Manifestations massives en Allemagne contre les déportations vers l’Afghanistan

Mercredi, 34 réfugiés afghans ont été déportés de force de Francfort vers Kaboul à bord d’un avion charter au départ de l’aéroport Francfort/Rhein-Main. C’est la première fois qu’une telle déportation de masse a lieu en Allemagne. Une manifestation spontanée à l’aéroport de Francfort a rassemblé un millier de personnes, entre autres de nombreux jeunes. Ils portaient des panneaux de signalisation stop en scandant des slogans tels « Déportation égal torture, déportation égal meurtre. Le droit de rester pour tous, tout de suite ! »

Des protestations et des manifestations avaient déjà eu lieu auparavant. Samedi, « Journée internationale des droits de l’Homme », des milliers de gens avaient pris part à Berlin à une manifestation en faveur d’un arrêt des déportations vers l’Afghanistan.

Malgré ces protestations, le gouvernement allemand a poursuivi les déportations avec une extrême brutalité. Il est en train de déporter des réfugiés, y compris un grand nombre de ceux qui étaient tolérés depuis de nombreuses années, vers un pays où la guerre fait rage et où les droits humains fondamentaux sont inexistants.

En octobre, l’UE avait approuvé un accord de rapatriement avec le gouvernement fantoche d’Afghanistan en garantissant le versement de 1,7 milliard d’euros si le gouvernement acceptait en échange les réfugiés. La force motrice derrière ce marchandage minable est le gouvernement allemand. C’est sur cette base que le ministre allemand de l’Intérieur, Thomas de Maizière (CDU), veut expulser d’Allemagne vers l’Afghanistan jusqu’à 12 500 personnes dont les demandes d’asile ont été refusées et qui ne bénéficient que d’une « tolérance ».

Initialement, il avait été prévu que 50 réfugiés afghans seraient déportés mercredi. Quinze personnes ont cependant choisi la clandestinité, a expliqué de Maizière. Il a annoncé qu’à « l’avenir les familles et les femmes seraient aussi déportées ».

Les personnes déportées n’étaient nullement des « demandeurs d’asile délinquants » comme il avait été affirmé plut tôt. La plupart d’entre eux sont des réfugiés qui vivent depuis des années en Allemagne et qui sont maintenant déportés du jour au lendemain. Babur Sedik, 22 ans, a dit au journal Frankfurter Rundschau qu’il était en Allemagne depuis quatre ans et qu’il avait exclusivement vécu dans des foyers ou des camps de réfugiés. Rahmat Khan, âgé de 22 ans aussi, avait fui la région âprement disputée de Paktia. Il a tout de même été déporté.

Le Conseil bavarois des réfugiés a rapporté qu’un réfugié afghan de Dingolfing avait sauté par la fenêtre à 3 heures du matin lorsque la police a voulu l’arrêter. Il a été emmené à l’hôpital et apparemment embarqué dans un avion après un rapide traitement médical.

La cruauté dont font preuve les services de sécurité à l’égard des réfugiés afghans est aussi illustrée par le cas de Samir Narang, 24 ans, de Hambourg et qui s’était rendu à l’Office des étrangers pour proroger son statut de tolérance. Au lieu de prolonger son permis de séjour, il reçut toutefois un ordre de quitter le territoire et il fut mis en prison à Büren, qui est réservée aux réfugiés dont la déportation est déjà décidée. Il a depuis été déporté à Kaboul. En tant qu’hindou, Sami Narang appartient à une minorité religieuse persécutée en Afghanistan et il craint maintenant pour sa vie là-bas.

La déportation d’un Afghan de 29 ans fut stoppée in-extremis par le Tribunal constitutionnel fédéral parce qu’une procédure de demande d’asile était encore en cours. Ce qui signifie que les autorités avaient prévu de déporter les réfugiés dont les demandes n’avaient pas encore été définitivement rejetées.

Le Tribunal constitutionnel fédéral a fait connaître avoir explicitement laissé ouverte la question de savoir si les déportations vers l’Afghanistan étaient constitutionnelles. En dépit des réserves manifestes de la Cour suprême allemande, les déportations se sont déroulées mercredi en toute hâte.

La déportation collective est une violation flagrante des droits de l’homme. C’est également le point de vue de l’organisation Les Médecins pour une responsabilité sociale (IPPNW). Selon la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) qui s’applique aussi en Allemagne, les déportations de réfugiés vers des pays où ces derniers risquent la mort, la persécution ou la torture sont illégales.

Mais, c’est exactement la situation en Afghanistan. Même les directives de l’Office fédéral allemand des migrations, qui sert de base aux décisions en matière d’asile, ne laissent subsister aucun doute. « Un conflit armé intérieur déchire l’ensemble de l’Afghanistan sous la forme d’une guerre civile et d’une guérilla entre les forces de sécurité afghanes et les talibans ainsi que d’autres forces d’opposition. » Les violations des droits de l’homme sont très répandues, l’approvisionnement alimentaire est clairsemé et, à long terme, les « effets de la malnutrition mettent en danger la moitié des enfants en Afghanistan. »

La situation en matière de sécurité s’est considérablement aggravée ces derniers 18 mois. La mission de l’ONU pour l’Afghanistan a fait état de plus de victimes civiles durant les premiers neuf mois de cette année que depuis le début du recensement en 2009. Le New York Times a relaté dernièrement que les milices talibanes avaient tué tous les mois entre 30 et 40 soldats des forces de sécurité afghanes. Elles auraient de plus accru leurs attaques contre les capitales provinciales en détruisant les routes et l’infrastructure. Le gouvernement à Kaboul est en train de perdre le contrôle dans d’autres parties du pays. Selon les données fournies par le gouvernement américain, des groupes islamiques comblent de plus en plus souvent le vide au niveau du pouvoir.

