Perspectives

Le massacre d'Orlando et l'élection présidentielle aux États-Unis

Alors que l'on continue de réaliser l'ampleur stupéfiante du massacre perpétré dimanche à la discothèque Pulse d'Orlando en Floride, il est impossible d'ignorer le fait que les deux principaux partis capitalistes n'ont pas perdu de temps pour tenter d'exploiter cette tragédie aux fins les plus réactionnaires.

Le sang des victimes a à peine séché et de nombreuses questions subsistent quant à la confluence précise des motifs religieux, droitistes, homophobes et autres qui ont poussé le tireur Omar Mateen, mort dans une pluie de balles tirées par la police, à passer aux actes. Mais cela n'a pas empêché les candidats présidentiels les plus probants de leur course respective, tant démocrate que républicain, de se précipiter pour livrer un discours lundi l'un après l'autre en faveur d'une escalade guerrière à l'étranger et de la répression au pays.

La démocrate Hillary Clinton a déclaré que le massacre de 49 personnes innocentes à la discothèque gaie d'Orlando était un exemple de «la barbarie des djihadistes radicaux à laquelle nous sommes confrontés». Le républicain Donald Trump a pour sa part déclaré à ses partisans que le massacre était le produit de «l'importation du terrorisme islamique radical en Occident à cause d'un système d'immigration qui a échoué».

Or les informations révélées à propos de l'homme qui a perpétré le massacre ont peu en commun avec la rhétorique et les conclusions proposées par les deux candidats.

Tout d'abord, il s'agit d'un citoyen américain, né à New York, et non pas d'un immigrant. Ses collègues, les membres de sa famille comme d'autres personnes, l'ont décrit comme nourrissant une haine pathologique, non seulement à l'endroit des homosexuels, mais aussi des Afro-Américains, qu'il qualifiait régulièrement de «nègres» qui devraient tous être tués. Ce genre de racisme est la marque de commerce non pas de l'État islamique ou d'Al-Qaïda, mais plutôt des suprématistes blancs aux États-Unis mêmes, ces mêmes éléments qui sont responsables de nombreuses autres attaques homophobes.

Les collègues de Mateen ont également décrit qu'il présentait des comportements caractéristiques des personnes atteintes de maladies mentales ou émotionnellement instables, un fait qui s'applique également à pratiquement tous ceux qui ont été impliqués dans de telles atrocités. Comment pourrait-il en être autrement d'ailleurs compte tenu du caractère profondément anormal, antisocial et aléatoire de ses actes?

Même le FBI et la police ne prennent pas au sérieux comme une indication de contact réel avec la milice islamiste le fait qu'en plein chaos Mateen ait composé la ligne d'urgence 911 pour déclarer son allégeance à l'État islamique. En outre, selon les rapports qui ont fait surface lundi en fin de journée, Mateen avait lui-même visité régulièrement la boîte de nuit Pulse, y ayant été vu en train de consommer beaucoup d'alcool, et il était actif sur le site de rencontres gai Jack'd.

Ce qui est encore plus tragique est que ce type d'atrocité survient aux États-Unis avec une terrible fréquence. Le pays subit en effet littéralement plus d'une tuerie collective par jour.

Compte tenu de cette réalité, il est impossible de comprendre une tragédie comme le massacre d'Orlando simplement en examinant les motivations de la personne responsable. Quand une société produit un nombre important de personnes souffrant de problèmes mentaux traumatiques les motivant à commettre un assassinat de masse, cela ne peut être que l'expression de quelque chose de profondément malade au sein de la société même.

La fréquence de ces tragédies a augmenté en tandem avec les guerres sans fin que les États-Unis ont menées à l'étranger depuis la première guerre du Golfe en 1991, ainsi qu'avec la croissance sans précédent des inégalités sociales.

Le plus sanglant de ces événements a été l'attentat à la bombe perpétré avec un camion rempli d'explosifs contre l'édifice fédéral d'Oklahoma City par Timothy McVeigh, un ancien combattant de la guerre du Golfe, profondément aliéné, qui était impliqué dans le milieu des milices d'extrême droite en avril 1995. Cette attaque a tué 168 personnes et en a blessé des centaines d'autres.

De nombreux autres massacres perpétrés dans les années qui ont suivi se démarquent en termes de nombre de décès, notamment :

• Le massacre de l'école secondaire Columbine au Colorado en 1999, où deux étudiants ont tué 13 personnes et en ont blessé 24 autres.

• La tuerie de Virginia Tech en 2007, où un étudiant a tué 32 personnes et en a blessé 17 autres avant de s'enlever la vie.

• La fusillade de l'American Civic Association à Binghamton, dans l'État de New York où, en 2009, un immigrant vietnamien âgé de 42 ans a tué 13 personnes et en a blessé quatre autres avant de se suicider.

• La fusillade de Fort Hood, au Texas, également survenue en 2009, au cours de laquelle le major Nidal Malik Hasan, un psychiatre de l'armée, a tué 13 personnes et en a blessé 30 autres.

