Perspectives

La crise du capitalisme et la défense des droits démocratiques

Dimanche soir, le deuxième tour de la présidentielle de l'Autriche entre Norbert Hofer du Parti de la liberté d'extrême droite et Alexander Van der Bellen des Verts a abouti à une impasse. Hier, on a vu que la marge de victoire de Van der Bellen n'était que quelques dizaines de milliers de voix, et que l'Autriche s'était presque donnée le premier chef d'Etat d'un pays européen depuis 1945 dont le parti a ses origines qui remontent aux nazis. 

Il y a vingt ans, la révélation que le président autrichien Kurt Waldheim avait adhéré au parti nazi a provoqué scandale. Aujourd'hui, l'ascension de Hofer fait partie d'une tendance internationale croissante qui dispose d'un soutien important dans les cercles dirigeants. Dans un pays après l'autre, des forces autoritaires de droite sont mobilisées pour détourner la colère et de la frustration ressentie par les masses de gens envers les partis traditionnels de la classe dirigeante. 

Cette tendance s'affirme dans la montée du Front national en France, de l'Alternative pour l'Allemagne, du Parti de l'indépendance du Royaume-Uni (UKIP), des néo-fascistes en Ukraine et de Rodrigo Duterte aux Philippines. Vu la nomination imminente de Donald Trump comme candidat républicain aux présidentielles, l'un des deux principaux partis aux États-Unis sera dirigé par un individu dont le programme et l'orientation sont nettement fascisants. 

L'échec mondial des institutions démocratiques est poussé par la crise économique mondiale, la montée du militarisme et des guerres, et, surtout, l'intensification de la lutte des classes. 

Le World Socialist Web Site a déjà souligné les signes d'une résurgence de la lutte des classes et un processus de radicalisation politique mondiale, avec la grève des 39.000 travailleurs de Verizon aux États-Unis, des manifestations de masse contre la «réforme» réactionnaire du Code du travail en France, une grève générale en Grèce, et des grèves en Chine et en Inde. La reprise de la lutte de classe, écrivions-nous, « trouve une expression politique dans le fait que les travailleurs se tournent contre tous les partis de la 'gauche' officielle soutenus par les syndicats ». 

Les élites dirigeantes se sentent assiégées de toutes parts. Elles sont conscientes que leurs politiques de guerre et d'austérité sont profondément impopulaires et provoquent une résistance de masse. Elles tentent d'anticiper cette radicalisation politique en mobilisant des forces d'extrême droite, tout en créant les conditions pour la répression toujours plus violente et brutale de l'opposition sociale. 

Dans la mesure où les forces néo-fascistes gagnent un soutien plus large, la responsabilité politique incombe au caractère anti-ouvrier de la soi-disante « gauche ». On le voit le plus clairement en France et en Grèce. Les travailleurs et les jeunes ont élu un gouvernement PS en France qui impose une loi qui attaque les salaires et les conditions de travail des travailleurs. En Grèce, SYRIZA (la « Coalition de la gauche radicale »), mobilise les forces de l'ordre pour écraser la contestation par les travailleurs des mesures d'austérité contre lesquelles elle avait promis de lutter. 

Au Brésil, le Parti des travailleurs (PT), qui pendant 13 ans au pouvoir a loyalement imposé le diktat des banques mondiales, a ouvert la voie à l'intervention des militaires 52 ans après la prise du pouvoir par une junte militaire qui a terrorisé les travailleurs et les jeunes. Au Venezuela, les héritiers politiques de Hugo Chavez réagissent l'inflation et à la chute des cours du pétrole en imposant un état d'urgence qui interdit aux travailleurs de faire grève pour augmenter leurs salaires. 

Quant à Trump, la capacité de ce milliardaire d'avancer en promettant de « reconstruire la grandeur de l'Amérique » sur la base du chauvinisme et du nationalisme est entièrement liée à une profonde hostilité populaire envers les deux grands partis bourgeois. Dans une campagne entre Trump et son probable adversaire Démocrate, Hillary Clinton, ce sera Trump qui se positionnera comme le candidat «anti-establishment» contre une représentante corrompue et méprisée de Wall Street et des milieux militaires et du renseignement. 

