L’UE secouée par la crise bancaire italienne

Moins de trois semaines après le vote du Royaume-Uni en faveur du Brexit, une nouvelle crise bancaire est en train d’affecter l’Union européenne. Non seulement elle risque d’avoir des conséquences économiques considérables mais aussi d’intensifier davantage la crise politique de l’UE.

Le vote du Brexit a jeté des doutes sur la stabilité de l’Europe en créant des ondes de choc à travers les marchés financiers mondiaux et en causant une dégringolade brutale des valeurs bancaires. Deutsche Bank, la première banque privée d’Allemagne, a perdu un quart de sa valeur en l’espace de deux semaines.

L’impact a été tout particulièrement grave en Italie. Il a constitué un parfait exemple de la façon dont l’imposition de mesures d’austérité aux dépens de la classe ouvrière n’a pas stabilisé mais au contraire approfondi la crise de l’économie et des marchés financiers européens.

En dépit des mesures d’austérité et des privatisations appliquées par trois gouvernements successifs dirigés par Mario Monti, Enrico Letta et Matteo Renzi, la dette publique de l’Italie est passée depuis 2011 de 1,8 à 2,2 milliers de milliards d’euros, soit 133 pour cent du PIB. Depuis le début de 2008, le PIB s’est contracté de 8 pour cent. Le montant des créances douteuses qui figure au bilan des banques a doublé pour s’élever actuellement à 360 milliards d’euros, soit un cinquième de l’ensemble des prêts. De ce montant, 200 milliards d’euros sont considérés irrémédiablement perdus.

La bourse italienne a fortement réagi au Brexit. UniCredit, la première banque du pays, a perdu un tiers de sa valeur en perdant cette année au total 60 pour cent de sa valeur boursière. La deuxième plus importante banque d’Italie, Intesa Sanpaolo a également chuté de 30 pour cent.

La Banca Monte dei Paschi di Siena (MPS) a été touchée particulièrement durement. Cette banque, qui fut fondée en 1472, figure parmi les plus vieilles banques du monde. Depuis le Brexit, ses actions sont cotées à peine à un dixième de leur valeur comptable. 40 pour cent au moins de ses avoirs, 47 milliards d’euros consistent en actifs toxiques.

Ceci place le gouvernement Renzi devant un dilemme. La nouvelle réglementation bancaire adoptée par l’UE en réaction à la crise de 2008 interdit le recours à des fonds publics pour le sauvetage des banques. Avant que des mesures de renflouement public soient prises, les créanciers et les actionnaires doivent être tenus responsables des pertes de la banque en couvrant au moins 8 pour cent des dépenses de restructuration.

Renzi ne survivrait pas politiquement à la mise en pratique d’une telle politique vu que des dizaines de milliers de petits épargnants et investisseurs ont déposé leur argent dans les banques et le perdraient.

À la fin de l’année dernière déjà, lorsque quatre petites banques marquées par la crise furent redressées, 12 500 petits investisseurs, dont de nombreux retraités totalement pris au dépourvu, ont perdu leurs économies. Sur l’avis des banques, ils avaient placé leurs économies dans les investissements dits de « subprime » qui s’avérèrent être des actifs pourris. Le sort dramatique qu’ils subirent, dont le suicide d’un retraité qui avait tout perdu, déclencha une vague de protestation dans tout le pays.

L’on craignait de plus que le démantèlement de MPS, qui avait vendu de telles actions à 60 000 clients, ne provoque une ruée sur toutes les banques italiennes en déclenchant une réaction en chaîne dans l’ensemble de l’Europe. D’après les médias d’autres banques italiennes, dont la Banka Popolare di Vicenza et le groupe d’épargne Carige à Gênes connaissent des problèmes identiques à ceux de MPS.

Après que le Fonds monétaire international ait fortement revu à la baisse ses prévisions de croissance pour l’Italie, la troisième économie de la zone euro, une étude réalisée par la banque Barclays a estimé que la situation à laquelle était confronté le secteur financier dans presque tous les pays était dramatique. David Folkerts-Landau, le chef économiste de Deutsche Bank, a déclaré dans le journal Welt am Sonntag que 150 milliards d’euros étaient nécessaires pour sauver les banques européennes.

Dans ces conditions, Renzi, qui est soutenu par le patron de la banque centrale Ignazio Visco, a proposé un fonds de renflouement de 40 milliers de milliards d’euros pour sauver les banques italiennes. La proposition s’est heurtée à une vive résistance à Bruxelles. Le ministre allemand des Finances Wolfgang Schäuble et le président de l’Eurogroupe, Jeroen Dijsselbloem, insistent sur le maintien de la nouvelle réglementation bancaire de l’UE.

La chancelière allemande Angela Merkel et les groupes parlementaires du CDU/CSU et du SPD ont appuyé Schäuble. « Nous ne pouvons pas rédiger tous les deux ans une nouvelle réglementation », a carrément dit Merkel lors d’un sommet de l’UE qui s’était tenu immédiatement après le vote du Brexit.

