Le verdict de la Haute Cour sur le Brexit plonge le Royaume-Uni en crise

La décision de la Haute Cour d’hier, selon laquelle seul le Parlement a le droit de déclencher la sortie de la Grande-Bretagne de l’Union européenne, a créé une grave crise constitutionnelle et politique.

Le verdict, dont le gouvernement va faire appel, a rejeté le droit du Premier ministre, Theresa May, de commencer le Brexit (la sortie britannique) sans vote parlementaire en utilisant la prérogative royale. Ce sont des pouvoirs archaïques, autrefois détenues par les monarques britanniques, et maintenant réservés au gouvernement sur l’avis du Premier ministre et du Cabinet.

L’audience devant le Lord Chief Justice [deuxième personnage le plus important de la hiérarchie judiciaire britannique après le ministre de la Justice] Thomas de Cwmgiedd, le Maître des archives (Master of the Rolls – juge aussi, troisième dans la hiérarchie), Sir Terence Etherton, et le juge Sales, s’est concentrée sur l’article 50 du Traité de l’Union européenne qui dispose qu’un État membre peut quitter le bloc « conformément à ses propres exigences constitutionnelles ».

May avait prévu de déclencher le Brexit en mars 2017, en contournant un vote au Parlement. Cela aurait commencé deux ans de négociations quant à ses termes. Avec les ministres de l’UE déclarant que le Royaume-Uni devrait être puni pour sa décision comme un avertissement à d’autres États membres et May (qui a fait campagne pour rester dans l’UE) tentant de gagner le soutien du lobby vociférateur pro-Brexit dans son propre parti, une partie importante de la bourgeoisie craint que cela n’entraîne un « Brexit dur » dans lequel le Royaume-Uni perdrait l’accès au marché unique.

Avec la majorité des députés en faveur de rester dans l’UE, les avocats du gouvernement ont soutenu à la Haute Cour qu’il était « constitutionnellement inadmissible » que le Parlement vote sur le processus du Brexit, car cela reviendrait à renverser la « volonté populaire » – enregistrée par le vote de quitter l’UE par 52 contre 48 pour cent au référendum du 23 juin.

Les arguments ont été présentés le mois dernier lors d’une audience devant la Cour royale de justice à Londres. Contre le gouvernement se trouvait un groupe de requérants représentant des intérêts au sein de la City, le quartier financier de Londres, dirigé par Gina Miller, un gestionnaire de placements pour le cabinet « SCM Private » installé à Londres.

Les avocats des requérants ont cité la Déclaration des droits de 1689 qui dispose que les lois ne devraient pas être écartées ou suspendues sans le consentement du Parlement. Le recours à des prérogatives royales pour déclencher l’Article 50 aurait pour conséquence de priver les citoyens des droits qu’ils ont en tant que citoyens de l’UE et qui sont consacrés par la loi britannique. Ces droits constitutionnels ne pouvaient être éliminés par l’exécutif, ont-ils soutenu, sans « la paralyser et briser le dos de la Constitution ».

La Haute Cour a confirmé cet argument, affirmant que les démarches du gouvernement pour entamer des négociations de sortie sans l’approbation du Parlement renverseraient 400 ans de tradition juridique. Tout en affirmant que « rien de ce que nous disons n’a d’incidence sur la question des mérites ou des démérites » du Brexit, le jugement de 32 pages indique que la « seule question » concernait « si, en vertu du droit constitutionnel du Royaume-Uni, la Couronne – agissant par l’intermédiaire du gouvernement exécutif du moment – a le droit d’utiliser sa prérogative » de déclencher l’Article 50.

La « subordination de la Couronne (c’est-à-dire : le gouvernement exécutif) à la loi est le fondement de l’état de droit au Royaume-Uni », déclare-t-il, en notant que cela a ses racines dans la guerre civile anglaise (1642-1651), « et est reconnu depuis lors ».

Quant à l’argument selon lequel « l’opinion de l’électorat » se situe au-dessus du droit constitutionnel, les juges l’ont rejeté au motif qu’« en droit : “Les juges ne savent rien de la volonté du peuple, sauf dans la mesure où cela est exprimé par une loi du Parlement” ».

Un porte-parole du gouvernement a déclaré que les ministres feraient appel à la Cour suprême contre la décision. L’audience aura lieu les 7 et 8 décembre. Cependant, tout retard éventuel ou tout autre procès juridique prolongé risque de dérailler les plans du gouvernement et ouvre la possibilité d’une élection générale anticipée.

L’ouverture d’une crise constitutionnelle souligne l’imprudence de la décision de l’ancien Premier ministre conservateur David Cameron de consentir à un référendum sur le Brexit. Le mouvement a été entièrement façonné par la tentative de régler un différend fractionnel de la droite au sein du Parti conservateur et de ses franges dans le Parti de l’indépendance britannique (UKIP).