Dans ces conditions, les représentants de la pseudo-gauche petite-bourgeoise prétendent qu'il est nécessaire d'organiser une alliance générale des «forces démocratiques» sur une base capitaliste. L'exemple le plus achevé est le commentaire de Yanis Varoufakis, ancien ministre des Finances du gouvernement Syriza en Grèce, qui a joué un rôle central dans la trahison des luttes des travailleurs grecs contre l' austérité. 

Dans une lettre ouverte publiée sur le site web International Viewpoint, Varoufakis déclare: «Nous vivons un moment de l'histoire très similaire à celui » des années 1930, avec « la déflation, la xénophobie, l'hyper-nationalisme, des dévaluations compétitives, le chauvinisme, etc. » Quel était, demande-t-il, « le devoir des progressistes» aux années 1930? "C’était ... de dépasser l’appartenance aux partis politiques afin de créer un mouvement pan européen de démocrates (radicaux, libéraux, même de conservateurs progressistes) en opposition aux forces du mal. Je crains fort que ce soit aussi de notre devoir aujourd'hui ». 

En fait, l'expérience des années 1930 démontre la faillite de la politique que prône Varoufakis. Dans cette décennie, les partis communistes dominés par le stalinisme ont répondu à la dépression, la guerre et la montée du fascisme en avançant le programme du « front populaire » -- une alliance avec des soi-disant éléments «démocratiques» de la bourgeoisie contre le fascisme. Cela fut un désastre pour la classe ouvrière. En 1940, la plupart de l'Europe était sous la domination fasciste. 

Comme le front populaire stalinien des années 1930, la politique de Varoufakis de lier les travailleurs aux partis mêmes qui imposent l'austérité et la guerre vise à stopper le développement d'un mouvement politique contre la montée des forces d'extrême droite qui puisse gagner le soutien des masses. Il veut une campagne pour la «démocratie» sans changer les conditions qui soustendent le danger du fascisme. Aux États-Unis, les forces politiques autour du Parti démocrate préparent un mouvement politique contre Trump sans proposer de changement à une politique sociale qui a produit un transfert sans précédent de la richesse de la population active à l'aristocratie financière. 

Pour expliquer la crise de la démocratie bourgeoise dans la période entre la Première et la Seconde Guerre mondiale, le grand théoricien et révolutionnaire marxiste Léon Trotsky a écrit: 

« Par analogie avec le génie électrique, on peut définir la démocratie comme un système d'interrupteurs et de disjoncteurs qui protègent contre les courants surchargés par la lutte nationale ou sociale. Aucune période de l'histoire humaine n'a été si surchargée d’antagonismes que la nôtre ... Sous l'impact des contradictions internationales et de classe trop fortement chargées, les fusibles de la démocratie explosent ou sautent. Voilà ce que représente le court-circuit de la dictature. » 

Trotsky fondait son analyse sur la compréhension que l’effondrement des formes démocratiques était le produit d'un système social et économique en profonde crise. La tâche aujourd'hui, comme alors, est de mobiliser la classe ouvrière internationale sur la base d'un programme politique dirigé contre la source de la surcharge électrique: le capitalisme. 

Nous demandons à nos lecteurs partout dans le monde de tirer les conclusions nécessaires. Rien ne sera fait en cherchant à consolider les institutions en ruine du pouvoir bourgeois. Deux alternatives sont nettement posées: soit la classe dirigeante et son système économique entraîneront l'humanité dans l'abîme de la guerre, de la dépression et de la dictature, soit la classe ouvrière internationale va prendre le pouvoir et réorganiser l'économie mondiale sur une base socialiste.

(Article paru en anglais le 23 mai 2016)

 

 

 

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