Le Premier ministre japonais rencontre le président élu Trump

L’élection de Donald Trump a provoqué une certaine panique dans les milieux dirigeants japonais. Le Premier ministre, Shinzo Abe, a rapidement organisé une réunion avec Trump à New York hier.

La réunion, tenue à Trump Tower à Manhattan, n’a duré que 90 minutes. Presque rien n'a filtré, car Abe a indiqué que les pourparlers étaient officieux. Selon lui, la discussion était « candide » et marquée par une « atmosphère chaleureuse », Trump était digne de confiance, et les deux se réuniraient plus tard pour des discussions « plus larges et plus profondes ».

Le ton de ses propos trahissait les inquiétudes profondes du gouvernement Abe sur la victoire de Trump. Abe avait convoqué cette réunion à la hâte, lors d'un appel téléphonique à Trump le lendemain de l’élection ; le jour avant, l'heure et l'emplacement de la réunion, ainsi que l'identité des conseillers qui y assisteraient, étaient « en suspens », selon les sources officielles.

La principale préoccupation d'Abe et de la classe politique japonaise est que, selon l’Asahi Shimbun, l’un des principaux quotidiens du pays, la victoire de Trump « constitue un énorme tremblement de terre politique qui secouera l’ordre de l’après-guerre jusqu’à la moelle ».

Les enjeux concernent les relations économiques, l’avenir du Pacte de sécurité entre le Japon et les États-Unis, le coût du stationnement des troupes américaines au Japon, si oui ou non les États-Unis continueront à soutenir le Japon dans ses conflits avec la Chine en mer de Chine orientale, ainsi qu'en mer de Chine méridionale.

La visite d’Abe à New York a été organisée dans le cadre de son voyage à la réunion du sommet de la Coopération économique Asie-Pacifique (APEC) à Lima, au Pérou, ce week-end, où la désintégration du Partenariat Trans-Pacifique (PTP) sera l’un des points clés de l’ordre du jour.

Le PTP, qui excluait la Chine, était la pierre angulaire économique du « pivot vers l’Asie » contre la Chine mené par l’Administration Obama. Il est maintenant mort et enterré. Trump a dit qu’il ne l’accepterait pas après son investiture le 20 janvier et Obama a mis au rebut des engagements antérieurs pour tenter de le faire passer au du Congrès avant que Trump prenne le pouvoir. Il abandonnait ainsi le Japon et d’autres partenaires du PTP qui l'avaient signé.

Sous la pression d'Obama, Abe s'était investi considérablement dans la tentative d'adopter le PTP, l'imposant cette semaine à la Chambre basse du Parlement japonais malgré une opposition interne. Mais cette stratégie est maintenant en lambeaux, créant des occasions pour la principal rival régional du Japon, la Chine.

S’adressant à un comité de la Chambre haute sur le PTP mardi, Abe a dit qu'à présent, l'imposition d'un accord de libre-échange soutenu par la Chine excluant les États-Unis était possible.

« Sans doute, il y aura un pivot vers le Partenariat économique régional intégré (RCEP) si le PTP n'avance pas », a-t-il dit. « Le RCEP n’inclut pas les États-Unis, faisant de la Chine l’économie ayant le plus gros produit intérieur brut qui y participerait ».

Le Japon craint que l’échec du PPT ne conduise d’autres pays de la région à renforcer leurs liens économiques avec la Chine. Le vice-ministre du Commerce de Malaisie, Ong Ka Chuan, a déclaré que son pays chercherait à compléter le RCEP après l’élection de Trump.

« Maintenant, vu la situation du PTP, on mettra l’accent sur le RCEP. Nous espérons que la conclusion du RCEP compensera beaucoup de l’impact négatif du PTP », a déclaré Ong, exprimant l’espoir que l’accord pourrait être rapidement conclu.

Le Singapour a lancé plusieurs avertissements que l’échec du passage du PTP avec les États-Unis obligerait ce pays, un grand entrepôt commercial, à envisager d’autres solutions.

Le gouvernement australien, qui forme, avec le Japon, la base des alliances américaines dans l'Asie-Pacifique, a indiqué qu’avec l’échec du PTP, il pourrait également regarder ailleurs.

