Clinton réclame un service national

Le 30 septembre dernier, la candidate présidentielle du Parti démocrate, Hillary Clinton, a annoncé un programme de Réservistes pour le service national (National Service Reserve) dont le but serait de recruter cinq millions de jeunes âgés entre 18 et 30 ans pour un minimum d'un an de service. Ce projet n'est pas une «réforme» modérée comme les médias le disent, mais un pas dangereux vers des guerres encore plus importantes à l'étranger et une société américaine encore plus militarisée. 

Même si elle a présenté l'idée comme une force locale/nationale de volontaires, le nouveau corps qu'elle propose est inspiré des Forces armées. Selon le Washington Post, les volontaires recevraient un «entraînement de base» et seraient en service pour les désastres naturels, des campagnes de santé publique ou d'«autres projets». 

En échange, Clinton offre aux volontaires la possibilité de bénéficier de crédits pour l'université, d'un arrêt de travail ou d'une allocation «modeste» s'ils peuvent prouver qu'ils sont financièrement dans le besoin. Le gouvernement fédéral ne couvrirait même pas ces maigres rations: son programme laisse entendre qu'elle va négocier avec des entreprises pour qu'elles acceptent d'en couvrir les frais. 

Clinton a aussi réclamé le triplement de la taille d'AmeriCorps, de 75.000 à 250.000, et une modeste hausse du montant disponible pour effacer les dettes ou fournir une allocation, soit à peine 23.000$ pour deux ans de travail à temps plein plus une autre année de service public. Finalement, elle a défendu l'expansion des Peace Corps et l'enrôlement de la tranche d'âge des 55 ans et plus pour des postes de volontaires. 

Elle a fait la promotion des corps de Réservistes (Reserve Corps) en parlant de «l'esprit de volontariat» des jeunes nés autour de l'an 2000 et dont elle a besoin de l'appui en novembre. Cependant, les commentaires publiés en ligne en réaction aux reportages des médias indiquaient que la majorité de ceux qui étaient visés préfèrent le pardon pour leurs dettes d'études ainsi qu'un emploi décemment rémunéré plutôt que de travailler presque gratuitement. De manière encore plus fondamentale, ils sont profondément sceptiques des implications militaires du Service national. 

En fait, de telles propositions – qui ont toujours un caractère militariste – sont périodiquement soulevées aux États-Unis, mais reçoivent maintenant un appui politique significatif. En fait, le Service national correspond à la vision et aux buts mis de l'avant dans le récent document du Conseil de l'Atlantique intitulé «L'avenir de l'armée» (The Future of the Army). Entre autres mesures, le document politique réclame une expansion du personnel militaire, tant parmi ceux qui y font carrière que ceux à temps partiel. Il suggère la création d'un Corps auxiliaire civil de l'armée (Army Civilian Volunteer Auxiliary Corps), une idée qui n'est pas éloignée des Réservistes pour le service national. 

Faisant référence à une «ère de guerre perpétuelle» et à l'effondrement social aux États-Unis, le document «L'avenir de l'armée» soutient ceci: «La ligne entre les militaires et les civils, les enrôlés et les réservistes, les volontaires et les retraités, doit devenir beaucoup plus floue». 

En d'autres termes, les décideurs demandent la militarisation de vastes sections de la société américaine, avec des millions de «réservistes» prêts pour des tâches militaires. Le rapport met aussi en garde que l'armée doit «voir comment faire pour amener un grand nombre de nouvelles recrues dans la force en expansion» et identifier «les talents auxquels elle voudrait rapidement avoir accès si le Service sélectif devait implanter une conscription». 

Ce service national, même s'il était volontaire au départ, serait un pas dans cette direction. En fait, l'idée qu'amène Clinton a été développée par le général Stanley McChrystal, un général quatre étoiles responsable de cinq ans de crimes de guerre en Afghanistan, et par le groupe de réflexion de haut niveau The Aspen Institute.

Dans la foulée de l'immense appui des jeunes qu'a reçu Bernie Sanders et avec le développement de la combativité de la classe ouvrière, les plans de Clinton ne rejoignent pas seulement les intérêts de l'élite financière pour de nouvelles guerres, mais permettent surtout de faire la promotion du nationalisme et du militarisme américains pour écraser la conscience de classe qui grandit.

Cela devient évident à l'étude des déclarations de ceux qui appuient le service national. Et certaines d'entre elles proviennent de milieux inattendus. L'important journal du milieu de l'éducation, Education Week – qui se concentre habituellement sur des questions directement reliées à l'enseignement au primaire et au secondaire – a publié un commentaire à la mi-septembre intitulé: «Les avantages d'un service national universel» (The Case for Universal National Service). L'article a été écrit par James H. Stone, un individu intimement lié à Wall Street qui est l'ancien président de la Commodity Futures Trading Commission et qui dirige maintenant un groupe d'assurance d'une valeur d'un milliard de dollars.

