Sigmar Gabriel démissionne de son poste de secrétaire général du Parti social démocrate et renonce à briguer la chancellerie

L’annonce faite mercredi par le chef du Parti social-démocrate (SPD), Sigmar Gabriel, de ne pas participer aux prochaines élections législatives fédérales (Bundestagswahl) en tant que candidat à la chancellerie et de démissionner de son poste de président du SPD, a déclenché un débat politique houleux et suscité des spéculations au sein des milieux politiques allemands.

Depuis plusieurs mois, Gabriel, qui cumule la fonction de président du SPD et de ministre de l’économie, avait laissé en suspens sa décision, et ces dernières semaines il paraissait certain qu’il se porterait candidat à la chancellerie du SPD pour les élections de l’automne prochain. C’est pourquoi la surprise fut grande lorsqu’il annonça sa démission du groupe parlementaire du SPD en proposant que l’ancien président du Parlement européen, Martin Schulz, le remplace comme candidat du SPD afin de défier la chancelière sortante, Angela Merkel. Gabriel a aussi suggéré que Schulz prenne la tête du parti.

Les médias consacrèrent des émissions spéciales à cette « importante démission » en spéculant sur les éventuelles raisons personnelles à l’origine de cette démarche, par exemple vouloir consacrer plus de temps à la famille ou bien la frustration politique due aux mauvais résultats des sondages.

Un examen plus attentif montre toutefois qu’il s’agit plutôt d’un regroupement politique que d’une démission, et que cela est directement lié à l’accession de Donald Trump à la présidence américaine et au nationalisme qu’incarne sa politique de « l’Amérique d’abord ». Le SPD se réorganise dans le but d’assumer le rôle de redéfinir l’Europe conformément aux intérêts de l’impérialisme allemand.

Le WSWS écrivait hier : « L’arrivée au pouvoir de Donald Trump a suscité de vives réactions à Berlin. » La décision de Gabriel est liée à ces réactions. En novembre déjà, il avait demandé à Schulz de passer de l’Union européenne (UE) à la politique fédérale. Schulz a été systématiquement promu et célébré dans les médias comme étant un « grand Européen » – un homme qui a consolidé les pouvoirs du parlement de l’UE et qui était totalement dévoué à l’unification européenne.

En fait, la force de Schulz consistait essentiellement à travailler en étroite collaboration avec le commissaire conservateur de l’UE, Jean-Claude Juncker. Sous la direction de ce dernier, le Parlement européen était en mesure de débattre éternellement et de manière contradictoire mais à l’arrière-plan, Schulz et Juncker, dont les groupes social-démocrate et conservateur détenaient 54 pour cent des voix, préparaient minutieusement toutes les décisions en constituant les majorités.

Schulz a également fait la cour à la Merkel qui l’a décrit comme son social-démocrate favori. Il reste cependant à voir dans quelle mesure Schulz, en tant que candidat à la chancellerie, préconisera la poursuite de l’actuelle « grande coalition » – entre le SPD et les partis conservateurs (Union). Ceci dépend également en dernière analyse de l’issue des élections.

L’automne dernier, Gabriel avait proposé que le ministre des Affaires étrangères Frank-Walter Steinmeier (SPD) comme candidat au poste de président fédéral pour succéder à Joachim Gauck. Merkel avait accepté et il est considéré comme sûr que Steinmeier emménagera le 12 février au château de Bellevue, la résidence officielle du président allemand.

Désormais, Gabriel s’est proposé d’être le successeur de Steinmeier comme ministre des Affaires étrangères. Gabriel reste vice-chancelier et passe du ministère de l’économie au ministère des Affaires étrangères. Si le SPD restait au pouvoir après les élections avec l’appui d’un chancelier ou d’un vice-chancelier SPD et un président fédéral social-démocrate, Gabriel serait en mesure de mener la campagne visant à étendre la suprématie de l’Allemagne en Europe.

