La vente des Rafales français à l’Inde attise les tensions indo-pakistanaises

La décision de la France de vendre à l’Inde 36 avions Rafale capables de frappes nucléaires est un acte irresponsable qui attise le risque de guerre en Asie du Sud et dans le monde.

Le ministre français de la Défense, Jean-Yves Le Drian, et son homologue indien, Manohar Parrikar, ont signé le contrat des Rafales pour 7,75 milliards d’euros (8,7 milliards de dollars) à New Delhi le 23 septembre au milieu d’une crise militaire en escalade entre l’Inde et son grand rival, le Pakistan.

Depuis, cette crise s’est développée, avec l’Inde menant des frappes militaires à l’intérieur du Pakistan dans la nuit du 28 au 29 septembre où elle se vante avoir infligé « de lourdes pertes ». Les frappes, les premières que l’Inde a admis publiquement réaliser à l’intérieur du Pakistan depuis plus de quatre décennies, ont poussé ces États rivaux d’Asie du Sud aux armes nucléaires au bord de la guerre.

La transaction sur les Rafales est un des plus importants achats d’armes que l’Inde a jamais réalisé et a fait l’objet de négociations longues et parfois tendues entre Paris et New Delhi s’étalant sur plusieurs années. Cela dit, il est quasiment certain que le gouvernement indien du Bharatiya Janata Party (BJP) a décidé d’accélérer la finalisation de la transaction, ou du moins son annonce et la signature officielle du contrat, pour envoyer un message belliqueux au Pakistan.

Le gouvernement indien a annoncé la signature imminente du contrat sur les Rafales le 21 septembre en même temps qu’il élaborait des plans avec les militaires, les services de renseignement et le corps diplomatique sur la façon de « punir » le Pakistan pour l’attaque trois jours auparavant sur la base militaire d’Uri, dans la partie du Cachemire tenue par l’Inde.

Sans une enquête même superficielle, le gouvernement du BJP a accusé le Pakistan de l’attaque sur Uri et a juré qu’il vengerait les 18 soldats indiens qui y sont morts.

L’importance de l’achat des Rafales a été soulignée par le sous-titre que The Indian Express a donné à son article annonçant la signature du contrat le 23 septembre : « L’Inde tient à introduire les avions de combat “Rafale” dans l’Armée de l’air indienne en raison de leur rôle stratégique pour mener des frappes nucléaires ».

Le fabricant de cet avion de combat, Dassault Aviation, a comme argument de vente qu’il est capable d’effectuer un large éventail de missions de courte et de longue portée, y compris des attaques terrestres et maritimes, la reconnaissance, les frappes de haute précision et – la plus significative – des frappes nucléaires.

Pour leur part, les responsables indiens se vantaient ouvertement du bond en avant que l’introduction des Rafales fournira aux capacités de frappe nucléaires de l’Inde contre le Pakistan et la Chine.

« L’Armée de l’air française change cette année ses Mirages pour des Rafales en raison de leur capacité de frappe nucléaire, » a déclaré un responsable de la défense indienne. « Ils ont déjà commencé le processus, et bien que nos systèmes de frappe nucléaires soient différents des leurs, cela nous dit que le Rafale est adapté à cette tâche. »

Sur la base des informations données par les militaires, The Indian Express a publié lundi, un article intitulé « L’achat des Rafales par l’Inde secoue la Chine : Voici pourquoi ». L’article a noté que le modèle du Rafale que l’Inde achète sera équipé de « missiles ‘Meteor’ – au-delà de la portée visuelle. » Cela permettra aux pilotes de tirer des missiles à une distance de 150 kilomètres sans même entrer sur le territoire de l’ennemi.

En plus de sa rencontre avec son homologue indien, le ministre français de la Défense, Jean-Yves Le Drian, est passé une heure en discussion avec le Premier ministre indien Narendra Modi. À l’issue de leurs entretiens, Le Drian a salué l’accord sur les armes comme « une décision historique qui ouvre un nouveau chapitre dans nos relations », tandis que Modi a répondu : « Le partenariat entre la France et l’Inde s’avançait à un rythme de marche. Il va maintenant procéder à la vitesse d’une Rafale ».

