Lisée prend la tête du Parti québécois en jouant la carte identitaire

Jean-François Lisée a remporté, le 7 octobre dernier, la course à la direction du Parti québécois, devenant ainsi le troisième chef en autant d’années de ce parti en crise. De tous les candidats, Lisée, un apparatchik de longue date du PQ, est celui qui incarne le plus l'engagement du parti et de tout le mouvement souverainiste pour l'austérité et le chauvinisme.

La course à la direction du Parti québécois a été déclenchée au printemps dernier après que le magnat de la presse Pierre-Karl Péladeau eut quitté la direction du parti moins d’un an après avoir été porté à sa tête. À l'époque, Péladeau avait invoqué des raisons familiales pour justifier son départ, mais la raison fondamentale a été son incapacité à regarnir les rangs péquistes.

La course à la direction, qui a généré peu d'intérêt populaire, a pris place dans un contexte où le soutien politique pour le PQ est en chute libre depuis plus d'une décennie. Ce parti de la grande entreprise est incapable de rallier la population derrière lui en dépit d'un dégoût généralisé, particulièrement parmi les travailleurs et les jeunes, pour la politique d'austérité du gouvernement libéral québécois de Philippe Couillard. Le membership du PQ, qui à une époque atteignait 300.000, est aujourd'hui d'environ 70.000, et l'âge moyen des membres est de 61 ans.

En 13 ans, soit depuis 2003, le PQ n'a gouverné que 18 mois, et ce après avoir surfé sur la colère populaire envers le gouvernement libéral de Jean Charest lors de la grève étudiante de 2012. Mais aussitôt élu, le PQ sous Pauline Marois a imposé une hausse des frais de scolarité, coupé drastiquement dans l’aide sociale, criminalisé une grève des travailleurs de la construction et mis de l’avant sa Charte des valeurs xénophobe.

La véritable nature de classe du PQ est alors apparue clairement aux jeunes et aux étudiants à qui les syndicats, les associations étudiantes et Québec Solidaire avaient présenté ce parti comme un moindre mal, sinon un allié «progressiste», face aux libéraux.

En mars 2014, le PQ annonçait en grande pompe l'arrivée d'un nouveau candidat-vedette: le richissime homme d’affaires, anti-syndicaliste notoire et idéologue très à droite Pierre-Karl Péladeau, qui est devenu le chef du parti un an plus tard. Aux élections de 2014, le PQ enregistrait son pire score électoral depuis 1970. Selon les sondages, le PQ récolte actuellement 16% des intentions de vote chez les 18-24 ans.

La crise du PQ et du mouvement souverainiste dans son ensemble a été accentuée par les positions réactionnaires et belliqueuses de son parti frère au niveau fédéral, le Bloc québécois. Celui-ci a appuyé la participation canadienne dans les guerres impérialistes menées par les États-Unis et l'OTAN en Afghanistan, en Libye et au Moyen-Orient. Et le Bloc s'est associé aux conservateurs de Stephen Harper dans des attaques démagogiques dirigées contre le NPD social-démocrate pour sa réticence à condamner le port du niqab dans la sphère publique.

Le PQ a réagi à sa chute de popularité en effectuant un virage marqué à droite vers les politiques identitaires et un discours anti-immigrant toxique. C'est autour de ces politiques que Lisée a fait campagne.

Au début de la campagne, il y a cinq mois, Alexandre Cloutier était de loin le candidat favori de l’establishment du parti, ayant reçu l’appui de péquistes bien en vue dont l’ancien premier ministre Bernard Landry. À 39 ans, Cloutier était vu comme une figure plus jeune et charismatique qui aurait pu revivifier le PQ auprès de la jeunesse. Cloutier a tenté, dans une certaine mesure, de se présenter comme plus ouvert envers les immigrants et s’est distancé de la Charte des valeurs.

Dans les dernières semaines de la course, toutefois, Lisée a ramené à l’avant-plan le débat sur la Charte. En plus de s’engager à abaisser le seuil de 50.000 immigrants accueillis au Québec par année, Lisée a promis d’interdire le port de signes religieux chez les agents de l'État en position d'autorité tout en soulignant qu’il était ouvert à interdire de la sphère publique tous «signes de convictions» politiques, sociales et environnementales. Il s'est également dit prêt à interdire la burqa et le niqab de tous lieux publics pour «assurer la sécurité des Québécois».

