Les États-Unis et la Corée du Sud discutent du déploiement « d'armes stratégiques »

Suite à un quatrième essai nucléaire de la Corée du Nord mercredi, les Etats-Unis et la Corée du Sud discuteraient au plus haut niveau du déploiement de « moyens stratégiques» dans la péninsule coréenne. Le stationnement d'armes nucléaires et de systèmes de livraison serait une escalade majeure de l'augmentation de la capacité militaire américaine en Asie, dirigée principalement contre la Chine, non pas la Corée du Nord.

Il n'y a rien de progressiste dans le développement d'armes nucléaires par la Corée du Nord. C'est une tentative désespérée et irresponsable d'un régime d'Etat policier embourbé dans le nationalisme et la xénophobie afin de détourner les tensions économiques et sociales aiguës de l'intérieur vers l'extérieur. Loin de défendre la Corée du Nord contre l'impérialisme, le petit arsenal nucléaire rudimentaire de Pyongyang et son accompagnement de rodomontades ne sert qu'à diviser la classe ouvrière en Asie et à fournir aux alliés américains un prétexte pour accélérer plans de guerre et provocations. 

Washington a réagi rapidement à l'essai de Pyongyang. Mercredi, un responsable du ministère de la Défense sud-coréen a été cité par l'agence de presse Yonhap disant que «Le chef d'état-major, le général Lee Sun-jin et le commandant général des forces américaines en Corée, le général Curtis Scaparrotti, ont tenu une réunion dans l'après-midi [mercredi] et ont discuté du déploiement de moyens stratégiques américains sur la péninsule coréenne ». 

Selon l'agence, ceci pourrait inclure des sous-marins nucléaires, des bombardiers B-2 et B-52 à capacité nucléaire ainsi que des chasseurs furtifs F-22, conçus pour le combat air-air. « Certains détails, y compris lorsque les moyens stratégiques viendront ici, ne sont pas encore décidés » a ajouté le responsable, tout en disant que «diverses idées sont à l'étude ». 

En plus de la réunion militaire de haut niveau, le président américain Barack Obama aurait parlé au président de la Corée du Sud Park Geun-hye pour discuter des options et une réunion s'est tenue mercredi entre le secrétaire américain à la Défense Ashton Carter et le ministre de la Défense sud-coréen Han Min-koo . 

Selon La Voix de l'Amérique, Carter et Han « ont discuté des mesures réactives que l'alliance militaire de la Corée du Sud et des États-Unis envisage, en plus de la poursuite d'exercices conjoints ». Han a dit que Carter « a réaffirmé l'engagement de défense à toute épreuve des Etats-Unis vis-à-vis de Corée du Sud, et cela inclut tous les types de moyens de dissuasion élargis ». 

Tout en refusant de donner des détails, le porte-parole du Pentagone Peter Cook a déclaré hier à une conférence de presse: « Nous sommes confiants que, travaillant main dans la main avec les Sud-Coréens, nous pouvons répondre de manière appropriée à cette action et continuer d'examiner toutes les options qui doivent être prises en considération à ce point ». 

La Voix de l'Amérique a aussi rapporté que les États-Unis et la Corée du Sud avaient ordonné à leurs forces militaires dans la péninsule coréenne de se mettre sur « un pied d'alerte maximale ». Près de 25.000 soldats américains sont en Corée du Sud selon le ministère de la Défense, plus environ 3.200 employés civils du Département de la Défense. 

Si elles sont ostensiblement dirigées contre la Corée du Nord, ces mesures ne peuvent s'expliquer par une réaction aux efforts primitifs de ce régime d'obtenir des armes nucléaires, dont toute utilisation serait suicidaire étant donné l'immense arsenal nucléaire de Washington.

Plutôt que le prétendu «Etat voyou» de Pyongyang, le véritable agresseur mondial sont les États-Unis, engagés depuis des décennies dans des interventions militaires prédatrices et la cible principale des mesures actuelles est la Chine, de plus en plus encerclée militairement et stratégiquement par le «pivot » américain « vers l'Asie ». 

Le secrétaire d'Etat américain John Kerry a immédiatement intensifié la pression sur la Chine mercredi suite à un appel téléphonique au ministre chinois des Affaires étrangères Wang Yi. Kerry a fait une rare apparition dans la salle de presse du Département d'Etat après cet appel, exigeant que la Chine prenne des mesures pour influencer la Corée du Nord, son allié officiel.

