Perspective

Panique dans les centres commerciaux américains : les tensions de classe prêtes à exploser

Les scènes de chaos et de panique qui ont touché plus de 15 centres commerciaux aux États-Unis lundi révèlent le caractère tendu et explosif de la vie sociale en Amérique à la fin de 2016.

Ce qui devait être une grande journée de shopping a fini par des évacuations de masse, des dizaines d’arrestations, de nombreuses blessures, et le verouillage de centres commerciaux entiers.

Des policiers lourdement armés ont dispersé les jeunes dans de nombreux centres commerciaux, surtout ceux situés dans les quartiers populaires. Des vidéos montrent des consommateurs fuyant des policiers armés de fusils d'assaut qui s'interposent afin de réprimer de grands groupes de jeunes.

Rien n’indique que les rassemblements de jeunes aient été coordonnés, mais une similarité remarquable émerge de ce que l'on peut reconstituer de tous ces différents événements.

En soirée, alors que l'on atteignait le pic d’affluence dans les magasins, des centaines de jeunes ont commencé à converger pour des « combats » annoncés sur les réseaux sociaux. De petites bagarres éclatèrent entre jeunes, dont la plupart étaient des lycéens en vacances, et la foule s’agrandit.

Des rumeurs sont passées de bouche à l’oreille, et une panique s'est installée. Des passants nerveux interprétaient des bruits forts comme des coups de feu. Selon de nombreux rapports, des gens ont crié, « Fusil ! » Les blessures se sont produites quand des milliers de gens ont tenté fuir et de retrouver leurs voitures.

Dans un centre commercial d’Elizabeth, au New Jersey, un journal a rapporté « une panique chaotique, tout le monde courait à la fois » quand on a pris le bruit d'une chaise que l'on claquait contre le sol pour des tirs. Un enfant de huit ans et un jeune de 12 ans ont été blessés lors de l’évacuation, alors que la police quadrillait le centre commercial.

À Garden City, au New York, où il y a eu sept blessés, des témoins ont décrit une « ruée » quand des dizaines de personnes ont appelé la police, croyant à tort qu’un tir avait lieu. À Newport News, en Virginie, selon la presse locale, les gens « sortaient du centre commercial en hurlant ; certains craignaient la mort après avoir entendu des rumeurs que quelqu’un courait autour du centre commercial avec un pistolet ».

La police a évacué deux centres commerciaux à Memphis, au Tennessee, et a arrêté sept jeunes après de faux rapports de fusillades. À Chattanooga, dans le même état, des jets de pétards ont « lancé une vague de panique », selon CNN. À Brentwood, en Ohio, près de Cleveland, la police a verouillé un centre commercial et arrêté un jeune « pour avoir tenté de frapper un officier qui s’occupait d’un client désordonné ». La police a utilisé le gaz au poivre pour disperser la foule.

Des policiers ont arrêté cinq jeunes âgés de 14 à 16 ans dans la ville appauvrie de Hartford, dans le Connecticut, dans un centre commercial près de Manchester, en faisant appel aux services de police voisins pour les aider à disperser des centaines de jeunes. Des événements similaires ont eu lieu à Farmington, en Connecticut ; Aurora, Illinois ; Fort Worth, au Texas ; Syracuse, New York ; Monroeville, Pennsylvanie ; Tempe, Arizona ; Indianapolis, Indiana ; et Aurora, au Colorado, où selon la police, plus de 500 jeunes ont « entouré un officier en civil » qui tentait d'arrêter un jeune.

Entretemps, la ville de Chicago souffre de la vague la plus meurtrière de violence par balle en vingt ans : 53 blessés et 11 tués la veille de Noël et le jour de Noël. DNAInfo écrit que « derrière la vague de cette année est un mélange toxique de coupes aux services sociaux, de chômage, de désespoir... »

Quelques heures avant les troubles dans les centres commerciaux, après le week-end dévastateur à Chicago, Obama a accordé une entrevue sur CNN à David Axelrod, son ex-directeur de campagne. Avec force rires et flatteries mutuelles, Obama s'est vanté de son mandat et s’est fait passer pour un défenseur de la justice sociale. « Je dirais qu’au cours des huit années où j’ai été président, cet esprit de l’Amérique a toujours existé de toutes sortes de manières », a-t-il déclaré.

