Un homme d'affaires australien suggère un «dictateur» pour résoudre la crise politique

Un homme d’affaires bien connu, Gerry Harvey, s’est lamenté du résultat de l’élection de samedi dernier en Australie et a suggéré la formation d’une dictature en vue de résoudre la crise politique et imposer des mesures anti-ouvrières de «réforme» économique.

On ne sait toujours pas quels partis politiques formeront le prochain gouvernement. Il y avait un mouvement important contre le gouvernement de Coalition libérale-nationale du premier ministre Malcolm Turnbull, mais le Parti travailliste australien n’a pas réussi à capitaliser là-dessus, enregistrant son deuxième plus faible vote primaire depuis la Seconde Guerre mondiale. Un nombre record de votes ont été exprimés pour divers candidats populistes de droite et «indépendants», qui ont bénéficié de l’hostilité croissante envers l’establishment politique. Avec les bulletins de vote qui continuent d’être comptés, le résultat le plus probable semble être un parlement bloqué, ainsi qu’un Sénat divisé, puisqu’aucun grand parti ne semble en mesure d’obtenir une majorité parlementaire.

Harvey, fondateur et président de la multinationale de détail Harvey Norman, est la 19e personne la plus riche de l’Australie, avec une fortune personnelle déclarée de 2 milliards de dollars.

Dans une interview avec le Daily Telegraph, un tabloïd appartenant à Rupert Murdoch, il s'est plaint que la politique australienne avait été dans un «état d’agitation constante» depuis 2007, lorsque le premier ministre libéral John Howard a perdu les élections. Harvey a ajouté: «Dans le monde entier aujourd’hui, avec ce qui se passe en Angleterre, en Europe et aux États-Unis, il y a beaucoup de mécontentement avec la politique traditionnelle et les gens manifestent leur frustration.» 

Le résultat des élections en Australie reflète les mêmes processus internationaux qui ont trouvé leur expression dans les primaires présidentielles aux États-Unis et dans le référendum récent en Grande-Bretagne sur l’adhésion à l’Union européenne. L’aliénation populaire de masse auprès de l’establishment politique dans les deux pays a été exprimée de façon déformée dans le vote pour Donald Trump aux États-Unis et la campagne pour le Brexit au Royaume-Uni.

La réponse de Harvey est significative. Déclarant que l’Australie «vit au-dessus de ses moyens», il a conclu: «Les deux côtés [travailliste ou libéral] ne peuvent rien faire à ce sujet, parce qu’aussitôt qu'ils font quelque chose, ils sont martelés. Le seul remède que nous avons est d’avoir un dictateur comme en Chine ou quelque chose de la sorte. Notre démocratie en ce moment ne fonctionne pas.»

Ces remarques expriment l’hostilité croissante au sein de cercles dirigeants – non pas uniquement en Australie – envers des formes démocratiques de pouvoir.

L’issue incertaine des élections a fait monter à la surface de la vie politique la frustration et la colère qui couvent au sein de l’ultra-riche. Le cri de Harvey que «la démocratie ne fonctionne pas» a été repris depuis l’élection de samedi dans de nombreux commentaires des médias qui ont déploré le fait que «l’Australie soit ingouvernable».

L’impasse parlementaire est une expression de l’incapacité des partis travailliste et libéral de gagner les élections en admettant honnêtement leur intention de défendre le programme qui a été élaboré en secret par les représentants du capital financier. Des plans détaillés ont été mis en oeuvre pour maintenir la «compétitivité internationale» du capitalisme australien par le démantèlement des systèmes de santé et d’éducation publiques du pays, la destruction d’autres services sociaux, l'élimination du filet social et la baisse des salaires des travailleurs. L’obstacle est l’opposition amère des gens ordinaires.

Cette opposition demeure actuellement mal définie politiquement et reste confinée dans les paramètres de la politique électorale, mais elle a néanmoins provoqué la colère des cercles dirigeants.

