Londres reporte un accord sur la centrale nucléaire de Hinkley Point et provoque la colère de la Chine

La décision de la première ministre conservatrice Theresa May de repousser la signature d'un accord pour la construction de la première centrale nucléaire du Royaume-Uni depuis 20 ans a d'importantes implications pour les relations géopolitiques au plan international.

En vertu de l’accord proposé, reporté par May moins de 24 heures avant la date de signature prévue, c’est la société publique française EDF qui doit construire la centrale à Hinkley Point, en Angleterre, au coût de 18 milliards de livres, un tiers devant être financé par des sociétés nucléaires étroitement liées à l'Etat chinois. 

Le retard a mécontenté la France et la Chine, qui considèrent toutes deux leur engagement dans le projet Hinkley Point comme stratégiquement important . Des dizaines de milliers d'emplois sont en jeu si l'accord est annulé. 

Lundi, la Chine a réagi par un article de son ambassadeur au Royaume-Uni, Liu Xiaoming en bonne place dans les pages d'opinion du Financial Times. Sous le titre « Hinkley Point est un test de la confiance mutuelle entre le Royaume-Uni et la Chine », Xiaoming:avertit que, « À l'heure actuelle, les relations sino-britanniques se trouvent à un point historique crucial… J'espère que le Royaume-Uni gardera sa porte ouverte à la Chine et que le gouvernement britannique continuera de soutenir Hinkley Point et prendra une décision le plus tôt possible afin que le projet puisse se dérouler sans problème ». 

La décision de May bouscule la politique adoptée par son prédécesseur David Cameron et son chancelier George Osborne, qui ont fait des liens économiques avec la Chine, au centre desquels se trouvent les investissements chinois au Royaume-Uni, un axe central de leur politique économique. 

Xiaoming a révélé l'ampleur de cet investissement afin de souligner ce qui est en jeu dans le projet Hinkley Point. « La Grande-Bretagne est fière d'être un pays ouvert aux investisseurs étrangers ... C'est justement grâce à cette ouverture que la Chine est devenue le deuxième plus grand partenaire commercial non européen du Royaume-Uni. La Grande-Bretagne est l'une des destinations clés des entreprises chinoises qui cherchent à investir à l'étranger. Au cours des cinq dernières années, ces entreprises ont investi plus au Royaume-Uni que dans les trois pays Allemagne, France et Italie réunis ». [italiques ajoutées] 

Le Financial Times a approuvé l'intervention de Xiaoming, écrivant dans son éditorial, « May devrait saisir l’occasion avant et pendant le sommet du G20 de septembre en Chine pour rassurer ses homologues chinois que le nouveau gouvernement du Royaume-Uni apprécie les liens avec la Chine et les entreprises chinoises. Après tout, la sortie attendue du Royaume-Uni de l'UE rend indispensable une relation commerciale florissante avec la Chine ».

L'exportation de technologie nucléaire est au cœur des ambitions mondiales de la Chine. Xiaoming a déclaré que la China General Nuclear Power Corporation était « le plus grand fournisseur d'énergie nucléaire en Chine » et «le plus grand constructeur mondial de réacteurs nucléaires, engagé qu’il est dans la construction d'un cinquième des générateurs nucléaires du monde ». 

La Chine voit son rôle dans le projet Hinkley comme un pas, évoqué durant la visite d'Etat du président chinois Xi Jinping en Grande-Bretagne en octobre dernier, vers la construction de sa propre centrale nucléaire au Royaume-Uni. Le Financial Times a noté, « Le véritable objectif de Pékin en Grande-Bretagne n'est pas tant Hinkley Point même, mais la possibilité de construire et de financer une autre centrale nucléaire de sa propre conception sur un site d'EDF à Bradwell dans l’Essex ». 

Il a cité un ministre anonyme du gouvernement disant: « Il s'agit surtout de Bradwell. Je suis sûr que Theresa [May] serait heureuse de prendre 6 milliards de livres aux Chinois pour Hinkley, mais on ne sait pas si elle est contente de la prochaine étape ».

La Chine considère la construction de centrales nucléaires en Grande-Bretagne comme essentielle à sa stratégie de la « Nouvelle route de la soie ». En proposant d'importants investissements dans les infrastructures et le commerce et des avantages économiques, Pékin espère attirer les pays de l'Eurasie, du Moyen-Orient et d'Afrique dans ses plans et contourner ainsi les efforts américains pour isoler la Chine sur le plan diplomatique, économique et militaire au moyen de son « pivot vers l'Asie ». 

Le marché de Hinkley avait été provisoirement convenu lors de la visite de Xi Jinping. Il faisait suite à la décision de Cameron de faire de la Grande-Bretagne la première puissance occidentale à participer à la Banque asiatique d'investissement pour l'infrastructure (BAII) en mars 2015. Ces démarches avaient fâché Washington. L'intervention de May a été largement vue comme sa réaction à l'opposition américaine et de figures de premier plan du renseignement et de l'armée au développement des liens commerciaux entre le Royaume-Uni et la Chine.