L’accord prévoit l’Inde et la France à collaborer étroitement dans la construction des avions de combat, mais New Delhi n’a apparemment pas réussi à obtenir les transferts de technologie à grande échelle.

La moitié de la valeur de la transaction est dans les contrats de missiles et de pièces détachées pour garder les Rafales opérationnels pour les 40 prochaines années sans aucune pénurie d’approvisionnement. Safran, Thales, et d’autres grandes entreprises françaises participeront à la fabrication de pièces clés pour les avions.

Les vastes sommes dépensées sur ces chasseurs-bombardiers – qui pourraient porter la destruction nucléaire à des millions voire des dizaines de millions de personnes – sont d’autant plus obscènes étant donné la pauvreté à laquelle de larges masses de travailleurs urbains et ruraux en Inde font face. Des statistiques de l’ONU montrent que 270 millions d’Indiens, soit environ 22 pour cent du 1,2 milliard d’habitants du pays, vivaient en dessous du seuil officiel de pauvreté de 1,12 euro par jour en 2012. Le travail des enfants s’étend à des dizaines de millions d’enfants indiens, tandis que les villages indiens manquent des routes et les infrastructures sanitaires appropriées, et, dans certains cas, même d’électricité.

La signature de l’accord sur les Rafales est le produit de la montée des tensions géostratégiques en Asie dans le cadre du « Pivot vers l’Asie », des États-Unis qui vise à isoler stratégiquement la Chine et se préparer à la guerre contre elle.

Sous Modi, l’Inde s’est intégrée de plus en plus profondément dans l’offensive militaire et stratégique des États-Unis contre la Chine, tout en cherchant à s’affirmer comme puissance hégémonique régionale de l’Asie du Sud et une puissance de premier plan dans l’océan Indien.

Le gouvernement de Modi a mené une série d’initiatives provocatrices contre Pékin. Il a augmenté la présence militaire de l’Inde à sa frontière avec la Chine, appuyé la campagne provocatrice des États-Unis contre la Chine en mer de Chine méridionale, et à la fin d’août a signé un accord avec Washington qui permet à l’armée américaine d’utiliser des bases indiennes pour le ravitaillement en carburant, le réapprovisionnement, et la détente.

Maintenant, ces initiatives perturbent les liens de l’Inde avec la Russie, l’une de ses partenaires stratégiques les plus importantes depuis longtemps et traditionnellement son principal fournisseur d’armes. L’Inde et la Russie, ou l’Union soviétique avant 1991, avaient établi des liens commerciaux et militaires larges depuis la partition du sous-continent en 1947 en deux états bourgeois communaux rivaux, un Pakistan explicitement musulman et une Inde à prédominance hindoue.

Pendant la guerre froide, l’Inde a signé un « traité d’amitié » avec l’Union soviétique en 1971 et dépendait de cette dernière pour la plupart de ses avions et d’autres armes de pointe.

Cependant, l’Inde s’étant alignée avec l’impérialisme américain la Russie s’est approchée de la Chine dans un alignement encore plus stratégique, car les deux pays sont menacés de guerre par les États-Unis – au sujet de la Syrie, de l’Ukraine, de la mer de Chine méridionale, ou d’autres points chauds. Dans ces conditions, l’Inde est devenue de plus en plus réticente à compter sur la Russie comme sa principale source de haute technologie militaire, craignant que cette technologie puisse subitement devenir indisponible si une guerre éclate.

Comme dans le passé, la France a cherché à tirer profit de ces tensions afin de vendre des armes en se présentant comme un partenaire militaire plus fiable, plus étroitement aligné sur les intérêts indiens.

Une grande partie des bénéfices qui seront faits de la vente des Rafales iront à l’actionnaire principal de Dassault Aviation, Serge Dassault, dont la fortune de 20 milliards d’euros faite de lui la cinquième personne la plus riche de France.

(Article paru d’abord en anglais le 5 octobre 2016)

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