L'article d'Education Week appelle à un service national obligatoire. On y décrit un service qui exigerait «que toute jeune personne de 17 à 22 ans effectue au moins un an de service dans un programme approuvé». Stone présente les options dans l'ordre: «Dans l'armée, où le salaire serait presque assurément le plus élevé et où un engagement de deux ans serait probablement exigé, le besoin est évident». Mentionnant ensuite les «infrastructures», il écrit que les jeunes gens ayant une «formation de base» pourraient s'occuper de l'eau potable et des écoles délabrées. Finalement, il mentionne les services sociaux, car «on peut toujours en faire plus».

Stone conclut qu'un «service national universel offre la seule solution réaliste aux principaux enjeux de l'éducation américaine» et que cela est essentiel en tant que «saine prise de conscience d'une nation divisée... La fierté, la compassion et l'unité de notre nation s'en verraient renforcées».

Ces préoccupations sont exprimées encore plus directement par le général McChrystal, qui est le principal défenseur du service national. Il mentionne des statistiques sur la hausse des inégalités sociales, s'inquiétant, dans un article paru cette année dans Atlantic, de l'effritement de la «confiance sociale». Il avertit l'élite dirigeante «à quel point rétablir la confiance sociale est une question existentielle pour les États-Unis... dans une société de plus en plus tiraillée.» La solution? «Lier les jeunes entre eux et à la nation» à travers un service national, dit-il dans Politico.

Que Clinton adopte le programme de McChrystal n'est pas surprenant. En tant que secrétaire d'État, elle a fait cause commune avec le général contre Obama sur la politique militaire, y compris sur l'envoi de plus de soldats en Afghanistan. L'un de ses conseillers avait d'ailleurs fait un commentaire révélateur: «Elle aime les durs – McChrystal, Petraeus, Keane. De vrais gars de l'armée, pas de ces trois étoiles à la retraite qui travaillent au civil», selon Atlantic.

Et McChrystal ne fait pas qu'exprimer sa position personnelle. Il a fondé en 2012 le Franklin Project à l'Aspen Institute pour faire la promotion du service national. est un important groupe de réflexion américain de dirigeants de l'armée et du monde des affaires. Il comprend des membres dirigeants des démocrates et des républicains: Madeleine Albright, David H. Koch et Condoleezza Rice font partie de sa direction. (Il est aussi pertinent de noter qu'en 1988, le Democratic Leadership Council, y compris Bill Clinton, avait publié un rapport, «La citoyenneté et le service national» (Citizenship and National Service), qui proposait que l'aide fédérale destinée aux étudiants universitaires soit conditionnelle à un tel service.) En janvier 2016, le Franklin Project a fusionné avec d'autres groupes pour former Service Year Alliance, qui est aussi sous la présidence de McChrystal.

Tae Yoo, une personnalité du Forum économique mondial et vice-présidente principale de Cisco, a lancé un avertissement semblable au nom de l'élite dirigeante, faisant référence à la profondeur de la colère sociale qui grandit aux États-Unis, et prédisant de manière extraordinaire que cette crise «allait mener à une civilisation affaiblie». Selon le Huffington Post, elle a dit: «Les jeunes Américains d'aujourd'hui font face à la crise de l'éclatement des communautés et des structures sociales traditionnelles. En fait, un million d'étudiants décrochent chaque année et 17% des jeunes de 16 à 24 ans ne vont pas à l'école et sont sans emploi. Il ne s'agit pas que d'un problème de chômage ou de future main-d'oeuvre – on parle maintenant de pauvreté, d'analphabétisme, d'insécurité alimentaire, d'un manque de logements et de soins de santé, qui nous entrainent vers une civilisation affaiblie.»

Insistant une fois de plus sur le point que la crise du capitalisme mène la société américaine au point de rupture, McChrystal a soutenu: «Il est évident qu'il serait dangereux de ne rien faire. Les tensions et la violence dans les villes à travers les États-Unis devraient nous rappeler à quel point les communautés peuvent éclater rapidement en l'absence de confiance sociale. Dallas, St-Paul, Baton Rouge et Orlando, tout de suite après Ferguson, Baltimore et Chicago illustrent une réalité décourageante.» McChrystal a conclu son article dans Atlantic en demandant aux candidats présidentiels qu'ils adoptent le service national dans leur programme. Il semblerait que Clinton a répondu favorablement.

La militarisation de la main-d'oeuvre – «brouiller la frontière» entre le personnel civil et militaire – et l'usage de propagande nationaliste pour «lier la nation» ne sont pas des concepts nouveaux. Le 20ème siècle et ses deux guerres mondiales nous ont montré les conséquences tragiques de ces perspectives. Les jeunes doivent s'orienter vers la classe ouvrière et lutter pour l'unir internationalement et en faire la grande force d'opposition qui pourra mettre fin à ce système prédateur et bâtir une nouvelle société socialiste.

(Article paru d'abord en anglais le 7 octobre 2016)

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