Un an après l'attentat de Charlie Hebdo

La police abat un jeune SDF dans un quartier populaire de Paris

Le 7 janvier, le jour du premier anniversaire de l’attaque terroriste contre Charlie Hebdo, la police a abattu un jeune homme devant un commissariat du nord de Paris. Si les responsables du gouvernement diffèrent dans leur présentation des motivations de la victime et de comment la police l’a tué, les témoins eux ont carrément contredit la description de la fusillade par la police et ont déclaré que celle-ci avait tiré sans sommation sur un homme désarmé.

Le jeune homme a été abatu à midi devant le commissariat de police d’un quartier pauvre avec une large population immigrée, la « Goutte d’Or » dans le 18e arrondissement de Paris.

La victime fut identifiée au départ comme un jeune Marocain de 20 ans s'appelant Sallah Ali, né à Casablanca et vivant en France en tant que SDF. Il avait eu un seul démêlé avec la police en 2013 où il fut arrêté pour vol à Sainte-Maxime dans le Var. Il a été identifié par ses empreintes digitales, prises à l’époque, car il ne portait pas de papiers d’identité. Selon de nouvelles informations cependant, des membres de sa famille l'aurait reconnu sur une photo et il s'agirait d'un jeune Tunisien, Tarek Belgacem.

Le ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve et le préfet de police de Paris étaient sur les lieux une demi-heure après, montrant par là que le gouvernement PS de François Hollande et Manuel Valls intervenait au plus haut niveau.

Le métro parisien dans les environs fut arrêté et on ordonna un déploiement massif des forces de sécurité; l’ensemble du quartier de la Goutte d’Or fut verrouillé. Des tirailleurs, déployés dans tout Paris dans le cadre de l’état d’urgence du gouvernement PS, furent placés en état d’alerte.

Quarante-cinq minutes seulement après la fusillade, le porte-parole du ministère de l’Intérieur, Pierre-Henry Brandet, annonçait sur BFMTV que le jeune homme « était armé d’un couteau et d'un dispositif pouvant être un gilet explosif » et qu'il « aurait crié 'Allah Akbar' ['Dieu est grand ' en arabe] en tentant d’agresser un policier » à l’entrée du commissariat.

Vingt-cinq minutes plus tard, ce récit de la fusillade commençait à se déliter. Une unité de démineurs était arrivée sur les lieux et avait analysé la ceinture portée par l'homme. Elle a dit qu’elle ne contenait aucun explosif. Il n’y avait aucune trace de couteau, mais on a trouvé près de lhomme un hachoir.

Les témoins de la fusillade contredisent la description de Brandet. BFMTV les a interrogés et a rapporté que « Plusieurs témoins ont assuré à BFMTV que l'assaillant du commissariat du 18e n'avait pas crié 'Allah Akbar'. Plusieurs témoins ont assuré à BFMTV que l'assaillant du commissariat du 18e n'avait même pas prononcé ces mots. 'Quand il est arrivé, il était très normal' disait l’un d’entre eux. »

BFMTV poursuit ainsi, « des témoins affirment que l'homme n'a pas été armé. 'Il n'a pas été armé du tout,' a déclaré une femme qui avait vu l'agresseur. Les policiers lui ont dit 'recule, recule, recule' puis 'il a reculé en levant les mains', raconte-t-elle. Mais l'homme est revenu vers les policiers qui lui ont tiré trois fois dessus. ».

Vers 15 heures, le parquet de Paris avait ouvert une enquête pour 'tentative d'assassinat sur personne dépositaire de l'autorité publique' et a chargé la brigade criminelle de la police judiciaire parisienne de l'enquête. Puis, à 15 h 45, le parquet de Paris a donné de nouvelles informations. « Un téléphone portable et un papier sur lequel figurent le drapeau de Daesh [État islamique en Irak et la Syrie] et une revendication manuscrite non équivoque en langue arabe » avait été découverts sur le corps de l'homme.

