Un groupe de réflexion allemand demande une politique étrangère plus indépendante des États-Unis

À seulement quelques jours l’élection présidentielle américaine, l’Institut allemand pour les affaires internationales et de sécurité (SWP) a publié un document intitulé « Même sans Trump il y aura de grands changements ». Il appelle à une politique étrangère allemande et européenne plus agressive, qui, « indépendamment du résultat des élections » soit disposée à imposer ses intérêts économiques et géopolitiques avec une plus grande indépendance et, si nécessaire, contre Washington. 

La candidature du républicain Donald Trump montre « clairement […] qu’une politique américaine qui imposerait à l’Allemagne une action plus indépendante que par le passé est possible », selon l’auteur du document et le chef du groupe de recherche sur l’Amérique Johannes Thimm. La possibilité que Trump entre à la Maison Blanche oblige « les politiciens allemands à se poser des questions difficiles ». 

L’arrivée sur le devant de la scène de Trump a provoqué une inquiétude considérable dans de larges sections de l’élite dirigeante en Allemagne et internationalement. « Avec Trump président […], il y aurait un degré élevé d’incertitude au sujet de la politique étrangère américaine », a déclaré le document. L’Allemagne ne pourrait certainement pas se fier à l’imprévisibilité de Trump ni croire qu’il “abandonnerait” des positions extrêmes, que soit par le biais du personnel consultatif, du cabinet, de l’armée ou du Congrès ». 

Mais même avec une victoire électorale de la démocrate Hillary Clinton, « des considérations stratégiques correspondantes [seraient] nécessaires », et l’Allemagne « ferait bien de ne pas prendre la voie facile de l’attentisme ». Quel que soit le résultat de l’élection, Berlin « devrait réfléchir sur comment les relations transatlantiques et l’ordre mondial futur devraient être organisées ». 

Conformément à l’article écrit pour Foreign Affairs en juin par le ministre allemand des Affaires étrangères Frank-Walter Steinmeier (Parti social-démocrate), le document de la SWP remet en question la prétention des États-Unis à la direction du monde. Dans la section intitulée « Une politique stratégique à l’égard de l’Amérique », il indique que « le bilan de l’engagement américain dans le monde [est…] mitigé au mieux ». Entre autres, la « politique américaine », comme « l’invasion de l’Irak en 2003 » ou « l’intervention continue au Yémen de l’Arabie Saoudite », est « simplement contre-productive pour un ordre stable ». 

« Si des situations semblables se produisent à l’avenir », déclare le document de manière provocante, « il serait important que l’Allemagne (éventuellement avec l’Europe) prenne une position claire et adopte rapidement sa propre évaluation ». Même si les options sont limitées, « l’Allemagne et l’Europe [ne devraient] pas laisser le domaine de la planification de l’ordre politique aux seuls États-Unis ». 

Concrètement, cela signifie, entre autre, « remettre en question l’opinion selon laquelle les intérêts américains sont en soi des intérêts mondiaux ». Il est également nécessaire « d’examiner comment réagir si le comportement des États-Unis est contre-productif du point de vue de l’Allemagne ». Sur ce point, « les bonnes relations transatlantiques » ne doivent pas être « une fin en soi et placées avant d’autres considérations », sinon on se nierait la « possibilité d’agir stratégiquement ». 

Il continue : « Sans la volonté de se disputer avec le gouvernement des États-Unis […] de nombreuses options pour exercer une influence [sont] exclues dès le départ ». 

On ne devrait pas sous-estimer les implications historiques, politiques et militaires de telles déclarations. Il y a deux ans, le Comité international de la IVe Internationale (CIQI) a mis en garde : « Pour l’heure, Washington poursuit ces objectifs en collaboration avec les autres principaux pouvoirs impérialistes. Il n’y a cependant aucune correspondance permanente entre les intérêts impérialistes des diverses puissances L’impérialisme allemand, qui a mené deux guerres contre les États-Unis au 20e siècle, est en train de remettre à l’ordre du jour ses ambitions impérialistes ». 

Au début de cette année, le CIQI a écrit dans sa déclaration Le socialisme et la lutte contre la guerre : « Soixante-dix ans après la chute du Troisième Reich d’Hitler, la classe dirigeante allemande exige une fois de plus que son État s’affirme en tant que chef suprême d’Europe et puissance mondiale. En dépit d’un fort sentiment anti-guerre dans la population allemande, Berlin déploie son armée pour défendre ses intérêts au Moyen-Orient et en Afrique. L’Allemagne dépense des sommes considérables pour se réarmer, tandis que les apologistes des crimes du régime nazi sont mis de l’avant par tout l’establishment politique, les médias et les universités afin de justifier le retour des ambitions impérialistes allemandes ». 

La SWP a joué un rôle central dès le départ dans ce renouveau. En 2013, elle a organisé un projet auquel ont participé 50 personnalités politiques de tous les partis parlementaires, des journalistes, des universitaires et des représentants militaires et commerciaux afin d’élaborer une stratégie pour le retour du militarisme allemand. À la fin des discussions, le document « Nouveau pouvoir – Nouvelles responsabilités. Des éléments d’une politique étrangère et de sécurité allemande pour un monde en ébullition », qui a servi de base aux discours impérialistes de Steinmeier et du Président Gauck à la Conférence de Munich sur la sécurité en 2014 et au Livre blanc de 2016 de l’armée. 

L’élite dirigeante allemande utilise à présent l’aggravation de la crise internationale dans le sillage du vote pour le Brexit et du chaos politique aux États-Unis pour faire avancer ses grandes ambitions de pouvoir. Dans un essai actuel intitulé « L’Europe est la solution », Steinmeier écrit, « Nous devons nous accorder les instruments concrets nécessaires à une politique étrangère commune [de l’UE] ». Cela comprend « des capacités pratiques : pour l’analyse conjointe de la situation, des instruments financiers pour la stabilisation et la prévention des crises et, finalement, en des capacités militaires conjointes, telles que des structures de commandement ou des forces d’intervention maritimes communes ». 

Ce sont, selon Steinmeier, « les étapes concrètes auxquelles nous sommes confrontées ». Ensuite, « la création d’une armée européenne [devrait] être discutée […] quand nous aurons prouvé que l’Europe peut le faire mieux que n’importe quel État national seul ». Ce serait là le sens véritable d’un gouvernement fédéral rouge-rouge-vert (Parti social-démocrate (SPD), Parti de gauche et les Verts) ! Il aurait pour mission, dans la politique étrangère, de faire avancer le retour du militarisme allemand derrière les expressions « responsabilité », « humanité » et « droits de l’homme », tout en développant une politique étrangère allemande indépendante de plus en plus contraire à celle des États Unis. 

(Article paru en anglais le 4 novembre 2016)

 

 

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