Perspectives

Trump choisit le général « Mad Dog » Mattis comme ministre de la défense

Le dévoilement par le président nouvellement élu Donald Trump, jeudi soir, du choix du général à la retraite James Mattis pour le poste de secrétaire à la Défense, a reçu l’approbation de toutes les tendances de l’establishment politique et des principaux organes des médias contrôlés par la grande entreprise.

Trump a fait cette remarque vers la fin de son discours lors d’un rassemblement à Cincinnati, en Ohio, où il a élaboré une perspective qui allie le nationalisme extrême, le militarisme et des promesses démagogiques pour défendre les intérêts de la classe ouvrière. Il s’est référé à plusieurs reprises au surnom de Mattis, Mad Dog [chien fou], qui lui a été donné après avoir mené la contre-offensive brutale de la marine lors de la reconquête la ville irakienne de Falloujah en décembre 2004. Il n’y a que dans l’Amérique d’aujourd’hui qu’il est possible de saluer la nomination d’un général portant ce surnom comme un signe de modération et de bon sens.

Nommer Mattis nécessitera l’adoption d’une loi spéciale par le Congrès, puisque la loi actuelle exige qu’un officier militaire soit à la retraite depuis au moins sept ans avant de retourner au Pentagone dans un poste de haut rang réservé aux civils.

Lorsque le Département (ministère) de la défense a été créé en 1947, en remplacement du Département de la guerre, le Congrès a décidé qu’aucun de ceux qui avaient servi comme officier au cours des dix années écoulées (réduites à sept en 2008) ne pourrait être nommé. Bien que cette exigence ait été immédiatement levée pour permettre la nomination du général George Marshall en 1950, aucun ancien général n’a occupé ce poste au cours des 66 dernières années.

Cependant, il n’y a pas d’engagement envers la question démocratique fondamentale de base du contrôle civil de l’armée au sein de l’establishment politique américain. Il y a peu d’opposition au Congrès, venant dans l’un ou l’autre parti, à l’adoption d’une exception pour Mattis.

Mattis a une carrière longue et sanglante. Il a joué des rôles opérationnels de premier plan tant dans l’invasion de l’Afghanistan en 2001 que dans l’invasion et l’occupation de l’Irak en 2003-2004. Plus tard, il fut coauteur du manuel de guerre de contre-insurrection du Pentagone avec le général David Petraeus et a occupé un poste de premier plan auprès de l’OTAN.

Il a terminé sa carrière comme chef du Commandement central (CENTCOM) des États-Unis de 2010 à 2013, supervisant le retrait américain de l’Irak, l’impasse de plus en plus sanglante en Afghanistan et les efforts des États-Unis pour renforcer l’armée égyptienne contre la recrudescence révolutionnaire dans ce pays. Il a également supervisé l’élaboration des plans américains d’intervention en Syrie, saluant le soulèvement islamiste armé contre le régime d’Assad comme un coup stratégique potentiellement dévastateur porté contre à l’allié d’Assad, l’Iran.

Ce général à quatre étoiles a été retiré de son poste au CENTCOM cinq mois avant son terme, après être entré en conflit avec la Maison Blanche d’Obama sur la politique de ce dernier envers l’Iran, qu’il a considéré comme trop conciliante. Une fois à la retraite, Mattis a rendu publique ses différends, fustigeant le gouvernement Obama et sa « politique de désengagement au Moyen-Orient ».

Cette critique publique a fait de Mattis le chouchou de toutes les factions du Parti républicain. Les conservateurs du camp « Jamais Trump » comme William Kristol ont fait circuler son nom comme possible candidat indépendant à la présidence contre Trump. Trump et Hillary Clinton l’ont invité à prendre la parole en leur faveur lors des conventions républicaines et démocrates, mais il a refusé de jouer un quelconque rôle dans la campagne électorale de 2016.

Dans les médias de l’élite contrôlés par les grandes entreprises, il existe une remarquable unanimité de soutien à ce choix de Trump. Les éloges à l’égard de Mattis proviennent d’un large éventail, des conservateurs aux libéraux.

Le Wall Street Journal a intitulé son éditorial, « À l’attaque, le général Mattis », en affirmant que si Trump a choisi des amis personnels pour les autres postes, il « a choisi un secrétaire à la Défense sur le mérite ». En ce qui concerne les implications constitutionnelles, affirme l’éditorial, « Le principe de pouvoir civile est important, mais le général Mattis a la connaissance et l’expérience pour mériter la dispense ».

