Après l’élection de Trump, l’UE demande une politique étrangère plus indépendante

Les ministres des Affaires étrangères de l’Union européenne (UE) se sont réunis dimanche soir et lundi à Bruxelles pour leur première réunion après l’élection de Donald Trump comme président américain, au milieu d’une grande incertitude quant à la politique étrangère du nouveau président. Les milieux dirigeants européens s’inquiètent d’autant plus que Trump a dénoncé l’alliance de l’OTAN comme superflue pendant la campagne et a exigé que l’Europe paie davantage pour la défense de l’OTAN.

La réunion de Bruxelles a mis en évidence les principaux conflits entre la politique de l’UE et les déclarations de Trump lors de la campagne électorale sur les questions internationales, ainsi que les appels croissants lancés par Berlin et ces hauts responsables de l’UE pour une politique étrangère agressive de l’UE qui soit indépendante des États-Unis.

Lundi, le chef de la diplomatie européenne Federica Mogherini a qualifié l’UE de « superpuissance », annonçant qu’elle avait accepté un « Plan de mise en œuvre sur la sécurité et la défense » pour une politique étrangère et militaire globale de l’UE. Elle a déclaré que le « Plan de mise en œuvre » intervient un an après que la France a invoqué la solidarité européenne après les attentats terroristes de Paris et moins de quatre mois après le lancement de la prétendue Stratégie globale de l’UE – une étude soutenant que l’UE doit devenir une puissance mondiale, capable d’intervenir militairement et de mener une guerre indépendamment de l’OTAN et des États-Unis.

« Ce n’est pas le moment pour des discussions théoriques ou abstraites sur la défense européenne. [Le Plan] est pour faire des choses concrètes, à partir de demain, ensemble », a souligné Mogherini. 

Le nouveau « Plan de mise en œuvre » de l’UE prévoit la construction d’une structure de commandement et de forces aériennes, terrestres et maritimes capables de mener des combats à grande échelle. Il affirme que la politique commune européenne de sécurité et de défense (PCSD) doit pouvoir « entreprendre une action rapide et décisive » et requiert des capacités civiles et militaires « crédibles, déployables, interopérables, durables et multifonctionnelles ». Le Plan doit être présenté aux chefs d’État et des gouvernements de l’UE lors du prochain Conseil européen de décembre.

Les ministres des affaires étrangères de l’UE ont également adopté des résolutions spécifiques directement en contradiction avec les positions déclarées de Trump.

Alors que Trump a appelé à l’annulation de l’accord nucléaire iranien, les ministres des Affaires étrangères de l’UE ont déclaré leur « engagement résolu » à l’accord. Au-delà de son importance en termes de prévention de la guerre avec l’Iran, les demandes des ministres de l’UE mettent en évidence des conflits avec les États-Unis sur l’accès aux marchés iraniens. Ils ont appelé à « la levée des sanctions économiques et financières liées au nucléaire », imposées précédemment par Washington, et à « la délivrance continue de licences d’exportation par le Bureau américain de Contrôle des Actifs Étrangers » pour les marchandises destinées à l’Iran.

Les ministres des Affaires étrangères de l’UE ont également adopté une résolution visant à renforcer le contrôle des exportations de « produits de torture », déclarant : « L’objectif est d’empêcher que les exportations de l’UE contribuent aux violations des droits de l’Homme dans les pays tiers ».

L’un des effets marquants de ces réglementations a été de bloquer les exportations de produits chimiques de l’UE vers les États-Unis afin qu’ils soient utilisés pour mélanger des poisons pour exécuter des condamnés à mort. Cela a conduit de nombreuses fois les autorités américaines à recourir à des cocktails chimiques dont les effets exacts n’étaient pas connus, entraînant des exécutions barbares et atroces, largement perçues aux États-Unis, en Europe et partout dans le monde comme des violations flagrantes des droits démocratiques fondamentaux.

Des contradictions géostratégiques, économiques et politiques des relations entre le capitalisme américain et européen qui existent depuis la dissolution stalinienne de l’URSS en 1991 et la fin de la guerre froide se réaffirment avec une force énorme.

Ces contradictions ont déjà conduit à des conflits aigus. Les revendications de l’UE en faveur d’un « monde multipolaire » et de l’augmentation de la pénétration commerciale en Iran et en Irak aux dépens des États-Unis, dans les années 90 et au début des années 2000, ont été suivies peu après par l’invasion unilatérale et illégale de l’Irak en 2003. Face à l’opposition de l’Allemagne et de la France, Washington a tenté de diviser l’Europe : le Secrétaire à la Défense américain Donald Rumsfeld avait qualifié avec dédain l’Allemagne et la France de « Vieille Europe » et appelé à ce qu’une « Nouvelle Europe », des États d’Europe de l’Est pro-guerre contre l’Irak, vienne au premier plan.