Cete semaine, le ministre du Commerce, Steve Ciobo, a déclaré au Financial Times que l’Australie appuierait la proposition d’une zone de libre-échange de la région Asie-Pacifique (FTAAP), car toute mesure visant à accroître le commerce et la croissance économique est un « pas en avant dans la bonne direction ».

La FTAAP, dont on discute au sein de l’APEC depuis 2010, inclut officiellement les États-Unis. Toutefois, vu l’opposition de l’administration Trump aux accords commerciaux, il est très peu probable que les États-Unis s’y inscrivent. La Chine y jouerait donc un rôle de premier plan. Dans un commentaire publié dans l’Australian Financial Review, Ciobo a déclaré que l’Australie travaillerait en coopération avec ses partenaires sur le RCEP.

Les relations commerciales ne constituent qu'une des préoccupations d'Abe et de la classe dirigeante japonaise. Dans le cadre de la politique d’après-guerre, le Japon a affirmé ses intérêts économiques et stratégiques dans le cadre de l’alliance avec les Etats-Unis. Plus récemment, le gouvernement Abe a mis en avant plus agressivement le rôle mondial du Japon, notamment face à l’essor économique et militaire de la Chine, qu’il considère comme la plus grande menace à ses intérêts.

Mais l'élection de Trump met en cause l’ensemble de ce cadre politique, fondé sur l’alliance entre les États-Unis et le Japon, au sein de laquelle l’élite dirigeante japonaise mène sa politique économique et étrangère.

Pendant la campagne, Trump a dénoncé à plusieurs reprises le Japon comme un rival commercial et exigé que Tokyo finance intégralement le stationnement des troupes américaines sur son sol — qui coûte plus de 5,7 milliards de dollars par an — en plus des dépenses que le Japon paie déjà (environ 6,6 milliards de dollars). Selon Trump, le Traité de sécurité bilatéral serait déséquilibré. Il a dit au Japon de « nous payer » ou d'envisager de fournir ses propres moyens de défense.

C'est bien plus qu'une question d'argent. Dans un discours qui a sans doute effrayé Tokyo, Trump a déclaré à Des Moines, en août : « Savez-vous que nous avons un traité avec le Japon, où si le Japon est attaqué, nous devons utiliser toute les forces des États-Unis ? Mais si nous sommes attaqués, le Japon n’a aucune obligation. Ils peuvent rester chez eux regarder leurs télévisions Sony. Etes-vous d’accord ? », a-t-il déclaré, ajoutant les alliances doivent « aller dans les deux sens ».

L’Administration Abe, comme d’autres gouvernements dans le monde entier, n’a pas cru à la possibilité d’une victoire de Trump. Lors d’une visite en septembre aux États-Unis, Abe a rencontré Clinton, qui, en tant que secrétaire d’État d'Obama, était la force motrice derrière le « pivot vers l’Asie », et non avec Trump. Cette erreur de calcul provoqua la frénésie de la réunion Trump-Abe.

Selon Abe, l’alliance entre les États-Unis et le Japon était « la pierre angulaire de la diplomatie et de la sécurité japonaises » et que puisqu' « une alliance s’anime seulement quand il y a confiance, », il voulait faire confiance à Trump.

Alors que les questions immédiates dans les relations entre les États-Unis et le Japon diffèrent dans le détail, il y a de nettes ressemblances à la situation dans les années 1920.

Après la Première Guerre mondiale, le Japon, qui s’était aligné avec la Grande-Bretagne et les États-Unis contre l’Allemagne, a voulu faire progresser ses intérêts économiques et stratégiques dans un contexte international de plus en plus marqué par la domination des États-Unis. Cette stratégie a failli avec le krach de Wall Street en 1929, le tournant des États-Unis vers le nationalisme économique et le protectionnisme, et l’effondrement du commerce mondial.

Après une lutte acharnée au sein des élites politiques et militaires, le Japon a lancé l’invasion de la Mandchourie en 1931, puis par l’invasion à grande échelle de la Chine en 1937, ce qui a déclenché finalement la guerre avec les États-Unis en 1941.

Aujourd’hui, toutes les contradictions qui ont mené finalement dans une période antérieure à la guerre réapparaissent, alors que le Japon fait face à la perspective d’une rupture dans son alliance stratégique clé, la montée du nationalisme économique et d’un rival régional, la Chine.

(Article paru d’abord en anglais le 18 novembre 2016)

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