Le chef de l’Institute australien des directeurs d’entreprise, John Brogden, a décrit le résultat de l’élection comme «le pire résultat possible pour l’Australie». Tony Shepherd, l’ancien chef du Conseil des entreprises de l’Australie, a écrit hier un commentaire dans l'Australian Financial Review déclarant que «la notion de réforme économique importante en Australie est désormais considérée comme un suicide politique».

En d’autres termes, c’est la démocratie qui est le problème. Alors que Harvey préconise carrément la dictature, l’ensemble de l’élite dirigeante est d’accord sur la nécessité de préparer de nouvelles formes de régime autoritaire. La discussion politique postélectorale au sein des cercles d’entreprise porte maintenant sur la façon dont le résultat des élections peut être efficacement renversé, en formant en quelque sorte un gouvernement capable d’imposer les diverses mesures de «réforme» que rejette la population.

Une option qui est envisagée est une «grande coalition» travailliste-libéral.

Dans l’Australian Financial Review d’hier, Warwick McKibbin, un ancien membre du conseil d’administration de la Banque Fédérale de réserve et actuellement «agrégé supérieur» à l’Institution Brookings à Washington, a exhorté Turnbull et le leader travailliste Bill Shorten à former un «gouvernement d’unité». McKibbin a déclaré: «L’Australie ne doit pas être prise en otage par des positions politiques populistes et négatives en cette période particulièrement dangereuse de l’économie mondiale.»

En d’autres mots, les sentiments des gens ordinaires doivent être étouffés et ne doivent pas s'exprimer politiquement. Au lieu de cela, McKibbin a continué, un tel gouvernement travailliste-libéral devait mettre en œuvre des politiques qui sont, selon les deux partis, «dans l’intérêt national», en commençant par la «réparation du budget», à savoir, d’énormes coupes dans les dépenses sociales.

Les agences de notation de crédit américaines ont pesé dans la crise politique. Le vice-président principal du Service des investisseurs de Moody, Marie Diron, a déclaré lundi que la note AAA de l’Australie serait menacée si un nouveau gouvernement annulait même une partie des réductions de dépenses promises par des partis principaux. Un porte-parole de Fitch a déclaré de façon similaire qu’un déclassement suivrait toute «impasse politique conduisant à une aggravation prolongée du déficit».

Shorten, après avoir juré de faire tout ce qui est nécessaire pour maintenir la cote de crédit du capitalisme australien, tente maintenant de rassurer l’oligarchie financière. Il a exprimé à plusieurs reprises son intention d’être «constructif» et de «faire fonctionner ce parlement» en collaborant avec les gens de «toutes les sensibilités politiques», y compris des parlementaires des partis libéral et national.

Au milieu de luttes intestines et des récriminations au sein de la Coalition libérale-nationale, et un éventail de programmes rivaux promus par les parlementaires des Verts, des populistes de droite, et des «indépendants», il est difficile de savoir si l'argument de Shorten pour un parlement qui puisse «fonctionner» est le moindrement viable. De nouvelles élections pourraient bientôt être déclenchées dans le but de concevoir le gouvernement exigé par le capital financier.

L’administration Obama suit sans aucun doute de près la crise politique. Washington est intervenu directement en 2010, utilisant son réseau d’informateurs et d’actifs dans les fractions du Parti travailliste et de l’appareil syndical pour évincer Kevin Rudd de son poste et installer un autre Premier ministre plus étroitement aligné sur sa confrontation provocatrice de la Chine dans la région Asie-Pacifique. Six ans plus tard, l’impérialisme américain se prépare à mener une guerre contre la puissance asiatique montante. Le spectre de l’un de ses principaux alliés régionaux laissé sans gouvernement dans ces circonstances doit sonner l'alarme à Washington.

Les commentaires de Harvey sont un avertissement aux travailleurs en Australie et à l’étranger. Le recours à des formes plus autoritaires de gouvernement afin d’imposer des politiques qui sont contraires aux intérêts de la majorité de la population s’accompagne de la construction de l’appareil répressif de l’État. Des mesures d’État policier mises en place au cours des 15 dernières années, sous couvert de la «guerre contre le terrorisme», seront utilisées pour essayer de réprimer la résistance au programme de guerre et d’austérité.

(Article paru d’abord en anglais le 5 juillet 2016)

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