Juste avant qu’il n’annonce ses projets, Gabriel avait accordé de nombreuses entrevues à un certain nombre de journaux. Suite aux récentes menaces brandies par Trump, Gabriel avait réclamé une plus grande affirmation au niveau européen. Un entretien de ce type est apparu hier dans le journal économique Handelsblatt sous le titre « Il est temps maintenant de renforcer l’Europe ».

Le Handelsblatt rapporte que le vice-chancelier envisage un « changement radical de cap » au sein de l’UE. Au regard du « virage opéré aux États-Unis et du Brexit », Gabriel cherche à relancer l’UE : « Nous n’avons pas besoin de plus d’Europe, mais plutôt d’une Europe différente ». Il a ajouté que si tous les États n’ont pas envie de progresser au même rythme, alors il est temps de sérieusement réfléchir à une « Europe à deux vitesses ».

Une Europe à deux vitesses « permettrait également de réduire sensiblement les tensions au sein de l’Europe en renforçant considérablement le noyau européen », a dit le Handelsblatt en résumant les points de vue de Gabriel qui réagissait aux critiques croissantes émanant de la Grande-Bretagne et d’autres pays à l’égard de l’Europe. « L’UE, qui traite les questions de détail », a atteint ses limites. L’Europe ne devrait pas « continuer ce processus agonisant de constamment rechercher le plus petit dénominateur commun », mais devrait permettre d’autres choix. Pour Gabriel, cela inclut une politique étrangère et sécuritaire étroitement liée ainsi qu’une politique économique et financière commune.

Lundi, le candidat des Républicains à la présidence française, François Fillon, s’était exprimé à Berlin en faveur d’une relance de l’UE en proposant une alliance plus étroite avec la Russie. Gabriel attribue à l’Allemagne le rôle d’acteur clé dans la réorganisation du monde occidental. Il a cependant émis des doutes quant à l’aptitude de la chancelière à remplir cette tâche. L’Union (le partenaire du SPD au sein de la coalition fédérale) n’étant pas préparé pour faire face aux grands défis auxquels sont confrontés l’Allemagne et l’Europe.

La veille, le co-éditeur du Handelsblatt, Gabor Steingart, avait écrit : « L’heure de la réorientation de la politique étrangère a sonné ».

Gabriel partage cet avis. L’Allemagne et l’Europe ne devraient pas être intimidés par les « accents hautement nationalistes » émis par Trump, mais devraient « fermement » définir et défendre leurs propres intérêts, a-t-il dit le week-end dernier au journal Bild. L’Allemagne est « un pays fort » et l’Europe devra « fermement » définir et poursuivre ses propres intérêts. L’Allemagne est un « pays fort » et l’Europe « un continent fort qui doit être uni ». Si les États-Unis « démarrent une guerre commerciale avec la Chine et dans toute l’Asie, alors nous sommes un partenaire équitable », a-t-il ajouté. L’Allemagne et l’Europe auraient besoin d’une nouvelle stratégie à l’égard de la Chine et de l’Asie. Il y a de nouvelles opportunités, même si la Chine n’est pas un partenaire facile.

Ce ne serait pas la première fois qu’en période de bouleversements majeurs le SPD prend les choses en mains pour concrétiser les intérêts de l’impérialisme allemand. En 1969, le Parti libéral démocrate (FDP) qui jusque-là se positionnait à droite de l’échiquier politique, avait formé une coalition avec le SPD, et avait contribué à faire élire Willy Brandt chancelier après que l’orientation politique vers l’Est de ce dernier s’était à une forte opposition des partis conservateurs CDU et CSU. En plein milieu de la plus grande crise économique internationale d’après-guerre, la « politique vers l’Est » de Brandt (Ostpolitik) promettait d’ouvrir l’accès à de nouvelles sources d’énergie et de nouveaux marchés pour les exportations allemandes.

Et, une nouvelle fois en 1998, le gouvernement de Gerhard Schröder (SPD) qui remplaça celui du chancelier Helmut Kohl (CDU) après 16 ans au pouvoir, ouvrira la voie aux premières interventions à l’étranger de la Bundeswehr après la guerre et à l’adoption des lois antisociales tristement célèbres, les Lois Hartz.

(Article original paru le 26 janvier 2017)

 

 

 

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