En réponse à l'article de Xiaoming dans le FT, un représentant du gouvernement britannique a déclaré mardi pour essayer de calmer la montée des tensions. « Il s'agit d'une décision à propos d'un projet d'infrastructure énorme et il est normal que le nouveau gouvernement le considère soigneusement. Nous coopérons avec la Chine dans de nombreux domaines allant de l'économie mondiale aux questions internationales et nous continuerons à rechercher une relation forte avec la Chine, » pouvait-on lire.

L’orientation du gouvernement Cameron vers la Chine s’est accompagnée d’affirmations que l'investissement de Pékin était essentiel à la croissance économique et à la stabilité de l'économie britannique. Son projet « Northern Powerhouse » visant à relier les villes du nord désindustrialisé de l'Angleterre pour faciliter l'exploitation de sa population de 15 millions d’habitants par des sociétés internationales s’appuyait surtout sur l’investissement chinois. Avant la visite de Xi Jinping, le ministre des Finances George Osborne avait exhorté, à Chengdu, en Chine, les entreprises à répondre aux appels d'offre pour sept contrats d'une valeur de 11,8 milliards de livres, couvrant la première phase du train à grande vitesse (HS2) proposé entre Londres et Birmingham. Il avait invité à présenter des offres pour 24 milliards de livres d’investissements supplémentaires dans le nord de l'Angleterre.

May a signalé que le projet d'Osborne serait mis de côté en faveur d'une stratégie visant à accroître la productivité au niveau national.

Le projet de Hinkley devait être extrêmement rentable pour la France à long terme, avec des recettes et des garanties de prix pour une durée de vie prévue de 35 ans. Simon Jenkins du Guardian s'est plaint de ce que « Hinkley Point était une mauvaise affaire. » Cameron avait effectivement « bourré » les poches de ses constructeurs chinois et français « avec de l'or », a-t-il dit, « dans la pire affaire de l'histoire des marchés. » May devait lui « donner le coup de grâce. »

Mais le conseil d'administration d'EDF n’avait convenu l'accord que le jour avant que May n’annonce son report. Seule une petite majorité du conseil d'administration d'EDF, qui a déjà des dizaines de milliards d'euros de dettes, a voté en faveur du marché conclu, face à une vive opposition d'un certain nombre d'actionnaires d'EDF, alliés aux syndicats. Cette semaine, il a été révélé que le coût global du financement du projet pourrait dépasser de 2,7 milliards de livres les 18 milliards déjà prévus, ce qui pourrait faire grimper la part du coût d'EDF (12 milliards de livres) à 13,8 milliards (16 milliards d’euros).

Lundi, le Parti socialiste du président François Hollande a publié une déclaration prévenant que le doute sur Hinkley était un grave danger pour EDF et l'économie française : « Le Parti socialiste estime qu'un projet qui est si important que cela pourrait compromettre la solidité et la survie de la compagnie nationale de l'énergie exige que tous les doutes et les hésitations soient réglés avant que le projet se poursuive, » y lisait-on.

La décision de May fait partie des retombées économiques et politiques du vote en faveur du Brexit en juin. Prenant ses fonctions après la démission de Cameron, elle a déclaré qu'elle serait intransigeante dans l’exigence de conditions économiques optimales pour le Royaume-Uni suite au Brexit. Le premier fruit de cette politique est essentiellement l’exigence que, selon les mots du Financial Times, EDF trouve « une offre bien meilleure. »

Le Parti travailliste a réagi en dénonçant May ; le ministre des Entreprises fantôme Jon Trickett a déclaré: «Lors du référendum, l'une des rares propositions fermes du camp Brexit (Sortir de l’UE) était que la prospérité économique de la Grande-Bretagne hors de l'Europe pourrait être assuré par la poursuite de nos relations avec la Chine et d'autres grandes économies à croissance rapide en Asie. Le « premier ministre a mis cela, et 40 milliards de livres d'investissements étrangers, en danger en bâclant les négociations à propos de Hinkley Point.

Peter Mandelson, un allié clé de l'ancien premier ministre travailliste Tony Blair, en tête de ceux qui tentent d’éliminer Jeremy Corbyn comme chef du parti, a insisté mercredi pour que May permette au projet Hinkley Point de continuer. Mandelson, qui est président du lobby Great Britain China Centre, a déclaré à la BBC, dans la foulée du vote pour le Brexit, « Nous ne pouvons pas être trop pointilleux quant à ceux avec qui nous faisons du commerce ... malgré la taille de notre marché, nous sommes probablement moins importants pour la Chine en dehors de l'Union européenne parce que nous serons incapables d'influencer la future politique commerciale de cet énorme bloc et hors de l'UE, nous sommes probablement plus dépendants de la bonne volonté de la Chine parce que nous aurons besoin de remplacer le commerce perdu en Europe ».

(Article paru en anglais le 11 août 2016)

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