Les médias allemands réclament un renforcement militaire en réaction aux élections américaines

Dans les articles de presse allemands concernant les conséquences en matière de politique extérieure de l’élection présidentielle américaine, un thème récurrent s’est dégagé : avec l’élection de Donald Trump, les États-Unis ont délaissé la communauté de la politique et des valeurs occidentales, c’est donc la raison pour laquelle l’Allemagne devra assurer elle-même son renforcement militaire, unir l’Europe sous sa direction et assumer la responsabilité internationale de la défense des « valeurs occidentales ».

Tel est le fil rouge qui parcourt tous les camps politiques. Alors que certains des médias conservateurs souhaitent maintenir d’étroites relations avec les États-Unis sous Trump, ils y attachent toutefois l’exigence d’un renforcement militaire et d’une politique de défense européenne commune.

Thomas Schmid, éditeur du journal Die Welt, considère qu’il « est actuellement imprudent de dire adieu aux États-Unis », en disant que l’Europe et l’Amérique allaient de pair. « L’Europe », a-t-il ajouté « doit et devrait en même temps devenir quelque chose comme une grande puissance si elle tient à s’affirmer dans le monde et aux côtés des États-Unis qui risquent peut-être de chavirer ».

Dans le Frankfurter Allgemeine Zeitung (FAZ), Berthold Kohler déplore : « le délaissement du monde par l’Amérique » et en tire les conclusions suivantes : « Les Européens désunis devront s’accorder sur les questions importantes en défendant plus rigoureusement leurs propres intérêts ». Dans le même journal, Holger Steltzner a ajouté : « Les États-membres [de l’Union européenne] devront considérablement accroître leurs dépenses de sécurité intérieure et extérieure. » Kohler et Steltzner sont tous deux éditeurs du FAZ.

L’industrie de l’armement a d’ores et déjà reconnu l’occasion qui se présente. Mercredi, les actions du géant de l’armement allemand Rheinmetall ont bondi par moment de 6 pour cent.

Les voix les plus fortes réclamant une politique étrangère allemande et européenne plus ferme n’émanent pas des conservateurs mais plutôt des journaux libéraux. Ils profitent des inquiétudes ressenties face à une présidence Trump pour faire campagne en faveur d’un retour du militarisme allemand.

Le coéditeur de Die Zeit, Bernd Ulrich, a comparé Trump aux « monarques risque-tout et aux dirigeants fascistes », qui « à plusieurs reprises ont conduit [l’Europe] dans le malheur ». Il a décrit Trump comme un « macho abruti et vulgaire » et les États-Unis de « pouvoir mondial errant en déclin ». Il en a déduit qu’« il est grand temps maintenant de faire nos adieux à l’américanisme, à l’atlantisme naïf, à la soumission crédule à l’Amérique et à l’idée que les Américains sont toujours à l’avant-garde ».

Ulrich continue en écrivant : « Avec l’élection de Trump et l’accès d’humeur de l’une des plus grandes et plus puissantes démocraties du monde, il ne reste plus qu’une seule grande puissance qui puisse incarner la démocratie et la raison. Cette puissance c’est l’Europe. Et la personne la plus puissante au monde à n’être ni autoritaire ni folle, est depuis cette semaine Angela Merkel ».

L’on ne sait pas trop s’il faut en rire ou se mettre en colère face à un article aussi hystérique. Ulrich nomme précisément Merkel, qui est détestée dans une grande partie de L’Europe en raison de sa brutale politique d’austérité et de son accord réactionnaire conclu avec la Turquie, comme l’incarnation de la « démocratie et de la raison ». Ulrich qualifie l’Union européenne, cet instrument des grandes puissances européennes, des banques et des grands groupes, qui est détestée par de vastes couches de la population, de « puissance démocratique mondiale fonctionnant le mieux ».