Après avoir appelé à un référendum, tous les partis dans la campagne ont cherché à utiliser les préjugés nationalistes et anti-immigrés afin de détourner de la crise sociale croissante et le danger de la guerre. Pour le camp de « Rester », dirigé par Cameron, l’objectif était d’exercer la menace d’un potentiel Brexit pour obtenir de plus grandes concessions de l’UE, en particulier en obtenant un traitement bénéfique pour la ville de Londres. Cela signifiait que la campagne pour « Quitter » l’UE – dominée par l’aile la plus xénophobe et Thatcherienne de la bourgeoisie – a pu monopoliser l’opposition légitime à l’UE.

Aucun des deux camps n’a tenu compte des conséquences plus fondamentales de leurs actes, y compris des questions constitutionnelles complexes soulevées. Le Lord Kerr de Kinlochard, le secrétaire général de la Convention européenne qui a rédigé ce qui est devenu le traité de Lisbonne, a déclaré qu’il n’avait jamais imaginé l’utilisation de l’Article 50. « Je pensais que les circonstances dans lesquelles il serait utilisé, si jamais, seraient s’il y avait un coup d’État dans un État membre et que l’UE avait suspendu l’adhésion de ce pays », a-t-il dit. « Je pensais qu’à ce moment-là, le dictateur en question pouvait être tellement méchant qu’il aurait dit “bien, je pars” et qu’il serait bon d’avoir une procédure sous laquelle il pourrait partir ».

Le choc du vote de 52 pour cent en faveur du Brexit a donc ouvert une crise existentielle pour la bourgeoisie britannique. Non seulement elle menace de diminuer gravement le rôle du Royaume-Uni en tant que principal allié politique et militaire des États-Unis en Europe, mais elle rouvre la possibilité de la rupture du Royaume-Uni lui-même.

Le gouvernement écossais a déjà menacé de tenir un deuxième référendum sur l’indépendance en cas d’un « Brexit dur », alors que le Premier ministre du Pays de Galles, Carwyn Jones, du Parti travailliste, a salué la décision de la Haute Cour, arguant que les Administrations décentralisées devraient également avoir la possibilité de voter sur la position de négociation de May sur le Brexit.

La semaine dernière, la Haute Cour d’Irlande du Nord a rejeté une tentative de recours judiciaire visant à obtenir un vote parlementaire sur les plans de Brexit de May. L’affaire avait été entendue au motif que l’action exécutive de May menaçait de mettre en péril les accords de partage de pouvoir entre les partis unioniste et républicain établis par l’Accord du Vendredi saint de 1998. Le juge Maguire, qui siégeait à la Haute Cour de Belfast, a déclaré que « l’opinion de la cour est que le pouvoir de la prérogative est toujours en vigueur et peut être utilisé aux fins de déclencher l’Article 50 ».

Si l’appel à la Cour suprême est infructueux, l’issue de la question est censé dépendre de si le gouvernement arrive à organiser un vote unique substantiel sur le Brexit, ou si l’approbation parlementaire s’applique aux négociations et aux modalités de toute entente éventuellement conclue. Il est généralement supposé que la plupart des députés, les « pro-Rester » comme les autres, ne poseront pas un veto au résultat du référendum. Cependant, s’il est dit que le Parlement peut superviser les termes d’un accord, cela ouvre la voie à de nombreux amendements et à un processus encore plus prolongé et politiquement incendiaire, y compris la participation de la Chambre des lords et un deuxième vote.

Ayant fait campagne pour un vote de quitter l’UE en s’appuyant sur la « réaffirmation » de la « souveraineté » du parlement britannique, les forces « pro-Brexit » les plus stridentes sont les plus fortes pour protester contre la décision de la Haute Cour.

Se posant en tant que champion de la « volonté populaire » contre une « élite judiciaire », Nigel Farage, le dirigeant par intérim de l’UKIP, a déclaré : « Je crains que la trahison ne soit à portée de main… Je crains maintenant qu’on tente tout pour bloquer ou retarder le déclenchement de l’Article 50. Si tel est le cas, ils n’ont aucune idée du niveau de colère publique qu’ils provoqueront ».

Le dirigeant travailliste Jeremy Corbyn a déclaré que son parti « respecte la décision du peuple britannique de quitter l’Union européenne ». Cependant, il a été l’objet d’une tentative de putsch par la faction la plus « pro-UE » de son parti et ne reçoit pas le soutien de la plupart de ses députés. Rien ne garantit que la majorité ne voterait pas contre le déclenchement de l’Article 50 lors d’un vote parlementaire.

L’aile droite du parti travailliste, dirigé par Tony Blair, a clairement fait savoir qu’elle est favorable à la formation d’une alliance dite progressiste pour bloquer ou pour limiter un « Brexit dur ». Cette position est partagée par les Démocrates libéraux, dont le dirigeant, Tim Farron, a salué la décision de la Haute Cour, en déclarant : « En fin de compte, les Britanniques ont voté pour un départ, mais pas pour une destination […] ».

(Article paru d’abord en anglais le 3 novembre 2016)

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