Perspectives

Les enjeux politiques de la campagne pour recompter les voix aux élections américaines

Trois semaines après l’élection présidentielle américaine, la crise politique déclenchée par l’initiative pour recompter les voix dans le Wisconsin, le Michigan et la Pennsylvanie, trois États qui ont contribué à assurer la victoire de Trump sur Clinton, s’intensifie. Cette initiative coïncide avec la poursuite de la croissance de l’avance de Hillary Clinton dans le vote populaire, qui s’élève maintenant à plus de 2,2 millions de voix. Il s’agit, de loin, d’une marge historiquement sans précédent pour une candidate qui n’a pourtant pas gagné au Collège électoral.

Jill Stein, candidate présidentielle du Parti vert, a lancé la campagne pour recompter la semaine dernière suite à un reportage avec le professeur de l’Université du Michigan et expert en cybersécurité J. Alex Halderman. Utilisant des arguments de droite pour légitimer l’effort d’un nouveau décompte aux yeux des responsables de la campagne de Clinton et du Parti démocrate – qui n’a pas l’intention de contester les résultats des élections – Halderman affirme qu’une équipe qu’il conduit a trouvé des preuves convaincantes que les machines à vote électronique dans ces trois États auraient pu avoir été piratées par la Russie, une déclaration qu’il a répétée dans une déclaration sous serment soutenant la demande de Stein pour un nouveau décompte des voix dans le Wisconsin.

Samedi, la campagne de Clinton a annoncé qu’elle participerait au processus commencé par Stein. Trump a réagi dimanche en dénonçant non seulement le dépouillement mais aussi en affirmant, sans aucune justification factuelle, qu’il a également remporté le vote populaire si on ne comptait pas les « millions » de votes illégaux pour Clinton comme valides.

La demande d’un nouveau dépouillement est une réponse politique légitime à une situation où les votes dans les États en question étaient particulièrement rapprochés (une marge pour Trump de seulement 22 000 dans le Wisconsin, de 10 000 dans le Michigan et de 68 000 en Pennsylvanie).

Il y va de beaucoup plus, cependant, qu’une procédure technique dans ces trois États. La campagne pour un nouveau décompte a exposé des fissures politiques au sein de l’élite dirigeante, compliqué les efforts pour effectuer une transition sans anicroche à une administration Trump, et a intensifié l’humeur de mécontentement populaire et la crise qui ne fait que s’intensifier depuis le jour des élections.

La réaction de l’administration Obama à ce nouveau décompte en dit long sur son indifférence à l’égard des principes démocratiques fondamentaux. Dans les commentaires au New York Times publiés dimanche, un haut fonctionnaire de la Maison Blanche a insisté sur « l’intégrité globale de l’infrastructure électorale », qui garantissait des résultats qui « reflètent fidèlement la volonté du peuple américain ». 

Évidemment c’est faux. L’élection de Trump ne représente pas la « volonté du peuple ». Il a perdu le vote populaire par une marge substantielle. En outre, Trump a fait campagne sur la base de mensonges démagogiques, se présentant comme un défenseur de la classe ouvrière.

Dans leur précipitation pour soutenir Trump, les démocrates, avec les médias, minimisent et dissimulent l’importance de la défaite de Trump dans le vote populaire. Le Parti démocrate se préoccupe beaucoup plus de ne pas alimenter l’opposition chez les travailleurs et les jeunes que des différences tactiques qu’il a avec les républicains et Trump. Sur les éléments fondamentaux de la politique de classe, les deux partis sont, comme l’a dit l’agent en chef de la CIA, Obama, « de la même équipe ».

Le Parti vert, plutôt que de dénoncer le caractère antidémocratique du processus électoral, justifie son initiative de décompte voix en affirmant que le piratage des russes aurait pu avoir une incidence sur le résultat du vote. Au lieu de chercher à élever la conscience démocratique des électeurs, les Verts, d’une manière typique des partis politiques capitalistes, emploient des arguments réactionnaires qui sont orientés vers les intérêts de la classe dirigeante. En effet, les Verts font valoir qu’ils ne cherchent pas un nouveau décompte pour empêcher Trump de voler l’élection, mais plutôt pour empêcher Poutine de s’ingérer dans la politique américaine.

Il y a une prémisse tacite dans l’initiative du Parti vert, et Stein n’a rien dit pour l’infirmer, que l’élection de Clinton aurait épargné aux États-Unis tout le malheur qui s’imposera après la victoire de Trump. Il s’agit là d’un exercice de tromperie politique, qui considère Trump comme une sorte de départ affreux et accidentel des rythmes familiers de la démocratie américaine.

Les Verts ne semblent pas se rendre compte que le résultat de l’élection de 2016 est, en termes objectifs, l’expression et le résultat d’une crise profonde de la société américaine. Même si Trump était derrière Clinton dans le vote populaire, le fait qu’il a reçu 62 millions de voix est une censure dévastatrice de tout ce que le Parti démocrate et le gouvernement Obama représentent. Quel niveau de détresse sociale et de dysfonctionnement pourrait amener tant de millions de personnes, y compris de nombreux travailleurs, à donner leur voix à ce charlatan réactionnaire ?

La montée de Trump est le produit de vingt-cinq ans de guerre sans fin et de quinze ans de « guerre contre le terrorisme » accompagnée de niveaux historiques d’inégalité sociale et d’érosion des droits démocratiques fondamentaux. C’est aussi un verdict sur les huit ans du gouvernement Obama, dont Clinton avait promis de continuer les politiques. De quelle manière une présidence Clinton contribuerait-elle à surmonter la crise économique, politique et sociale qui a donné l’impulsion objective à la montée de Trump ?

Les Verts, loin de proposer une alternative au Parti démocrate, se positionnent comme ses défenseurs les plus fervents. Soutenue par une foule d’organisations qui ont opéré autour du Parti démocrate et soutenu les Verts dans les élections, Stein cherche à renforcer le rôle du Parti vert comme un instrument politique de la classe dirigeante pour contenir et étouffer l’opposition sociale.

Dans les conditions d’une crise historique du capitalisme, la classe ouvrière doit mettre en avant sa propre perspective et ne pas se laisser embarquer derrière l’une ou l’autre des factions de la classe dirigeante et de ses représentants politiques.

Quelle que soit l’issue de ce nouveau décompte, l’élection de 2016 a inauguré une nouvelle période de bouleversements politiques convulsifs aux États-Unis et au-delà de ses frontières. Même dans le cas très improbable où les votes dans le Wisconsin, le Michigan et la Pennsylvanie seraient renversés, qui peut croire sérieusement qu’un tel résultat serait accepté par Trump et ses partisans les plus impitoyables ?

Il n’existe pas de moyen facile de sortir de la crise du capitalisme américain et mondial. La question cruciale pour les travailleurs et les jeunes est de rompre complètement avec tout l’appareil politique de la classe dirigeante et d’avancer une réponse indépendante basée sur un programme socialiste, internationaliste et révolutionnaire. Nous exhortons nos lecteurs et sympathisants à tirer les conclusions politiques nécessaires de l’élection de 2016 et rejoindre le Parti de l’égalité socialiste.

(Article paru en anglais le 29 novembre 2016)

Loading