Perspectives

Les médias allemands incitent à l’hystérie raciste

Se servant du prétexte de prétendus incidents de harcèlement sexuel à Cologne, les médias allemands ont déclenché une campagne hystérique et raciste contre des millions d’immigrants et de musulmans.

Le soir de la Saint-Sylvestre, des milliers de personnes s’étaient rassemblées à Cologne et dans d’autres grandes villes d’Allemagne pour fêter la nouvelle année. Le lendemain, la police publiait un communiqué disant qu’il avait régné une « atmosphère de bonne humeur » pendant la fête et que l’ambiance ce soir-là était « généralement détendue. »

Un jour plus tard, cependant, un deuxième communiqué était publié évoquant pour la première fois de prétendues attaques contre des femmes. Le 5 janvier, la maire de Cologne, Henriette Reker, (Union chrétienne-démocrate, CDU), disait lors d’une conférence de presse que « rien ne prouvait que des gens vivant comme réfugiés à Cologne comptaient parmi les auteurs des agressions. »

Puis les médias furent soudain remplis d’allégations d’agressions sexuelles de masse, déclenchant une campagne hystérique contre la population immigrée. Le 7 janvier, des policiers ont dit à la presse sous couvert d’anonymat que la « plupart » des personnes suspectées étaient des migrants. Un rapport du ministère fédéral de l’Intérieur a annoncé le 8 janvier que sur 31 suspects, 18 étaient des réfugiés. Parmi les suspects il y avait deux Allemands et un Américain.

Ce ne fut qu’entre le 8 et le 10 janvier que le nombre de ceux suspectés de harcèlement sexuel passa de 170 à plus de 400. Jusqu’ici, seules deux personnes ont été interpelées puis relâchées.

Ce qui s’est réellement passé à Cologne n’est toujours pas connu. Certains articles parlent d’une provocation. Divers organes de presse internationaux, dont CNN, ont rapporté qu’au moins une policière avait infiltré la foule et avait signalé avoir été agressée.

Il est bien sûr possible qu’il y ait eu des actes de hooliganisme où des femmes ont été harcelées. Presque partout dans le monde, cela n’est malheureusement pas chose rare dans les grandes foules où l’alcool abonde comme dans cette nuit de la Saint-Sylvestre. Lors du Mardi gras de la Nouvelle-Orléans l’an dernier, par exemple, plus de 140 personnes furent arrêtées dont 50 pour infraction grave. A l’Oktoberfest, la fête de la bière à Munich, l’an dernier, il y eut jusqu’à 20 allégations d’agression sexuelle.

De toute façon, en l’absence de faits prouvés, il ne reste jusqu’ici que de simples allégations et la réaction virulente de la presse ne peut donc s’expliquer qu’en termes politiques. Les partis politiques et les médias ont démarré un type de campagne qu’on a pendant des décennies considéré comme impossible en Allemagne.

70 ans après l’effondrement du Troisième Reich, les médias se servent du même genre de stéréotype raciste répugnant et en appellent ouvertement aux obsessions sexuelles paranoïaques, ce qui était la spécialité des nazis. Une fois de plus, les médias allemands évoquent sans vergogne des images de femmes pures de type nordique qui sont la proie de untermenschen (sous-hommes) à la peau foncée.

Le 9 janvier, le magazine Focus publiait en couverture une femme nue couverte d’empreintes de mains noires. L’édition du week-end de la Süddeutsche Zeitung avait publié l’image du corps d’une femme blanche montrant une main empoignant ses parties génitales. Le journal a également diffusé l’image sur Facebook.

Lorsqu’une vague de protestation s’éleva, la Süddeutsche s’excusa. Le rédacteur en chef de Focus, Ulrich Reitz lui, refusa de s’excuser au motif qu’« [il montrait] ce qui était malheureusement en train de se passer. » Quiconque dit que la couverture est raciste, affirma-t-il, a « peur de la vérité. »

Ce ne sont pas que des journalistes dégénérés qui répandent cette saleté raciste. D’éminents universitaires sont également de la partie. Le professeur Jörg Baberowski de l’université Humboldt de Berlin a rédigé une chronique pour le quotidien droitier suisse Basler Zeitung où il reproche aux « grands médias allemands » de rester silencieux lorsque « la veille du Nouvel An des centaines d’hommes arabes ont sexuellement harcelé, humilié et dévalisé des femmes qui se trouvaient sur la place de la cathédrale à Cologne. »

Il n’existe pas de base populaire pour cette campagne raciste. Elle est orchestrée et dirigée par les élites politiques.

La nouvelle édition de Der Spiegel déclare qu’« il y a un an, la veille du Nouvel an 2014, des agressions identiques n’auraient peut-être (malheureusement) intéressé que la presse locale. » Der Spiegel ajoute, « Un attentat aurait tout aussi bien pu fournir le matériel pour une excitation nationale – comme le meurtre d’un enfant dans le parc d’une ville ou tout autre crime qui aurait concentré les craintes primales, réuni les stéréotypes et où des étrangers auraient été impliqués d’une manière ou d’une autre. »

Ceci n’a cependant pas empêché Der Spiegel de légitimer la campagne médiatique. Il a déclaré que les événements survenus à Cologne montraient le besoin d’un renforcement de la police en vue de défendre « notre système de valeurs. »

Les coordonnées politiques sont tellement allées à droite que même le parti La gauche (Die Linke) – monument de veulerie politique – approuve les appels lancés en faveur d’un Etat autoritaire. Ce virage universel vers la droite et opéré par toutes les sections de l’establishment politique n’a en fait rien à voir avec les événements de Cologne. Mais il est entièrement lié à la résurrection du militarisme allemand.

Cela fait maintenant deux ans que le président allemand Gauck et des responsables du gouvernement fédéral ont annoncé la fin de la retenue dans la politique étrangère, déclarant que l’Allemagne était, dans les mots du ministre social-démocrate des Affaires étrangères, Frank-Walter Steinmeier, « trop grande et trop importante pour commenter la politique mondiale en simple spectatrice. » Depuis, le gouvernement a appuyé le coup d’Etat droitier de Kiev, participé au déploiement de l’OTAN contre la Russie, envoyé des troupes au Mali et renforcé l’intervention militaire en Afghanistan. Dernièrement, des avions de chasse allemands Tornado ont rejoint la campagne de bombardement en Syrie.

Mais malgré l’intensité des efforts déployés, les élites dirigeantes n’ont pas réussi jusque-là à briser une opposition au militarisme, profondément enracinée dans de vastes couches de la société. La grande majorité des Allemands continue de rejeter les missions à l’étranger et les opérations militaires de la Bundeswehr. La question des violences sexuelles envers les femmes est utilisée pour surmonter cette résistance. Les événements de Cologne sont exagérés et exploités à cette fin. La campagne de dénigrement contre les réfugiés et les migrants est un moyen de préparer une extension de l’intervention militaire allemande au Moyen-Orient.

Toute l’expérience tragique et catastrophique du 20ème siècle montre que la classe dirigeante allemande est incapable de mener une guerre sans recourir au racisme et à l’installation d’un régime autoritaire.

Le film le plus populaire ces derniers mois en Allemagne a été « Er ist wieder da » (« Il est de retour »), une satire politique qui montre un Hitler ressuscité émergeant de son abri de la Seconde Guerre mondiale et qui referait carrière à l’aide des médias modernes. Durant la dernière semaine, cette satire a acquis une réalité qui n’est que trop troublante.

(Article original paru le 12 janvier 2016)

 

 

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