Dans sa conférence de presse de fin d’année, le 16 décembre, Obama a évoqué « le chemin que nous avons fait ensemble ces huit dernières années », avant d’ajouter que « de tellement de façons, notre pays est plus fort et plus prospère que quand nous avons commencé. C’est une situation que je suis fière de laisser à mon successeur ».

Les éruptions dans des centres commerciaux démasquent cette image à l'eau de rose peinte par la presse et par Obama lui-même, alors que son Administration tire à sa fin. Le fait que ces mini-émeutes se sont produites dans quinze endroits différents, situés à des centaines de kilomètres les uns des autres, montre que quelque chose va profondément mal en Amérique.

La mêlée à Aurora, au Colorado ce lundi s'est déroulée dans le même centre commercial où James Holmes a tué 12 personnes et en a blessé 70 autres en juillet 2012. Depuis qu'Obama a pris ses fonctions, 122 personnes ont été tuées lors de fusillades dans les écoles. Obama a réagi avec des banalités creuses et en militarisant la police.

Les inquiétudes pour leur sécurité immédiate ont provoqué la fuite des consommateurs ; toutefois, ces angoisses sont enracinées dans des relations sociales dominées par la vaste inégalité économique qui domine tous les aspects de la vie américaine.

Les explosions de violence et de peur se déroulent lors de vacances ritualisées par les médias pour cacher le fait brutal que les relations humaines s'expriment par l’achat et la vente de marchandises. Si ce processus atteint un point culminant à Noël — la période décisive pour des bénéfices sur la vente au détail — la marchandisation des relations humaines, avec la tension générale et la frustration qu’elle produit, soustend toutes les relations sociales sous le capitalisme.

Une oligarchie financière domine les États-Unis, tant sur le plan économique que politique. La grande majorité des gens n’ont pas de moyen d'exprimer leurs propres intérêts sociaux. Toutes les institutions officielles, y compris les médias contrôlés par l’entreprise, les deux grandes entreprises et les syndicats, s’efforcent d’étouffer l’opposition sociale et de générer des profits plus élevés.

La moitié des élèves du secondaire — ceux de quinze ans et moins — n’ont jamais vécu un jour où les États-Unis n’étaient pas en guerre. Abandonnés par la classe politique et hostiles aux guerres, à la pauvreté, à la surveillance et à la violence policières qui ont dominé toute leur vie consciente, ceux parmi ces jeunes qui étaient assez âgés pour voter dans les primaires démocratiques ont voté pour le prétendu « socialiste », Bernie Sanders, à neuf contre un, contre Hillary Clinton.

Dans son entretien avec Axelrod, Obama n’a même pas abordé le caractère de l’Administration Trump, qui promet d’être le plus réactionnaire de l’histoire des États-Unis. D'ici trois semaines, Trump et sa cabale de milliardaires, d’évangéliques, de généraux, de fascistes et de parents proches contrôleront le pouvoir exécutif. L’Administration entrante a promis une course aux armements nucléaires, des attaques contre la Sécurité sociale, l’assurance-maladie et l’éducation publique, et la déportation de millions de travailleurs immigrés et de leurs familles.

Pendant les fêtes, la grande majorité des travailleurs ne partagent ni l’optimisme complaisant et cynique d’Obama, ni la confiance aveugle de la bourse. Ce qui s'est produit lundi dans les centres commerciaux américains donne une idée des chocs sociaux en perspective pour 2017.

L’humeur qui prédomine en Amérique est de nervosité et de frustration, liées à une combativité émergente qui n’a pas encore trouvé d’expression politique progressive. Il faut un mouvement de la classe ouvrière pour diriger la prochaine explosion sociale dans une direction révolutionnaire et socialiste.

(Article paru d’abord en anglais le 28 décembre 2016)

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