Des émeutes éclatent près de Paris après la mort d’Adama Traoré en garde à vue

Les habitants de Beaumont-sur-Oise près de Paris se sont affrontées avec les forces de sécurité mardi, mercredi et jeudi soir, après la montée de colère provoquée par la mort mardi d’Adama Traoré en garde à vue.

La famille de Traoré, à qui on avait toujours refusé de voir le corps jeudi, conteste fortement la version policière des événements qui ont conduit à sa mort. Il a été arrêté lors d'une opération par les gendarmes visant à arrêter son frère, Bagui, dans le cadre d'une enquête sur plusieurs personnes soupçonnées d’extorsion, quoique Bagui ait ensuite été libéré sans inculpation.

Selon différentes versions contradictoires des événements présentées par les autorités à sa famille, Adama Traoré a tenté de s’interposer durant l'arrestation de son frère et a été emmené en garde à vue, où il est mort d'une crise cardiaque ou d'une crise d'épilepsie.

Bagui Traoré, qui a été emmené au poste de police avec son frère, a donné une version totalement différente. Il a dit: « Lorsque les gendarmes sont arrivés, Adama est parti en courant parce qu’il n’avait pas ses papiers sur lui. Ils l’ont coursé et l’ont rattrapé alors qu’il tentait de se cacher dans le jardin d’un mec qu’on connaît. Adama a dit “je me rends”. Ils l’ont boxé. »

Il a ajouté, « Ils l’ont embarqué ensuite à la gendarmerie de Persan. Là-bas, je l’ai retrouvé entouré de cinq ou six gendarmes. Il était au sol, les mains menottées dans le dos. Il ne respirait plus, il était sans vie. Il avait du sang sur le visage. J’ai vu un gendarme qui faisait partie de ceux qui nous ont interpellés. Il avait un t-shirt blanc et je l’ai vu revenir après avec un t-shirt plein de sang, celui de mon frère. Ma compagne était là, elle l’a vu aussi. Adama n’a pas eu de crise cardiaque, ils l’ont tabassé. »

Un autre frère de Traoré, Youssef, a rejeté comme pas crédible l’affirmation policière que son frère était mort d’une crise cardiaque : « C’était un grand sportif. Il faisait du football, de la musculation, il était super costaud. Jamais il n’a eu de problème cardiaque. Hier, il était en train de faire du vélo quand les gendarmes l’ont interpellé, avec la chaleur qu’il faisait, vous pensez vraiment que s’il avait eu des problèmes cardiaques il aurait pu faire ça. C’était son anniversaire hier. On avait prévu de se rassembler avec la famille pour lui fêter. Maintenant il n’est plus là. »

Des affrontements ont éclaté entre la police et les habitants de plusieurs banlieues de Paris, y compris Beaumont-sur-Oise, Persan et Bruyères-sur-Oise, où des voitures et des magasins ont été incendiés. Les autorités policières ont indiqué que neuf personnes ont été arrêtées pour « attroupements armés, incendies volontaires et jets d’objets incendiaires sur les forces de l’ordre »

La Gazette du Val d'Oise a cité les amis et la famille de Traoré qui ont exprimé leur indignation à propos de la police, exigeant « que la justice fasse son travail. »

« Si la justice ne fait pas son travail, alors nous le ferons. Nous ne pouvons pas laisser passer cela. Les gendarmes sont des militaires, quand un de leurs hommes meurent au front, ils cherchent à savoir qui est le responsable et font en sorte de le retrouver. Pour nous c’est pareil. »

Sa mère, Oumou, a dit : « Je veux savoir la cause de sa mort. Je veux le voir pour pouvoir faire son deuil ». Elle a lancé un appel au calme: « La violence n'apporte rien. Je demande aux jeunes de se calmer et de prier pour Adama. Qu'ils cassent les voitures, les magasins, cela ne sert à rien. Ce n'est pas ça qui va faire revenir Adama ».

La sœur jumelle d’Adama, Hawa a dit, « Je veux savoir dans quelles circonstances il est mort. C'est mon combat depuis que j'ai appris son décès… les émeutes qu'il y a depuis, c'est parce que nous sommes sans réponse. On nous laisse dans le flou… »

La mort de Traoré et les affrontements qui ont éclatés par la suite entre la population et les gendarmes ont eu lieu dans un contexte politique explosif. La France reste sous l'état d'urgence, et les tensions sociales et la colère sont au point de rupture après que le gouvernement du Parti socialiste a violemment réprimé les protestations sociales contre sa législation du travail régressive, qui vise à détruire les droits sociaux fondamentaux de longue date des travailleurs.

Les banlieues des grandes villes françaises sont devenues des poudrières sociales, alors que que des dizaines de milliers de policiers, avec des pouvoirs extraordinaires pour fouiller et détenir des individus, sont déployés dans les rues. En même temps, la colère populaire contre l'austérité et les mesures d’état policier se développe dans toute l'Europe.

Deux fois dans le passé, en 2005 et 2007, les banlieues de Paris et d'autres villes françaises ont explosé en émeutes et en combats contre la police suite aux morts de jeunes interpellés par ces derniers. Aujourd'hui, le gouvernement PS est profondément discrédité et la colère monte contre la mort à répétition de personnes innocentes pendant leur garde à vue, non seulement en France, mais dans toute l'Europe et aux États-Unis. Toutes les conditions sont réunies pour une confrontation encore plus explosive.

Le Défenseur des droits Jacques Toubon a annoncé qu’il « lançait un appel solennel au calme, ajoutant : «Un seul objectif doit prévaloir, partagé par toutes les personnes impliquées: la recherche de la vérité..»

Mais hier, les responsables de la police ont publié le rapport d'autopsie d’Adama Traoré, maintenant leur version des événements et attaquant directement la version de la famille sur sa mort.

« Il avait une infection très grave… touchant plusieurs organes, » a déclaré le procureur de la République Yves Jannier, ajoutant que, « manifestement cette personne n’aurait pas subi des violences, comme certains membres de sa famille ont pu le dire ».

L'avocat de la famille Traoré, Karim Achoui, a déclaré à l'AFP que l'infection « dont pourrait souffrir Adama Traoré n'explique pas les causes de la mort. » Sa famille a l’intention de chercher l’opinion « d’un expert indépendant » avant l’enterrement d’Adama.

Des informations indiquaient le 21 juillet au soir que des manifestations et des émeutes avaient de nouveau lieu dans les communes autour de Beaumont- sur-Oise. Des affrontements se seraient produits près d'une station d'essence de Beaumont et six voitures auraient été incendiées sur les communes de L’Isle-Adam, Champagne-sur-Oise et Bernes-sur-Oise.

(Article paru en anglais le 22 juillet 2016)

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