Arrestation à Bruxelles de Salah Abdeslam, suspect-clé des attentats terroristes de Paris

Salah Abdeslam, un suspect des attentats terroristes du 13 novembre à Paris montés par le groupe État islamique en Irak et en Syrie (EI), a été arrêté vendredi à Bruxelles. Incroyablement, le personnage présenté pendant quatre mois comme l’homme le plus recherché d’Europe et qui selon toute vraisemblance avait fui Bruxelles et rejoint la Syrie, était dans le sous-sol d’une maison à quelques centaines de mètres de l’appartement de ses parents à Molenbeek, quartier de Bruxelles hautement surveillé.

Le 15 mars, les policiers sont arrivés à un appartement du quartier bruxellois de Forest pour une perquisition qui, selon des sources policières françaises, ciblait « l’entourage » de certains des onze hommes déjà arrêtés pour complicité dans la préparation des attaques du 13 novembre. Les policiers ont été néanmoins surpris quand ils ont été accueillis par des coups de feu. Au cours de la fusillade qui a suivi, un Algérien de 35 ans, Mohamed Belkaid, a été tué par un tireur d’élite et quatre policiers ont été blessés. Deux hommes ont fui par les toits pendant la fusillade.

Belkaid séjournait illégalement en Belgique et son nom figurait sur la liste des 22.000 combattants de l’EI publiés par Sky News le 10 mars. Néanmoins, le ministre belge de la Justice Koen Geens, a dit à VRT News que cela ne signifiait pas qu’il ait été suivi par l’OCAM (Organe de coordination pour l’analyse des menaces), l’autorité antiterroriste belge.

Les empreintes digitales d’Abdeslam ont été trouvées dans l’appartement où Belkaid a été tué, et la police a commencé le suivi des téléphones cellulaires des deux hommes qui ont fui le bâtiment pendant les attaques, dont l’un était Abdeslam. Fait remarquable, Abdeslam ne s’est pas débarrassé de son téléphone ou de la carte SIM pendant ou après la rencontre avec la police, mais a continué à les utiliser, permettant à la police de le suivre grâce à son téléphone.

Le 17 mars, à l’enterrement du frère d’Abdeslam, Brahim, auteur d’un des attentats-suicides de Paris, un des hommes présents et surveillé par la police comme islamiste, Abid Aberkan, a reçu un appel téléphonique d’Abdeslam lui demandant où se cacher. Aberkan aurait suggéré à Abdeslam de se cacher dans l’appartement de sa mère; le lendemain, ce dernier y était blessé par balle au genou et capturé lors d’un raid de la police.

Au moment de sa capture, Abdeslam aurait crié son nom; la police a confirmé son identité peu après par l’analyse de ses empreintes digitales.

L'avocat d’Abdeslam, Sven Mary, a déclaré qu'il coopérait avec la police, mais s’opposerait aux tentatives de l'extrader vers la France sur la base d'un mandat d'arrêt européen des autorités françaises. « La France demande son extradition. Je peux vous dire que nous allons refuser l'extradition vers la France », a déclaré Mary.

Il reste tout à fait obscur comment Abdeslam a pu préparer les attentats du 13 novembre à l’insu de la police et des services de renseignement, ou encore s’enfuir et se cacher à Bruxelles pendant quatre mois après les attentats.

Les responsables du renseignement et de la sécurité ont dit qu’Abdeslam avait bénéficié d’une assistance étendue, allant apparemment au-delà des connexions islamistes de l’EI, afin d'échapper aux forces de sécurité pendant si longtemps dans une ville sous haute surveillance. Le ministre belge des Affaires étrangères Didier Reynders a dit qu’Abdeslam avait l'aide des « amis, ainsi que des réseaux criminels. »

« Pour rester en cavale pendant quatre mois, manifestement il a pu compter sur plusieurs réseaux de soutien. Il avait des amis dans les milieux criminels, d’autres du milieu des islamistes radicalisés, puis des connaissances d’enfance et de quartier, » a déclaré à l’AFP Louis Caprioli, l’ancien chef de l’antiterrorisme à la Direction de la sécurité du territoire (DST) Française.

En dernière analyse cependant, la question centrale soulevée par ces enquêtes est le rôle de la guerre impérialiste menée par les puissances de l’OTAN en Syrie, et celui de l’Europe. Dans l’année précédant les attaques du 13 novembre, Abdeslam est devenu bien connu des autorités européennes, qui ont documenté ses liens avec les forces du terrorisme islamiste. Il a été arrêté en janvier 2015 par les autorités turques qui l’ont empêché de se rendre en Syrie et déporté en Belgique, après quoi le renseignement belge l’a identifié comme une menace.