Ignorant la condamnation de l'essai nucléaire par la Chine et ses tentatives précédentes d'obtenir un accord avec Pyongyang pour mettre fin à de tels tests, Kerry a déclaré: « La Chine avait une approche particulière qu'elle voulait suivre, que nous avons acceptée, et respectée pour leur permettre de la mettre en œuvre. Aujourd'hui, dans ma conversation avec les chinois j’ai fait comprendre que cela n'a pas fonctionné et que nous ne pouvons pas continuer comme si de rien n’était ».

Washington a pris des mesures provocatrices suite au troisième essai nucléaire de Pyongyang en février 2013 en envoyant des bombardiers stratégiques B-2 et B-52 à capacité nucléaire dans la péninsule dans une démonstration de force dirigée contre la Chine. Les États-Unis ont aussi utilisé ce test pour annoncer une extension de 50 pour cent de leurs intercepteurs de missiles sol-air anti-balistiques en Asie pacifique avant 2017, une démarche préparée avant le dernier test de la Corée du Nord.

Les États-Unis continueront probablement à étendre leur système de missiles anti-balistiques, non pour la défense mais pour s’assurer qu’ils peuvent bloquer toute contre-attaque chinoise ou russe dans l’éventualité d’une attaque nucléaire par Washington contre l’une d'entre elles. Cela inclut de mettre la pression sur Séoul pour accepter l’installation d'une batterie de Défense à haute altitude (THAAD) sur son territoire, une mesure fortement opposée par la Chine.

Pendant des décennies, les Etats-Unis ont stationné des armes nucléaires tactiques en Corée du Sud, les retirant officiellement en 1991. L'introduction d'armes stratégiques conçues pour frapper à longue portée intensifierait fortement la politique du « pivot vers l’Asie » la portant à un nouveau niveau dangereux ayant le potentiel de déclencher une course aux armements nucléaires en Asie du Nord-Est.

Le dirigeant parlementaire du parti Saenuri au gouvernement, Won Yu-cheol, a déclaré jeudi: « Il est temps pour nous de nous armer pacifiquement avec des armes nucléaires dans une perspective d'auto-défense pour combattre la terreur et la destruction de la Corée du Nord ». Par le passé, d'autres législateurs sud-coréens avaient demandé le retour des armes nucléaires tactiques américaines ainsi que la construction de bombes nucléaires propres.

La Fédération des scientifiques américains a dit dans un rapport en avril dernier que Séoul pouvait produire des dizaines de bombes dans un court laps de temps. Le réacteur de Wolsong en Corée du Sud, dans la province de Gyeongsang Nord, peut produire assez de plutonium pour fabriquer 416 bombes par an. La Corée du Sud travaillait à la construction de ses propres armes nucléaires dans les années 1970, mais a arrêté son programme sous pression américaine, et a accepté un traité empêchant Séoul de retraiter ou d’enrichir de l'uranium.

De même, le Japon pourrait obtenir ses propres armes nucléaires en six mois dû à sa possession de matière nucléaire et des moyens de le faire. Tokyo a d'importants stocks de plutonium et d'uranium. Son usine de retraitement de Rokkasho pourrait produire suffisamment de plutonium de qualité militaire pour 2.000 bombes par an.

Le Premier ministre Shinzo Abe a qualifié le test de la Corée du Nord de « grave menace pour la sécurité de notre pays ». Cette déclaration est importante au vu du passage l'été dernier d'une législation militaire levant les d’importantes restrictions imposées à l'armée japonaise. Armes nucléaires ou non, le Japon est aussi susceptible d'utiliser le test de Pyongyang pour justifier sa propre remilitarisation continue.

Le Japon et la Corée du Sud ont aussi rapidement convenu de travailler ensemble pour adopter une résolution des Nations Unies qui intensifiera les sanctions paralysantes imposées à la Corée du Nord. Malgré des différends continuels sur l'occupation japonaise de la Corée de 1910 à la fin de la Seconde Guerre mondiale, la coopération étroite entre Séoul et Tokyo sera probablement intensifiée à l'instigation de Washington.

L'essai nucléaire nord-coréen et la réponse militariste de Washington sont un autre avertissement sérieux de la situation hautement inflammable en Asie et dans le monde engendrée par l'aggravation de la crise du capitalisme mondial et ses antagonismes géopolitiques croissants. Un accident ou une erreur de calcul sur la péninsule coréenne, ou dans n’importe laquelle des poudrières du monde, a le potentiel de déclencher une conflagration dévastatrice.

 

(Article paru en anglais le 8 janvier 2016)

 

 

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