Durant la course à la direction, tous les candidats ont mis de l’avant des propositions politiques entièrement en ligne avec le programme droitier et pro-capitaliste que le PQ défend depuis des décennies. La victoire de Jean-François Lisée (avec 50,6% des voix contre 31,7% pour Cloutier) confirme le tournant du PQ vers le chauvinisme québécois et des appels identitaires. Fait significatif, Bernard Landry a qualifié la victoire de Lisée de «bonne nouvelle» en précisant que le candidat victorieux avait su «remettre de l'avant les grands thèmes qui agitent l'âme du PQ».

Malgré sa tentative de passer pour le «Bernie Sanders» québécois, entre autres par son appui hypocrite à la campagne syndicale pour le «salaire minimum à 15$/heure», Lisée est largement associé à l'austérité capitaliste. Avant d'être ministre des Relations internationales et de la Francophonie dans le gouvernement Marois, il a été un proche conseiller du premier ministre Lucien Bouchard lorsque celui-ci a imposé, à la fin des années 1990, des coupures sociales massives au nom du «déficit zéro».

Durant la campagne, Lisée a défendu un nationalisme économique de droite. Fils d'entrepreneur, fier d'avoir «grandi dans des entreprises» et d'être proche de «cet univers», Lisée prône entre autres la déréglementation des petites et moyennes entreprises pour accroître leur rentabilité. Il souhaite également faire de la Caisse de dépôt et placement du Québec un fonds d'investissement où les citoyens pourraient placer de l'argent dans le but de «maintenir les sièges sociaux» au Québec, c'est-à-dire offrir aux entreprises des baisses d'impôts et autres incitatifs financiers.

Ces mesures sont en ligne avec la tentative de Lisée de courtiser les électeurs de la Coalition Avenir Québec, un parti populiste de droite né en 2011 de la fusion de l'ADQ et d'ex-membres du PQ, qui a une base dans certaines couches des classes moyennes et les communautés rurales.

Lors de la campagne, la question de l'indépendance du Québec a pris une place relativement importante. Alors que Lisée et Cloutier ont tous deux repoussé un possible référendum dans un avenir relativement éloigné, Martine Ouellet s'est présentée comme la seule candidate prêt à organiser un référendum lors d'un premier mandat. Fait significatif, Ouellet, qui était soutenue par une importante section de la bureaucratie syndicale et qui a obtenu 17,6% des voix, a affirmé que seule la question de l'indépendance pouvait rallier la population, admettant sans le vouloir qu'il n'y a pas de différences fondamentales entre le PQ et le PLQ ou la CAQ.

Issu d'une scission d'avec le PLQ en 1968, le PQ articule les intérêts d’une section de l’élite dirigeante, qui voit la création d'un nouvel État capitaliste en Amérique du Nord comme une façon de mieux se positionner dans l’économie mondiale et faire valoir ses propres intérêts impérialistes.

Pendant des décennies, si le PQ a pu se présenter comme un ami des travailleurs, c'est grâce à la promotion assidue des syndicats et de la pseudo-gauche québécoise. Mais après son passage au pouvoir, marqué par l'imposition de brutales mesures d'austérité, son soutien politique s'est effondré, y compris l'appui pour son option souverainiste.

C’est dans ce contexte que les syndicats, Québec solidaire et le reste de la pseudo-gauche redoublent d’efforts pour sauver le PQ et le mouvement souverainiste. Bien qu'il tente de maintenir une distance de façade, QS, un parti pro-indépendance qui gravite autour du PQ notamment au sein des Organisations unies pour la souveraineté (OUI-Québec), tient actuellement des discussions sur une convergence des forces souverainistes en vue des élections de 2018.

Lisée a déjà tendu la main à Québec Solidaire dans le but de «vaincre les libéraux» aux prochaines élections. La porte-parole de QS, Françoise David, a pour sa part signalé que ses membres devaient se prononcer sur cette question à l'approche des élections, se montrant ainsi ouverte à une alliance, sous une forme ou une autre, avec le Parti québécois.

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