• Le massacre de l'école élémentaire Sandy Hook à Newtown, dans le Connecticut, où en 2012 Adam Lanza a tué 26 personnes – la plupart des jeunes enfants – avant de se suicider.

• La tuerie dans le quartier de Navy Yard à Washington en 2013, où un ancien réserviste de la Marine a tué 12 personnes avant que la police ne l'abatte.

• Le massacre perpétré dans une église de Charleston, en Caroline du Sud où en juin 2015, un tireur blanc âgé de 21 ans a tué neuf Afro-Américains lors d'une séance de prière, dans l'espoir de déclencher une guerre raciale, comme il l'a déclaré par la suite.

• La tuerie du Centre régional Inland de San Bernardino, en Californie, où, en décembre 2015, Syed Farook, 28 ans, accompagné de Tashfeen Malik, 27 ans, ont tué 14 personnes avant de perdre la vie dans une fusillade avec la police.

 

Les tueries moins sanglantes où trois, quatre ou cinq personnes sont tuées passent maintenant largement inaperçues.

Pas plus les politiciens que les médias ne prennent le soin d'examiner les racines sociales de ce cycle sans fin de massacres en série.

Les discours cyniques et malhonnêtes de Clinton et Trump lundi ne cherchaient pas à éclairer le public sur la nature réelle de ce problème, mais plutôt à polluer l'environnement politique et à abaisser la conscience de la population américaine. Essentiellement, en dépit de leurs dénonciations réciproques de l'un l'autre, il y a peu de différences entre eux.

Les deux discours avaient pour objectif d'exploiter la tragédie vécue par des personnes innocentes qui ont perdu la vie, ainsi que leurs familles et amis, afin de légitimer un programme réactionnaire déjà en place. Les deux candidats ont appelé en effet à «accentuer» les interventions militaires et les bombardements des États-Unis au Moyen-Orient, comme si les gens de cette région du monde ravagée par la guerre étaient responsables de l'attaque contre une boîte de nuit à Orlando! L'objectif évident ici est d'exploiter la tragédie d'Orlando pour tenter de saper les sentiments antiguerre du peuple américain, de façon à favoriser non seulement l'escalade guerrière contre des pays comme l'Afghanistan, l'Irak et la Syrie, mais aussi les menaces de guerre contre la Russie et la Chine.

Clinton a parlé d'agir pour «renforcer nos défenses» aux États-Unis mêmes, entendant par là une intensification des attaques contre les droits démocratiques et l'utilisation des méthodes des États policiers.

Pour sa part, Trump s'est livré à une diatribe fasciste dans laquelle il a réitéré sa proposition d'interdire aux musulmans d'entrer aux États-Unis, et a exposé une fois de plus son chauvinisme anti-immigrant enragé, faisant un rapprochement démagogique entre les immigrés et le terrorisme, mais aussi avec la baisse des salaires et la dégradation des infrastructures américaines. Il a également accusé les musulmans vivant aux États-Unis de «savoir ce qui se passe» dans l'ensemble par rapport aux attaques planifiées et a dit qu'ils devraient soit «coopérer» ou faire face à «de graves conséquences».

Les deux candidats se sont cyniquement présentés comme le meilleur ami de la communauté gaie dans une tentative évidente de rallier une nouvelle cohorte derrière leurs propos réactionnaires.

C'est Clinton cependant qui a prononcé la ligne la plus révélatrice – et du coup la plus effrayante – en invoquant les attaques terroristes du 11 septembre 2001 et en déclarant en conclusion qu'«il est temps de revenir à l'esprit de ces jours-là, l'esprit du 12 septembre».

Or c'est justement dans cet «esprit du 12 septembre» que Washington a lancé, sur la base de mensonges, la guerre d'agression illégale contre l'Irak. C'est également dans ce même «esprit» qu'a été adopté le Patriot Act, qu'a été ouvert le camp de prisonniers de Guantanamo, qu'a été mis en place le réseau des centres de torture des «sites noirs» à travers le monde et que le Président s'est arrogé le droit de détenir indéfiniment toute personne sans accusation ou procès, y compris des citoyens américains.

Clinton a soutenu à l'époque toutes ces mesures et veut maintenant récupérer les 49 morts d'Orlando pour justifier rétroactivement ses propres crimes politiques qui ont entrainé des millions de morts, de blessés et de réfugiés.

Dans la mesure où Clinton affirme qu'il y a un lien direct entre le tireur d'Orlando et le «génocide» perpétré par l'État islamique au Moyen-Orient – une affirmation qui est très discutable – il est nécessaire de souligner son rôle dans l'émergence de l'État islamique suite à la dévastation sociale et aux conflits sectaires fomentés par l'impérialisme américain, de même qu'à son soutien actif et enthousiaste pour les interventions militaires en Afghanistan, en Irak, en Libye et en Syrie.

Les travailleurs et la jeunesse aux États-Unis doivent prendre la réaction bipartisane face aux terribles événements d'Orlando comme un sérieux avertissement de ce qui est en cours de préparation, peu importe le parti qui remportera l'élection en novembre.

(Article paru en anglais le 14 juin 2016)

 

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