Le "Brexit" et le retour du militarisme européen

L’Union européenne a réagi au vote en faveur d'une sortie de l’UE en Grande-Bretagne et à l’intensification de la crise politique et économique en Europe qui l’a suivi en appelant à la militarisation du continent et au renforcement de ses forces de sécurité. Depuis l’annonce des résultats il y a dix jours, un certain nombre de documents de principe ont été publiés qui prônent la transformation de l’UE en une alliance militaire dotée de pouvoirs accrus de répression interne.

Au premier sommet de l’UE sans participation britannique tenu mercredi dernier à Bruxelles, les 27 chefs de gouvernement restants ont adopté un texte rédigé par la chef de la politique étrangère de l'UE, Federica Mogherini, intitulé « Stratégie globale pour la politique étrangère et de sécurité de l'UE ». L’argument central du document est que l’UE doit devenir une puissance mondiale agressive capable d’intervenir militairement et si nécessaire de mener des guerres indépendamment de l’OTAN et des Etats-Unis.

Le document sur la nouvelle stratégie globale reconnaît le rôle joué par l’OTAN pour protéger les Etats-Unis des attaques ennemies. Il déclare néanmoins que l’Europe « doit être mieux équipée, mieux entraînée et mieux organisée afin de contribuer de manière décisive à de tels efforts collectifs et d’agir en toute autonomie le cas échéant. »

Il donne un aperçu des mesures préparées dans le dos de la population européenne. Les capacités militaires doivent être améliorées dans « un effort concerté et coopératif ». On signale le fait que cela exigera une nouvelle allocation de ressources dans la phrase « Le développement et le maintien des capacités de défense requièrent à la fois des investissement et l’optimisation de l’utilisation de ressources grâce à une plus grande coopération. »

Le texte montre clairement qu’il n’y a aucune limite géographique au rayon d’action potentiel d’une force militaire de l’UE. Celle-ci se réserve le droit d’intervenir non seulement dans les régions avoisinantes comme l’Afrique du Nord, le Moyen-Orient et l’Europe de l’Est, mais sur toute la planète.

Les intérêts déclarés de l’UE comprennent « la garantie et la sécurisation des mers et des routes maritimes indispensables au commerce et à l’accès des ressources naturelles. » A cette fin, « l’UE contribuera à la sécurité maritime mondiale, s'appuyant sur sa propre expérience dans l’Océan indien et en Méditerranée et explorant les possibilités dans le Golfe de Guinée, la Mer de Chine du Sud et le Détroit de Malacca. »

Le développement du militarisme européen est avant tout le fait de Berlin. Dans une déclaration officielle publiée ces derniers jours, le ministre allemand des Affaires étrangères Frank-Walter Steinmeier a expressément remercié Mogherini « pour son engagement et sa vision dans l’élaboration de la ‘Stratégie globale’ ». Il était heureux d’y trouver « des éléments clés de la politique de paix allemande. »

L'idée maîtresse de la « politique de paix » de Steinmeier – plus précisément la politique de guerre – est bien connue. Aux côtés du président Joachim Gauck, il avait joué un rôle de premier plan dans la campagne en faveur du réarmement allemand. En 2014, à la Conférence de Munich sur la sécurité, il avait déclaré que l’Allemagne était « trop grande et trop importante » pour se contenter de « commenter la politique mondiale en simple spectatrice » et ajouté qu’elle devait être « prête à s’engager sur les questions de politique étrangère et de sécurité [c’est-à-dire militaire] plus rapidement, plus décisivement, et plus fortement. »

Cette année, le 13 juin, il a publié un article dans le magazine américain Foreign Affairs intitulé « Le nouveau rôle mondial de l’Allemagne » dans lequel il disait non seulement que l’Allemagne était une « importante puissance européenne », mais remettait également en cause le rôle dominant des Etats-Unis.

Le ministère des Affaires étrangère de Berlin se sert à présent du référendum sur le Brexit pour promouvoir les objectifs de grande puissance de l’Allemagne. Dans un article intitulé « Une Europe forte dans un monde incertain », publié par Steinmeier et son homologue français Jean-Marc Ayrault, le week-end dernier, la sortie britannique de l’UE est saluée comme l'occasion de « concentrer nos efforts communs et tenir nos engagements sur les défis qui ne peuvent être relevés que par des réponses européennes. »

Le vote du Brexit et les toutes récentes initiatives allemandes ont alarmé les hauts responsables de l’impérialisme américain. Vendredi dernier, Robert D. Kaplan, un membre influent de l’establishment américain de politique étrangère et architecte de l’invasion de l’Irak en 2003 a averti, dans une rubrique du Wall Street Journal, que « Le retour du chaos géopolitique ressemble à certains égards aux années 1930. »

Dans l'article, qui porte le titre « Comment déranger la célébration du Brexit par Poutine, » il affirme, « (…) le Brexit a mis en péril un objectif clé de la géopolitique britannique qui remonte à des centaines d’années: empêcher qu’une quelconque puissance ne domine le continent. Et pourtant l’Allemagne a actuellement le pouvoir de faire précisément cela. »

Kaplan considère que l’alliance d’après la seconde guerre mondiale entre les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et l’Allemagne est menacée. « L’Allemagne et la Grande-Bretagne ont certes dernièrement été alliées, » écrit-il, et « une longue liste de chanceliers allemands, depuis Konrad Adenauer, ont soutenu l’Atlantisme et la reconnaissance de la responsabilité toute particulière de l’Allemagne pour la paix et la stabilité européennes. De futurs chanceliers risquent de ne pas le faire. »

L'Allemagne, a-t-il averti, « pourrait conclure un accord séparé avec la Russie ou se replier sur soi et un nationalisme populiste… »

La préoccupation immédiate de Kaplan est que le Brexit ne sape les préparatifs américains pour une guerre avec la Russie. « Plus l’Europe se fracturera, » s'inquiète-t-il, « moins la volonté existera d’invoquer l’Article 5 de l’OTAN qui déclare qu’une attaque contre un des membres est une attaque contre tous. » Sa proposition de contre-stratégie: « La Grande-Bretagne devrait revigorer son alliance avec l'Amérique. En agissant ensemble, les deux pays sont encore en mesure de projeter leur pouvoir sur le continent européen, jusqu’aux portes de la Russie. »

Personne ne devrait sous-estimer la signification historique et politique de telles déclarations. Cent ans après le bain de sang de la bataille de la Somme et 75 ans après le lancement par l’Allemagne de la guerre d’anéantissement contre l’Union soviétique, les contradictions du capitalisme surgissent de nouveau, menaçant de déclencher une nouvelle guerre mondiale entre grandes puissances, qui éclipserait toutes les horreurs de la Première et de la Seconde Guerre mondiale.

La classe ouvrière doit mettre en avant sa propre stratégie pour contrer les efforts entrepris par les puissances impérialistes pour essayer de sauver l’ordre capitaliste par la guerre. Comme l’a souligné le Comité International de la Quatrième Internationale dans sa déclaration « Le socialisme et la lutte contre la guerre »: la stratégie anti-guerre de la classe ouvrière doit être développée « comme la négation de la géopolitique impérialiste des Etats-nations, » en se basant sur sa stratégie de l’unification et de la mobilisation de ses forces sur le plan international afin de résoudre la « crise mondiale par la révolution sociale. »

(Article original paru le 5 juillet 2016)

 

 

 

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