Perspectives

La crise de destitution brésilienne et la débâcle du Parti des travailleurs

Le vote de la chambre basse du Congrès brésilien dimanche 17 avril en faveur de la destitution de la présidente Dilma Rousseff, marque la fin d'une ère politique et l'ouverture d'une nouvelle période de lutte de classe intense dans le plus grand pays d'Amérique latine. 

Depuis 13 ans, la classe dirigeante brésilienne compte sur le Parti des travailleurs (Partido dos Trabalhadores-PT), d'abord sous son fondateur, l'ancien chef du syndicat des métallurgistes Luiz Inacio Lula da Silva puis sous celle choisie pour lui succéder, Dilma Rousseff, pour défendre les intérêts du capital brésilien et international, tout en amortissant les tensions sociales avec des programmes minimaux d'aide et la collaboration de la bureaucratie syndicale. 

La campagne pour la destitution, menée dans la pire crise économique du pays depuis la Grande Dépression des années 1930, vient essentiellement de la détermination de l'oligarchie financière et capitaliste dominante, soutenue par l'impérialisme américain, de modifier fondamentalement les rapports de classe. 

Rousseff, Lula et leurs partisans ont sans cesse insisté pour dire que les démarches pour destituer la présidente sur des accusations fragiles de manipulation du financement de l'État, équivalait à un « coup d'Etat». Dans la mesure où c'est un coup mené grâce à une violation flagrante des procédures constitutionnelles, les principaux conspirateurs ne se trouvent pas dans l'armée brésilienne ou la CIA américaine, mais sur les marchés financiers de Sao Paulo et de Wall Street. 

Les actions brésiliennes ont gagné plus de 35 pour cent depuis le début de l'année, en grande partie dû à la campagne pour destituer Rousseff, alors que la monnaie nationale, le real, a augmenté de plus de 10 pour cent par rapport au dollar. 

La veille du vote de destitution, des personnalités de la finance et de l'entreprise ont agressivement fait pression sur le Congrès pour assurer un vote en faveur de la destitution dans la chambre basse. On a mis des avions privés à la disposition des députés disant qu'ils ne pourraient se rendre à la session dans la capitale Brasilia. 

Le vote a largement dépassé la majorité des deux tiers nécessaire pour transmettre le processus au Sénat – 367 voix pour, contre un total de seulement 146 votes « non », d’absences et d’abstentions. Sans perdre un instant, Folha de S.Paulo publiait un article intitulé « Les entreprises exigent des réformes impopulaires dans six mois, » fixant l’agenda d’un gouvernement post-PT dirigé par le vice-président Michel Temer, le leader du Parti du mouvement démocratique brésilien ( PMDB). L'article appelle entre autre à la suppression de l’exigence que le gouvernement respecte un niveau fixe de financement pour les soins de santé et l'éducation, une « réforme » radicale des lois sur la retraite, une réécriture du code du travail et une nouvelle vague de privatisations, dont celle de Petrobras, le centre du scandale des commissions occultes en échange de contrats qui a englouti non seulement le gouvernement PT, mais aussi chaque grand parti. Ce qui est manifestement en cours de préparation est une attaque frontale des droits sociaux et des conditions de vie de la classe ouvrière brésilienne.

Le vote de dimanche fut une sorte de carnaval grotesque imprégné de réaction et d’hypocrisie; les députés brandissaient des banderoles, scandaient des slogans et allumaient même des feux d'artifice comme ils votaient la destitution. Pas moins de 60 pour cent des députés de la chambre font l’objet d’accusations criminelles mais les orateurs pestaient contre la corruption de Rousseff, tout en invoquant Dieu, leurs enfants et petits-enfants, la peur de l'éducation sexuelle à l'école et l'héroïsme supposé des dirigeants de la junte et des tortionnaires de la dictature qui a gouverné le Brésil pendant plus de 20 ans après le coup d'Etat de 1964 soutenu par les USA. 

Malgré son aspect répugnant ce spectacle ne confortait guère l'image des dirigeants du PT, la cible de la colère de ces députés. Les plus réactionnaires et les plus corrompus des partisans de la destitution étaient les récents partenaires de coalition du Parti des travailleurs, et Lula lui-même avaient passé la semaine précédente à vouloir gagner leur soutien avec des pots de vin et des promesses politiques.