On a néanmoins permis à Abdeslam de voyager à travers l’Europe, même après son expulsion par la Turquie. Le 4 août, les autorités grecques à Patras l’ont investigué alors qu’il voyageait avec Ahmed Dhamani qui était en contact avec l’EI en Turquie. En octobre, il a été investigué par les autorités allemandes à Ulm, alors qu’il voyageait avec un autre suspect, porteur de faux papiers belges et Syriens au nom d’Ahmed Mounir Alaaj et Amine Choukri.

Selon un autre article récent dans La Dernière Heure et Het Latste Nieuws, un informateur de la police à Molenbeek avait averti en 2014 des agents de la police fédérale belge que les frères Abdeslam étaient « totalement radicalisés » et se préparaient à aller combattre en Syrie et se préparaient à mener des attaques. L’information fut transmise par un agent de police en congé à ses supérieurs, qui n’ont cependant rien fait, affirmant que l’information n’était pas suffisamment concrète.

Abdeslam a néanmoins été autorisé à se rendre à Paris, apparemment sans problème, avec d’autres figures de l’EI préparant les attaques du 13 novembre. Parmi ceux-ci, il y avait Abdelhamid Abaaoud, un Belge devenu l’un des porte-parole les plus connus de l’EI sur Facebook après avoir rejoint la milice islamiste en 2013 et qui aurait eu le contrôle opérationnel des forces de l’EI pendant l’attaque du 13 novembre.

Il existe des rapports contradictoires sur l’endroit où était Abdeslam et sur le rôle qu’il a joué pendant les attaques du 13 novembre, mais il semble qu’il ait envisagé, puis rejeté l’exécution d’un attentat suicide. Son avocat a déclaré qu’il était présent lors des attentats.

Toute la ville de Bruxelles avait été verrouillée immédiatement après l’attaque, alors que la police était à la poursuite d’Abdeslam après avoir suivi son téléphone portable de Paris à Bruxelles. Comme les rapports de sa capture l’indiquent clairement, il appelait, alors qu’il était dans la clandestinité, des sympathisants islamistes surveillés par la police – c’est-à-dire qu’il n’agissait guère de manière à rester invisible aux autorités.

Quelle que soient les événements ayant conduit à l’arrestation d’Abdeslam, l’histoire prise dans son ensemble souligne que le facteur clé derrière ces attentats est la complaisance officielle envers les agents de l’EI en Europe. Alors que des millions de réfugiés fuyant le Moyen-Orient font face en Europe à une répression brutale et à la menace de déportations massives et que les musulmans en France sont confrontés à une escalade de la répression depuis les attaques de janvier 2015 contre Charlie Hebdo, les dirigeants et associés de l’EI en Europe continuent de bénéficier d’un traitement indulgent.

Cela a son origine dans la politique étrangère menée par la France et toutes les puissances de l’OTAN en Syrie, qui ont armé les milices islamistes dans une guerre pour renverser le régime du président Bachar al-Assad.

Avant les attaques du 13 novembre, les autorités françaises justifiaient leur décision de ne pas bombarder l’EI en Syrie mais seulement en Irak, en déclarant que l’EI était la force la plus efficace dans la guerre contre Assad.

Dans le même temps, la prétendue « guerre contre le terrorisme » est cyniquement utilisée pour justifier l’escalade des mesures d’État policier à l’intérieur. Comme on pouvait s’y attendre, les responsables ont fait de l’arrestation d’Abdeslam, que le premier ministre belge Charles Michel a salué comme « un succès contre le terrorisme, » une justification pour donner plus de pouvoirs à la police afin qu’elle poursuive l’escalade des raids et des verrouillages de quartier poursuivie depuis le 13 novembre.

Le président français François Hollande a dit, « Salah Abdeslam était directement impliqué dans l’organisation et la perpétration de ces attaques... Bien que cette arrestation soit une étape importante, ce n’est pas la conclusion finale de cette histoire, parce qu’il y a eu des arrestations déjà. Et il en faudra plus parce que nous savons que le réseau était assez répandu, en Belgique, en France et dans d’autres pays d’Europe aussi. »

(Article paru d’abord en anglais le 21 mars 2016)

 

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