La campagne anti-russe sur les “fausses nouvelles” lancée à travers l’Europe

À la suite de l’élection présidentielle américaine du 8 novembre, des sections du Parti démocrate, des services de renseignement et des médias ont intensifié des allégations préélectorales non étayées selon lesquelles le gouvernement russe aurait piraté les serveurs de messagerie du Parti démocrate pour miner la campagne de Hillary Clinton.

Le but immédiat était de détourner l’attention du contenu des courriels divulgués, qui ont révélé une conspiration de la campagne de Clinton et du Comité national démocrate pour saper la candidature de son rival dans les primaires, Bernie Sanders.

Avec la victoire de Trump, la question des courriels divulgués est devenue le foyer d’une lutte féroce au sein de l’élite dirigeante sur la politique étrangère centrée sur la question de savoir dans quel ordre les États-Unis devraient intensifier agressivement leur offensive diplomatique, économique et militaire : d’abord contre la Russie ou contre la Chine. Plus fondamentalement, son objectif est de qualifier toute personne qui mettrait en question la politique étrangère comme « dupe » d’une puissance étrangère et ainsi justifier une censure encore plus radicale, surtout contre les médias sociaux.

Il en va de même pour la fabrication du scandale des fausses nouvelles en Europe. Les divisions au sein des États-Unis sur la politique étrangère se reflètent au sein des élites dirigeantes nationales du continent et entre elles. Cependant, ce sur quoi elles sont toutes d’accord, quelle que soit la tendance qui l’emportera, c’est que le programme du militarisme et de guerre exige les méthodes d’un État policier.

Tel est le contenu de la résolution adoptée par le Parlement européen le 23 novembre sur « la communication stratégique de l’UE pour contrer la propagande contre elle par des tiers. » L’objectif déclaré de cette résolution aux nombreuses implications est de lutter contre « des acteurs tiers visant à discréditer » l’Union européenne (UE) qui « ne partagent pas les mêmes valeurs [européennes]. »

La résolution définit ensuite les principaux « acteurs » que sont la Russie et Daech (l’État islamique) et c’est la Russie qui prend la plus grande place dans celle-ci.

Elle assimile la Russie à des « organisations terroristes et criminelles transnationales […] » qui « se sont engagées à plusieurs reprises dans une stratégie de tromperie délibérée et de désinformation, notamment dans les“nouveaux médias”, les réseaux sociaux et la sphère numérique […] ».

La résolution accuse la Russie de « guerre de l’information » et affirme qu’elle « emploie un large éventail d’outils et d’instruments » pour « défier les valeurs démocratiques, diviser l’Europe, rassembler le soutien interne et créer la perception des États défaillants dans le voisinage oriental de l’UE […] ».

La résolution cite spécifiquement les groupes de réflexion tels que Russkiy Mir, la chaîne de télévision RT, Sputnik, aux côtés de « trolls » et « groupes sociaux et religieux transfrontaliers […] ».

Aucune preuve n’est présentée pour étayer ces affirmations, et le contenu de la « désinformation » qu’elle allègue n’est jamais précisé. La « guerre de l’information » consiste en fait en tout reportage, qu’il soit vrai ou faux, qui porte atteinte aux intérêts de la bourgeoisie européenne.

Si « toutes les critiques à l’égard de l’UE ou de ses politiques ne constituent pas nécessairement une propagande ou une désinformation », la résolution déclare que « les cas de manipulation ou de soutien liés à des pays tiers et destinés à alimenter ou exacerber cette critique permettent de remettre en question la fiabilité de ces messages […] ».

C’est sur la base de telles fausses allégations que Julian Assange de WikiLeaks et Edward Snowden ont été forcés de se cacher et de s’exiler, accusés de trahison et menacés d’emprisonnement ou pire.

De manière tout aussi sinistre, la résolution de l’UE décide que la « guerre de l’information » est un acte de guerre non déclarée. Ces méthodes font « partie intégrante de la guerre hybride moderne, qui est une combinaison de mesures militaires et non militaires de nature secrète et ouverte, déployées pour déstabiliser la situation politique, économique et sociale du pays attaqué, sans une déclaration de guerre formelle », affirme la résolution, « visant non seulement les partenaires de l’UE, mais aussi l’UE elle-même, ses institutions et tous les États membres et les citoyens, quelle que soit leur nationalité et leur religion […] ».

L’affirmation selon laquelle la Russie serait engagée dans une guerre de fait contre l’UE, met la réalité à l’envers. Il ne fait aucun doute que Moscou s’engage dans la propagande contre des aspects de la politique de l’UE, mais ses actions ne sont qu’un pâle reflet de la campagne sans fin menée par les États-Unis et l’UE au cours de la dernière période.