En cherchant à contrer le « coup », le PT n'a pas pu, et en fait n'a jamais voulu, mobiliser la classe ouvrière. Les travailleurs brésiliens ont été licenciés massivement au rythme de plus de 100.000 par mois dans l'année écoulée et l'inflation a rongé leur niveau de vie. Etant donné les mesures d’austérité imposées par le gouvernement Rousseff, le PT bénéficie de peu de soutien.

L’argument principal de la direction du PT pour tenter de dévier la campagne de destitution a été adressé non pas aux travailleurs, mais à la bourgeoisie brésilienne. Selon Rousseff, un gouvernement Temer installé après la destitution manquerait de «légitimité» pour faire passer les vastes « sacrifices » exigés par les marchés boursiers et la grande entreprise. Le PT, utilisant ses partenaires dans les syndicats et divers « mouvements sociaux » institutionnalisés pour étouffer les mouvements sociaux, convenait mieux pour cette tâche.

Bien qu'il semble certain que le Sénat acceptera la procédure de destitution de Rousseff, qui n’exige qu’un vote à majorité simple et déclenchera sa suspension pour 180 jours jusqu’à ce que la chambre haute parvienne à un jugement définitif, il est loin d'être évident que Temer et ses alliés puissent rétablir la stabilité du pouvoir capitaliste. Temer – surnommé « Dracula » pour sa ressemblance marquée avec Bela Lugosi, l'acteur de ce rôle – est lui-même confronté à une procédure de destitution, et le deuxième et le troisième politicien dans la ligne de succession sont impliqués jusqu'au cou dans le scandale Petrobras.

Pour la classe ouvrière brésilienne une assimilation des leçons amères de la trahison prolongée menée sous la bannière du PT a une importance décisive. Avant qu’un Syriza ne trahisse les travailleurs grecs et n’impose les diktats du capital financier européen et avant qu’on ne prépare un Podemos en vue d’une trahison similaire en Espagne, il y avait déjà au Brésil le Parti des travailleurs.

Fondé en 1979 durant les grèves industrielles massives et le mouvement croissant d'étudiants qui ont secoué dans ses fondements la dictature militaire, le PT a servi d’instrument pour dévier ces luttes tumultueuses dans les chemins sûrs de la politique bourgeoise. Au fur et à mesure que l'appareil du parti et de la fédération syndicale CUT qui lui est affiliée grandissait, il a de plus en plus fermement pris racine dans les intérêts d'une couche de la classe moyenne privilégiée et il est devenu de plus en plus hostile aux intérêts de la classe ouvrière.

Comme avec Syriza et Podemos aujourd'hui, un grand nombre d'organisations de la pseudo-gauche ont fait la promotion du PT comme d’une alternative à la construction d'un parti révolutionnaire de la classe ouvrière brésilienne basé sur la perspective de l'internationalisme socialiste. Le PT, faisaient-elles valoir, offrait une nouvelle voie pacifique brésilienne au socialisme.

Au centre de cette opération politique il y avait les efforts d'un ensemble d'organisations se disant socialistes et même trotskystes, qui avaient toutes, à une époque antérieure, rompu avec le Comité international de la Quatrième Internationale, le mouvement trotskyste mondial. Ils vantaient le castrisme et la guérilla petite-bourgeoise comme la nouvelle route au pouvoir; les résultats furent désastreux dans toute l'Amérique latine.

Les partisans du révisionniste français Pierre Lambert, l'Argentin Nahuel Moreno et le Secrétariat Unifié pabliste d’Ernest Mandel se sont tous liquidés dans le PT. Certains ont été expulsés à mesure que le parti virait toujours plus à droite, tandis que d'autres ont réussi à y rester jusqu'à ce jour, parmi eux, des individus impliqués dans les scandales de corruption successifs du parti.

L’acharnement pour destituer Rousseff est un sévère avertissement à la classe ouvrière brésilienne. Les travailleurs ne peuvent défendre leurs droits que par une rupture consciente d’avec le PT et la CUT, qui sont des instruments non pour mener la lutte des classes, mais pour la supprimer.

Ce qui est nécessaire est un réarmement politique de la classe ouvrière et la construction d'une nouvelle direction révolutionnaire, basée sur une critique implacable des tendances politiques et des perspectives responsables de la débâcle du PT.

Cela signifie construire une section brésilienne du Comité international de la Quatrième Internationale dont les décennies de défense des principes marxistes et trotskystes fournissent une base solide pour forger une nouvelle direction révolutionnaire dédiée à l’unification de la classe ouvrière internationale, contre l'exploitation capitaliste, l'oppression et la guerre.

(Article original paru en anglais le 19 avril 2016)

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