Le parquet de Paris avait répété l'affirmation selon laquelle Ali/Belgacem a crié «Allah Akbar» en se dirigeant vers les policiers. BFMTV ajoute pour finir que de source judiciaire « L’enquête en flagrance se poursuit désormais pour tentative d’assassinat sur personnes dépositaires de l’autorité publique en relation avec une entreprise terroriste ».

Il avait été confirmé plus tard que le drapeau de l'EI sur le papier avait été dessiné en amateur avec un feutre. Quant à la demande manuscrite, les autorités avaient dit que c'était un serment d'allégeance à Abou Bakr al-Baghdadi, le chef auto-proclamé de l'Etat Islamique et se réfère à « des actes pour venger les morts en Syrie. »

Les tentatives du ministère de l’Intérieur pour présenter Ali/Belgacem comme un terroriste ne sont tout simplement pas crédibles. Un policier parlant au quotidien de droite Le Figaro a exprimé de l’incrédulité face aux allégations du PS que l'homme était en train de réaliser une attaque terroriste. Il a dit, « foncer à pied sur des policiers en armes, portant des gilets pare-balles, avec une fausse ceinture d’explosifs, paraît complètement farfelu. C’est même suicidaire. »

Le compte-rendu du Parquet a également été contredit par la ministre de la Justice Christiane Taubira, qui a dit, « Ce qui apparaît très clairement de ce qui est connu de cette personne, [c'est qu'elle] n'a aucun lien avec la radicalisation violente, aucun. ».

« Une ceinture d'explosif factice, ces cris, cette allégeance dans la poche, ce sont des signes qui peuvent le raccorder à un réseau, mais en même temps cela peut être des signes de déséquilibre. L'enquête fera la clarté de tout cela », a-t-elle ajouté.

La mort d'Ali/Belgacem aux mains de la police souligne l'immense décalage vers la droite de l'establishment politique français durant l'année écoulée depuis que les frères Kouachi ont mené l' attaque terroriste qui tua douze personnes à Charlie Hebdo. Après l'attaque, le PS a organisé une manifestation nationale de masse, proclamant une période d'unité nationale sur la base d'un renforcement policier soi-disant pour protéger la liberté d'expression et la liberté de la presse.

Ce qui s’est déroulé l’an dernier n’était pas un épanouissement de la démocratie en France, mais, au contraire, un mouvement d’accélération vers un régime d’État-policier dirigé par le PS. Un climat de « loi et d’ordre » et des sentiments anti-musulmans ont aidé le Front national néo-fasciste (FN) à consolider sa place dans l’establishment politique, et depuis les attaques terroristes du 13 novembre, le PS a placé la France en état d’urgence. Cela donne aux PS de larges pouvoirs de police, y compris de censure de la presse.

Le PS propose une mesure visant à priver les citoyens français de leur nationalité s'ils commettent des délits liés au terrorisme. Cette mesure a été longtemps associée au FN et avant cela à la privation de la citoyenneté des Juifs durant l'Holocauste dans la Seconde Guerre mondiale.

La division au sein du PS à propos des actes de la police et de la mort d'Ali/Belgacem reflète le débat qui a troublé le gouvernement depuis, Taubira critiquant le soutien du PS à la privation de nationalité tandis que le gros du gouvernement l’appuyait.

La mort du jeune SDF résulte directement de ce climat politique toxique et réactionnaire. En même temps que le PS fait la promotion de l’hystérie de loi et d’ordre pour aider à forcer le passage d’un amendement constitutionnel pour inscrire l'état d’urgence permanent dans la constitution française, 100 000 soldats et policiers patrouillent les rues en alerte maximum. Avec des hommes nerveux et lourdement armés déployés dans tous le pays, il est probable que ce n’est qu’une question de temps avant que quelqu'un ne soit abattu par les forces de sécurité dans les rues de France.

(Article paru d’abord en anglais le 8 janvier 2016)

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