Les rivalités inter-impérialistes entre Washington et l’UE sur l’accès au pétrole, aux marchés et aux avantages stratégiques sont encore plus profondes aujourd’hui, après presque une décennie d’une intense crise économique mondiale et de menaces de guerre entre les États Unis et l’Iran, la Russie et même la Chine. Les responsables européens ont été pratiquement unanimes en réponse pour appeler à une escalade militaire européenne majeure. 

Certes, ils appellent encore en grande partie à une présence militaire américaine continue en Europe, craignant qu’un retrait soudain et total des forces américaines commandées par Trump ne les laisse largement surpassées par les forces russes. Le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, a écrit une chronique dans le Guardian intitulée « Ce n’est pas le moment pour les États-Unis d’abandonner l’OTAN – et ses alliés européens ne devraient pas non plus le faire seuls ».

L’implication sans équivoque des appels à des politiques militaires européennes indépendantes est cependant que les armées européennes pourraient finalement se trouver en guerre contre les États-Unis, ou même combattre ouvertement les États-Unis.

« Le monde incertain est là, il n’a pas démarré avec l’élection de Monsieur Trump », a déclaré le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Marc Ayrault. Mais « L’Europe ne doit pas attendre des décisions des autres. Elle doit défendre ses intérêts, c’est-à-dire les intérêts des Européens, et en même temps affirmer son rôle stratégique à l’échelle mondiale ».

Le ministre belge des Affaires étrangères Didier Reynders a déclaré que l’élection de Trump était « une chance pour l’UE d’aller plus loin. Nous devons renforcer nos capacités en matière de défense et de sécurité. L’UE doit trouver un moyen de se faire entendre dans la recherche de solutions politiques […] et de veiller à ce qu’il ne s’agisse pas simplement d’une conversation entre Washington et Moscou, afin que nous puissions avoir l’UE vraiment à la table. 

Le mouvement vers une union militaire européenne toujours plus intégrée est poussé, cependant, surtout par Berlin. Le week-end dernier, la ministre allemande de la Défense Ursula von der Leyen a qualifié à la fois le Brexit et la victoire de Trump de « chance pour l’Europe ».

Écrivant dans le quotidien libéral allemand Der Tagesspiegel, elle a déclaré : « Nous, Européens, nous savons que l’OTAN ne peut pas traiter tous les aspects de notre sécurité. Nous devons assumer davantage de responsabilités pour les problèmes qui se posent dans notre environnement immédiat […] Nous, Européens, devons définir le cap : nous devons coordonner nos instruments, nous devons devenir plus efficaces avec nos ressources et prendre des décisions plus rapides. Et nous avons besoin de nouvelles capacités, surtout pour notre politique de sécurité et de défense ».

La classe dirigeante allemande utilise l’élection de Trump comme prétexte pour promouvoir le retour du militarisme allemand et affirmer ses intérêts géostratégiques et économiques en Europe et à l’échelle internationale. Immédiatement après l’élection, le ministère allemand des Affaires étrangères a publié une déclaration de son Coordonnateur de la coopération transatlantique, M. Jürgen Hardt, sur les résultats de l’élection américaine.

Il a déclaré : « La nécessité pour nous, Européens et pour l’Allemagne en particulier, d’assumer une plus grande responsabilité et de contribuer encore davantage à tous les instruments de la politique étrangère et de sécurité va encore s’accroître pendant la présidence Trump. Les développements mondiaux continueront de poser les questions qui façonneront notre coopération dans les prochains mois. Cela comprend la stabilisation de la situation en Syrie et en Irak, la mise en œuvre de l’accord de Minsk en Ukraine et la conduite des relations avec la Russie.

Alors que l’impérialisme allemand avance sa campagne pour devenir une puissance mondiale, il fait face à des divisions profondes au sein de l’Europe elle-même, mises en évidence par la décision de sortie de la Grande-Bretagne de l’UE cet été.

Les tensions intra-européennes se sont encore manifestées à Bruxelles, où les ministres des Affaires étrangères britannique et français ont snobé la réunion de dimanche soir prévue par Berlin. Le ministre britannique des Affaires étrangères, Boris Johnson, s’est moqué de la réunion décrite comme un « râleurs-O-Rama », alors que les sources de Whitehall l’ont rejetée comme « tout un cinéma » conçu pour permettre aux représentants de l’UE de se positionner comme adversaires de Trump.

(Article paru en anglais le 15 novembre 2016)

 

 

 

 

Loading