace politique » pour fonctionner en Inde.
Les structures d’alliances traditionnelles en Asie s’effondrent rapidement. Les relations entre Washington et Islamabad se sont considérablement affaiblies depuis que les États-Unis ont décidé de retirer la majeure partie des troupes américaines d’Afghanistan, laissant quelque 10 000 soldats pour l’occupation américaine jusqu’en janvier 2017.
Washington continue à exercer des pressions diplomatiques sur le Pakistan pour rompre les relations militaires d’Islamabad avec les sections des talibans et du réseau Haqqani qui luttent contre les forces d’occupation de l’OTAN menées par les Américains et le gouvernement fantoche de l’Afghanistan. La semaine dernière, deux législateurs républicains ont introduit un projet de loi au Congrès américain visant à désigner le Pakistan comme un État qui sponsorise le terrorisme, toutefois il n’est pas prévu actuellement qu’il soit adopté.
Comme les relations entre Washington et Islamabad se détériorent, le Pakistan envisage également de prendre l’initiative sans précédent de développer des liens stratégiques avec la Russie. Pendant la guerre froide, le Pakistan était traditionnellement soutenu par Washington tandis que son rival, l’Inde, était allié avec l’Union soviétique.
Samedi, cependant, la Russie a lancé un exercice militaire de deux semaines avec le Pakistan dans une région montagneuse dans la province du Pendjab dans l’est du Pakistan. Il a impliqué 200 soldats, 70 de Russie et 130 en provenance du Pakistan. Ce fut la première fois que les deux pays participaient à un exercice militaire conjoint et cela faisait suite à la vente récente par Moscou d’hélicoptères militaires à Islamabad.
(Article paru d’abord en anglais le 29 septembre 2016)
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[7 décembre 2015]