Washington, en particulier, sert de plus grand fabricant de fausses nouvelles dans le monde, comme en témoignent les allégations criminelles alléguant que l’Irak avait des « armes de destruction massive » pour justifier une guerre préventive en 2003. Mais non loin derrière, se trouvent les puissances européennes, qui soutiennent la désinformation des États-Unis à propos de la guerre civile syrienne, qu’elles ont aidé à enflammer, dans le même but.

Le scandale des « fausses nouvelles » fait partie des efforts actifs et très avancés menés par les États-Unis pour déstabiliser la Russie et l’encercler militairement. Ce fut la secrétaire d’État adjointe américaine aux Affaires européennes et eurasiatiques, Victoria Nuland, qui a admis en 2014 que Washington avait dépensé 5 milliards de dollars pour assurer le changement de régime en Ukraine, juste après que les manifestations « euromaïdan » avaient réussi à forcer le départ du président pro-russe Viktor Ianoukovitch. Des représentants de l’Allemagne, de la Pologne et de la France ont effectué la bénédiction officielle sur son renversement au nom de l’UE.

La résolution a été adoptée juste deux semaines après l’annonce du plus grand déploiement de troupes de l’OTAN contre la Russie depuis la guerre froide. Sa « force d’intervention en place » est triplée à 40 000 hommes et des centaines de milliers de soldats ont été placés à des niveaux d’alerte plus élevés. Ce mois-ci, 4000 autres soldats de l’OTAN sont déployés le long de la frontière russe en violation du Traité de fondation Russie-OTAN de 1997.

La Pologne a été la plus agressive dans l’exigence de tels déploiements. Ce n’est pas un hasard si la résolution du Parlement européen a été préparée par la députée polonaise Anna Fotyga, ancienne ministre des Affaires étrangères et membre du Sous-comité du Parlement européen sur la sécurité et la défense (SEDE), aligné sur l’OTAN.

En déclarant la Russie engagée dans une guerre de facto contre l’UE, les partisans de la résolution cherchent à légitimer politiquement cette escalade massive des provocations de l’OTAN contre Moscou. Toute critique ou campagne contre le soutien européen à la guerre de l’OTAN doit être considérée comme l’œuvre de « trolls russes » ou de terroristes.

La résolution qualifie de « propagande hostile » tout ce qui a pour effet de « provoquer le doute, de diviser les États membres, d’organiser une fracture stratégique entre l’Union européenne et ses partenaires nord-américains et de paralyser le processus décisionnel, discréditant les institutions européennes et les partenariats transatlantiques […] ».

Le texte indique les facteurs sociaux et politiques qui poussent à l’autoritarisme. Il se plaint que « la crise financière et l’avancement des nouvelles formes de médias numériques ont posé de sérieux défis pour un journalisme de qualité, conduisant à une diminution de la pensée critique parmi le public, le rendant ainsi plus sensibles à la désinformation et à la manipulation ».

En d’autres termes, l’énorme fossé social qui existe entre les travailleurs en Europe et l’élite dirigeante à la suite de la crise financière de 2008 et de la politique d’austérité sans fin de l’UE signifie que la vaste majorité est hostile à l’establishment politique et à ses médias institutionnels, qu’elle considère comme une simple propagande pour les intérêts des super riches. Cette vision, que la résolution calomnie comme une « diminution de la pensée critique », rend la population beaucoup moins sensible aux efforts pour les embrigader dans le militarisme et la guerre.

Sur cette base, la résolution appelle à une intensification des efforts de l’UE et de l’OTAN pour combiner les forces, en particulier pour intensifier les « efforts de contre-espionnage visant à contrer » les prétendues « fausses nouvelles ». Daech-l’État islamique est également présenté ici sous l’angle de la justification d’une répression des médias sociaux et de nouvelles mesures contre le « discours haineux », qui n’est jamais défini.

La résolution a été adoptée par 304 voix contre 179, avec 208 abstentions. Cependant, l’avis minoritaire déposé contre la résolution n’a pas fait mention de la menace pour les droits démocratiques par l’escalade de la censure étatique. Ses objections portaient sur des plaintes selon lesquelles la Russie devrait être considérée par l’UE comme un allié au Moyen-Orient.

Alors que la résolution était débattue, la chancelière allemande Angela Merkel a déclaré au Bundestag que l’opinion publique était « manipulée » sur Internet et qu’il fallait la « réglementer ». Simultanément, il a été annoncé que Helsinki serait la « plaque tournante » pour un centre de recherche OTAN / UE sur la « guerre hybride » dirigé contre la Russie et l’ÉI, alors qu’en République tchèque un nouveau département du ministère de l’Intérieur a commencé ses opérations le 1er janvier, connu sous le nom du Centre contre le terrorisme et les menaces hybrides. Le secrétaire d’État aux Affaires européennes, Tomáš Prouza, a déclaré qu’il était dirigé contre la « propagande russe » visant à construire « des images négatives de l’Union européenne et de l’OTAN […] ».

(Article paru en anglais le 5 janvier 2017)

 

 

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