Dans un commentaire fait lors d’une émission d’information de la première chaîne de télévision allemande, le journaliste Georg Restle a décrit les déportations comme étant « un cadeau de Noël pour l’extrême-droite » Il a exigé un arrêt immédiat des déportations.

Restle a poursuivi en disant : « La vérité est : l’Allemagne est un pays sûr, l’Afghanistan ne l’est pas du tout. Mais aussi parce que nous y avons mené une guerre qui a empiré les choses au lieu de les améliorer. C’est la raison pour laquelle le gouvernement fédéral a une responsabilité toute particulière à l’égard de ce pays et des gens qui l’ont fui. C’est pourquoi les déportations vers l’Afghanistan doivent cesser. Et ce sur le champ ! »

La brutalité avec laquelle le gouvernement fédéral exécute les déportations illégales en plein milieu de la nuit et dans le brouillard rappellent certains des pires crimes de l’histoire allemande. Les déportations nazies avaient aussi commencé par des déplacements forcés longtemps avant que les trains ne roulent vers les camps d’extermination.

Comme c’était le cas à l’époque, les attaques racistes étaient une réaction à la crise économique et sociale croissante. La classe dirigeante s’efforce de dévier l’opposition grandissante contre le chômage, la pauvreté et la détresse vers le racisme. C’est pourquoi la xénophobie est systématiquement encouragée afin de monter les travailleurs les uns contre les autres. Les attaques contre le droit d’asile en Allemagne et les brutales mesures de déportations sont le prélude à des attaques massives visant tous les travailleurs.

L’élection du démagogue droitier Donald Trump aux États-Unis a également engendré un net tournant vers la droite de la politique européenne et allemande ou, plus correctement, a accéléré ce tournant vers la droite. Le premier ministre bavarois Horst Seehofer (Union chrétienne-sociale, CSU) s’est exprimé en ces termes sur les déportations à la télévision : « J’espère qu’il ne s’agit pas d’une opération unique. » Des centaines de milliers d’autres personnes doivent encore être déportées. Il s’est appuyé sur les commentaires faits par la chancelière Angela Merkel qui avait dit que désormais l’ordre du jour est « rapatriement, rapatriement, rapatriement ».

La semaine dernière encore, la conférence de l’Union chrétienne-démocrate (CDU) avait repris à son compte dans sa résolution principale le slogan de l’Alternative pour l’Allemagne d’extrême-droite, « Étrangers dehors ! ».

Pour mettre en œuvre cette politique, le gouvernement fédéral collabore étroitement avec tous les autres partis qui, au niveau régional, gouvernent avec l’aide de coalitions gouvernementales différentes. Les Länder de Hesse, Bavière, Bade-Wurtemberg, Hambourg, Sarre et Rhénanie-du-Nord-Westphalie participent tous aux expulsions collectives. La principale responsabilité en incombe au gouvernement régional de Hesse, une coalition entre CDU et les Verts, qui a le contrôle en dernier ressort de l’aéroport Rhein-Main et des déportations qui sont décidées au niveau des Länder. Les Verts en Hesse ont donné leur accord explicite aux déportations.

Au parlement régional de Hesse, le président du groupe des Verts, Mathias Wagner, a déclaré qu’il trouvait les déportations vers l’Afghanistan « très difficiles à supporter », mais que le parlement régional ne pouvait pas mieux évaluer la situation là-bas sur le plan de la sécurité que les autorités fédérales compétentes et qu’il fallait se fonder sur leur jugement.

Au Bade-Wurtemberg, le ministre président Vert, Winfried Kretschmann, travaille étroitement avec Thomas Strobl (CDU). Strobl est le gendre du ministre fédéral des Finances, Wolfgang Schäuble (CDU) et un agitateur démagogique de droite qui représente la politique de l’AfD au sein du CDU. Le politicien Vert Boris Palmer, qui est le maire de Tübingen, avait lui aussi réclamé des déportations vers la Syrie.

Comme d’habitude, le parti Die Linke (La Gauche) joue un pitoyable double-jeu. Il a joué un rôle dans les manifestations à l’aéroport mais veille scrupuleusement à ne pas mettre en danger sa coalition avec le Parti social-démocrate et les Verts. À Berlin, il a récemment formé une coalition avec le SPD et les Verts et planifie également des déportations.

En Thuringe, le ministre-président Bodo Ramelow (Die Linke) s’est félicité du succès de ses déportations. De toute évidence, les déportations vers l’Afghanistan ne sont pas un tabou. Dans un appel lancé pour la « Journée internationale des droits de l’homme », le Conseil des réfugiés de Thuringe signale : « De nombreux réfugiés vivant en Thuringe sont originaires d’Afghanistan. Des délais d’attente très longs pour les décisions relatives à leur demande d’asile et de plus en plus de refus provoquent de l’angoisse chez les familles afghanes, les mineurs non accompagnés, les femmes et les hommes. »

(Article original paru le 16 décembre 2016)

 

 

 

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