Ulrich est un représentant typique de cette couche de la classe moyenne disposant d’une formation universitaire qui est passée du pacifisme aux machinations guerrières et de la critique social à la défense du statu quo. Cet objecteur de conscience a débuté sa carrière de journaliste dans le magazine anarcho-pacifiste Graswurzelrevolution [Révolution par la base]. Au début de sa carrière il dirigea le bureau du groupe parlementaire du parti des Verts. Il était entre autres pigiste pour les journaux Taz et Frankfurter Rundschau avant de se retrouver à Die Zeit.

Le Süddeutsche Zeitung avance des arguments identiques à ceux de Die Zeit. Son rédacteur en chef, Kurt Kister écrit : « Les États qui en Europe avaient précédemment figuré parmi les alliés les plus proches des États-Unis sont maintenant obligés de se repositionner […] La relation entre l’Europe et les États-Unis non seulement sera plus compétitive mais aussi plus conflictuelle. C’est la raison pour laquelle, l’UE – ne serait-ce qu’un cercle restreint de grands États – devra développer une stratégie ». Cela commencera par une politique commerciale pour se poursuivre par la défense et la sécurité et sans ignorer les services secrets.

Stefan Bauer rappelle dans ce même journal le discours prononcé par le président allemand Joachim Gauck qui il y a trois ans avait appelé à la fin de la retenue militaire et à une responsabilité internationale plus grande. Ceci se « concrétisera finalement », écrit Braun. « Si l’Europe, l’Europe des démocrates, des droits de l’homme et de la libéralité veut défendre ses valeurs, elle devra les défendre elle-même ».

Les « valeurs » en question sont révélées par l’admission que les États-Unis ont précédemment défendu ces « valeurs ». Manifestement, l’on entend par là 25 ans de guerre quasi ininterrompue durant lesquelles les États-Unis et leurs alliés ont détruit de vastes parties du Moyen-Orient, tué des centaines de milliers de personnes et poussé des millions d’autres à fuir leur pays. C’est ce que les partisans d’une « responsabilité internationale » proposent d’offrir. Il n’est pas question de « valeurs », il est question d’intérêts impérialistes, d’influence stratégique, de matières premières et de parts de marché. Chaque guerre d’agression impérialiste, même la plus brutale, a été menée au nom de « valeurs » nobles.

L’économie allemande en particulier est extrêmement fébrile face à l’élection de Trump. Si elle mettait à exécution son annonce de protéger les États-Unis du commerce mondial, l’Allemagne serait menacée de la perte de son plus important marché d’exportation. En 2015, les États-Unis ont remplacé au bout de six décennies la France comme son plus grand partenaire commercial. Cette année, l’industrie allemande y a exporté pour 114 milliards d’euros de marchandises, 73 pour cent de plus qu’en 2010 et près du double de ce qu’elle importe des États-Unis. De plus, les États-Unis comptent pour un sixième du montant total des investissements directs allemands.

Si ces marchés devaient s’effondrer sous Trump, l’économie allemande aura besoin de les remplacer. C’est l’une des principales raisons du retour du militarisme allemand et d’une politique étrangère agressive.

Cette stratégie jouit du soutien non seulement des partis au pouvoir, mais aussi des Verts et des partis d’opposition de « gauche ». Stefan Liebich du parti Die Linke (La Gauche), l’a révélé la veille de l’élection en réagissant d’une manière extrêmement enthousiaste à l’idée de poursuivre une politique étrangère allemande plus agressive.

Liebich a déclaré que l’Allemagne et l’Europe doivent « à l’avenir adopter une politique étrangère plus solide, de façon indépendante et avec plus d’assurance ». L’époque où l’on s’orientait vers les États-Unis est révolue. « Il est temps maintenant de renforcer notre politique étrangère et de sécurité », a-t-il dit. « À l’avenir, nous dirons “non” haut et fort à ce que Washington voudra. Fini le temps du pédalage en douceur ».

Cette politique n’a rien à voir avec la défense des « valeurs ». Moins de 75 ans après les pires crimes commis dans l’histoire de l’humanité, la classe dirigeante allemande est la dernière à avoir le droit de sermonner les autres sur les « valeurs ». 

(Article original paru le 11 novembre 2016)

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