Karsten Schneider, le vice-président du groupe parlementaire du SPD, a remarqué, « La crédibilité de la réglementation visant à protéger tous les contribuables en Europe ne peut pas être remise en question à la première occasion venue. » Et Joachim Pfeiffer, le porte-parole de la CDU/CSU pour l’économie, a jouté, « Un manquement à cette réglementation serait inacceptable. »

Schäuble et Dijsselbloem se sont également montrés intraitables face à l’Espagne et au Portugal. Pour la première fois dans l’histoire, les ministres des Finances de l’UE ont voté la semaine passée en faveur de sanctions contre les deux pays qui ne furent pas autorisés à voter, car ils étaient en infraction aux règles du plafond de déficit budgétaire de 3 pour cent du PIB. L’Espagne et le Portugal qui ont pratiquement détruit leur économie du fait d’années de mesures d’austérité seront maintenant contraints de transférer des milliers de milliards d’euros à Bruxelles en rendant ainsi impossible le respect de la limitation du déficit.

Et donc, les mêmes conflits éclatent au sein de l’UE comme ceux survenus durant la crise grecque : l’Allemagne et un groupe de pays plus riches dans le Nord qui ont grassement profité de l’euro, veulent empêcher à tout prix d’être tenus responsables des conséquences de leur politique dans le Sud du continent.

Christoph Schmidt, le chef des « experts économiques », le plus important organe consultatif allemand sur les questions économiques, l’a résumé en prévenant que l’UE était en train d’être transformée en une « communauté de responsabilités » si le « cadre réglementaire récemment créé pour le sauvetage des banques venait une fois de plus à être remis en question. » Le besoin de protéger les dépôts des petits épargnants italiens n’étant pas une raison suffisante pour enfreindre la réglementation de l’UE.

Cette politique pourrait cependant s’avérer être explosive pour l’Union européenne ; ce que le gouvernement allemand a reconnu verbalement. C’est ce qui apparaît très clairement en Italie. Si la crise bancaire entraînait la chute de Renzi, alors un gouvernement anti-UE viendrait très certainement le remplacer.

Le lustre initial du jeune politicien, qui avait pris le pouvoir en promettant haut et fort de « mettre à la ferraille » les vieilles élites, a disparu il y a longtemps. S’appuyant sur les restes du Parti communiste et des syndicats, il a mis en vigueur la plus vaste « réforme » du marché du travail, réduit drastiquement les retraites et coupé le financement des services publics et des écoles.

L’économie n’a pas réagi positivement à ces mesures et l’Italie est devenue une poudrière sociale. Le chômage est considérablement plus élevé que le chiffre officiel de 11,5 pour cent ne le suggère vu que les statistiques ne tiennent pas compte des quelque 36 pour cent de la population en âge de travailler mais présumés « inactifs [pas inscrits au chômage] ». C’est surtout parmi les jeunes, où le chiffre officiel du chômage atteint 40 pour cent, qu’il n’y a pas de chance de bénéficier d’une éducation ou d’un avenir, notamment dans la partie pauvre du Sud du pays.

Lors des récentes élections municipales, le Parti démocrate de Renzi a subi des pertes significatives. Dans les grandes villes telles Rome et Turin, il a perdu les mairies au profit du Mouvement 5 étoiles de Beppe Grillo qui, en obtenant 32 pour cent lors d’un récent sondage d’opinions, a devancé les Démocrates. Le mouvement de Grillo, qui se base avant tout sur les sections insatisfaites de la classe moyenne, représente des positions nationalistes et xénophobes et collabore au niveau européen avec le UKIP de Grande-Bretagne qui avait mené la campagne du Brexit.

Le partenaire de droite de la coalition de Renzi, le Nuovo Centro Destra (Nouveau-centre-droit, NCD), qui est issu d’une scission de Forza Italia, le parti de Silvio Berlusconi, a menacé de quitter le gouvernement. L’ultra-droite Ligue du Nord de Matteo Salvani, qui fait actuellement campagne à travers l’Italie, est en train de profiter de cette crise.

Un référendum sur un nouveau système électoral et l’affaiblissement de la Chambre haute du parlement, le Sénat, se déroulera en octobre ou début novembre. Si Renzi venait à perdre le référendum concernant les modifications constitutionnelles, il prévoit de démissionner et de convoquer de nouvelles élections. Au cas où la crise bancaire continuait à se détériorer, la situation pourrait bien s’avérer être la fin de son mandat.

La tentative de l’Allemagne d’imposer ses diktats économiques fait éclater l’UE. La réaction de Berlin à cela est de mettre davantage l’accent sur le militarisme à l’intérieur et à l’extérieur du pays.

(Article original paru le 14 juillet 2016)

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