Le Washington Post, tout en exprimant des réserves quant à la mise en avant des officiers militaires à la retraite dans le nouveau gouvernement Trump, conclut néanmoins qu’une levée de l’interdiction d’un général retraité d’accéder à la tête du Pentagone est justifiée, prétendument pour agir comme un frein sur le nouveau président : « Les circonstances extrêmes de la présidence de Trump, à savoir un commandant en chef qui est à la fois ignorant des affaires militaires et internationales et sujet à l’impulsivité, renforcent l’argument en faveur d’une exception Mattis ».

Le New York Times fait l’éloge sans réserve de Mattis comme, « Un choix expérimenté pour le Pentagone », suggérant qu’il « pourrait apporter une voix de la raison à la Maison Blanche, qui sera dirigée par un président dangereusement ignorant qui a montré jusqu’à présent trop peu d’intérêt pour les opinions opposées ».

Faisant écho au Parti démocrate et aux sections de l’appareil de renseignement et militaire qui a soutenu la campagne de Clinton, le Times et le Post ont exprimé la crainte que le nouveau gouvernement Trump ne soit pas assez agressif contre la Russie. Le 12 novembre, le Times a publié un éditorial mettant en garde contre, « Le danger de prendre des gants avec la Russie », critiquant Trump pour avoir été « le défenseur de la Russie et le bénéficiaire des efforts de Moscou pour influencer les élections ».

Dans ces cercles, Mattis, qui a eu des différends avec Trump sur la Russie, est considéré comme un contrepoids à toute tendance du nouveau gouvernement à s’éloigner de la politique anti-Russe.

Le seul vrai souci exprimé par le Times est de savoir « si le général Mattis a l’intention de revenir sur les changements de politique du personnel militaire adoptées par le gouvernement Obama, dont l’ouverture de tous les rôles de combat aux femmes, du service militaire aux soldats ouvertement homosexuels, et l’acceptation de soldats transgenres ». Le journal libéral de référence est beaucoup plus préoccupé par le genre et l’identité sexuelle des troupes américaines que par l’identité des gens qu’elles vont être chargées d’incinérer.

The Times s’est distingué comme l’avocat le plus fervent de l’intervention militaire américaine dans la guerre civile syrienne, prétendument au motif que cela est nécessaire pour éviter une catastrophe humanitaire. Les croisés des « droits de l’Homme » ne sont pas dégoûtés par la désignation d’un général qui se vanta d’avoir trouvé “amusant” de tuer des Talibans.

Ce qui est particulièrement remarquable, c’est que ces trois éditoriaux discutent du principe du contrôle civil sur l’armée, qui sera effectivement effacé par le recrutement de Mattis, et concluent que ce n’est pas important.

Le choix de Mattis n’est pas un cas isolé. Le lieutenant-général à la retraite Michael Flynn, ancien chef de l’Agence de renseignement de la Défense, est le choix de Trump pour le poste de conseiller à la Sécurité nationale, le plus haut poste de la Maison Blanche coordonnant la politique militaire et étrangère. Le général à la retraite David Petraeus, ancien commandant américain en Irak et en Afghanistan et ancien directeur de la CIA, est l’un des principaux prétendants à être secrétaire d’État (ministre des affaires étrangères). Le général à la retraite John F. Kelly est en considération pour diriger le Département de la Sécurité intérieure. Et l’amiral Michael Rogers, le chef actuel de la NSA, est susceptible d’être nommé directeur du Renseignement national, coordonnant les 19 composantes de l’immense appareil de renseignement américain.

Il est donc tout à fait possible que des officiers militaires, d’active ou retraités, puissent finir par occuper toutes les positions importantes de sécurité nationale dans le nouveau gouvernement Trump. Ce n’est pas seulement une démonstration du caractère militariste de la perspective de Trump. Cela doit être compris, plus fondamentalement, comme une conséquence de la militarisation sur le long terme de la politique étrangère américaine et de la société américaine dans son ensemble.

L’impérialisme américain a été en guerre pendant la plupart des 25 dernières années, et continuellement depuis 2001. Barack Obama, quand il quittera ses fonctions le 20 janvier prochain, aura été le premier président dans l’histoire américaine à avoir été un commandant en chef en temps de guerre pendant les huit années entières de son mandat. Ce n’est pas un hasard si, dans de telles conditions, l’armée occupe un rôle décisif dans la politique de sécurité nationale.

(Article paru en anglais le 5 décembre 2016)

 

 

Loading