Trump utilise la conférence de presse avec Theresa May pour affermir un programme anti-UE

Vendredi, lors de la conférence de presse commune, la première ministre britannique, Theresa May, a subi une humiliation publique de la part du président américain Donald Trump.

May est arrivée jeudi aux États-Unis et son gouvernement a saisi l’occasion pour fanfaronner qu’elle était la première dirigeante étrangère à se rendre à la Maison Blanche depuis l’investiture de Trump.

Le jour de son arrivée aux États-Unis, elle a pris la parole à Philadelphie devant les décideurs politiques républicains de haut rang en ne tarissant pas d’éloges à l’égard de la « relation spéciale » entre les États-Unis et la Grande-Bretagne et en s’engageant à faire tout le nécessaire pour la préserver.

Au cours du siècle dernier, le « fardeau » de la démocratie avait été partagé avec le Royaume-Uni et « le monde moderne défini » au cours de deux guerres mondiales et pendant la période de la guerre froide d’après 1945. Aujourd’hui, l’Europe de l’Est vit « dans la liberté et la paix » grâce à « Mme Thatcher et au président Reagan », a-t-elle conclu.

Le maintien de la relation spéciale, qui est ancrée dans l’alliance de l’OTAN emmenée par les États-Unis, est essentiel pour éviter que la Russie, la Chine et l’Inde n’« éclipsent l’Occident » a déclaré May.

Lors de ses négociations avec Trump, May avait été chargée par des factions concurrentes de l’élite dirigeante britannique de consolider la promesse d’un accord commercial américain afin de compenser l’impact de la sortie de la Grande-Bretagne de l’Union européenne d’ici deux ans. Mais, idéalement ceci devrait s’accompagner de la promesse d’un appui continu des États-Unis pour l’OTAN et d’une marche arrière de Trump sur l’éclatement de l’UE – de sorte que le Royaume-Uni puisse calmer la violente réaction de l’Allemagne et de la France en maintenant la possibilité d’un accès au marché en franchise de droits pour son plus grand partenaire commercial.

Le New York Times a parfaitement résumé la crise à laquelle est confrontée la classe dirigeante britannique en remarquant que « depuis le déclin de la Grande-Bretagne en tant que puissance mondiale durant les années qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale, la politique étrangère du pays était bâtie sur deux piliers. Il y a tout d’abord le partenariat américano-britannique qui a permis à la Grande-Bretagne d’affirmer sa présence et de sauvegarder ses intérêts dans le monde entier. Ensuite, il y a l’unité européenne qui est essentielle pour la prospérité économique de la Grande-Bretagne et la suppression des diversions vieilles de plusieurs siècles venant des conflits européens qui permet à la Grande-Bretagne d’agir sur la scène mondiale. »

Le Times a prévenu que « ces deux piliers pourraient maintenant s’écrouler », au vu de l’éclatement de l’Union européenne, du retour au premier plan des Russes et particulièrement des « menaces de M. Trump de s’éloigner de l’Europe. »

En dernière analyse, la forme de la conférence de presse a été déterminée non pas principalement par le déclin de la Grande-Bretagne en tant que puissance mondiale, mais par le conflit croissant entre les puissances impérialistes qui a trouvé son expression politique dans l’élévation de Trump et dans le programme autoproclamé de ce dernier de « l’Amérique d’abord » de guerre commerciale, de protectionnisme et de redoublement de l’agression militaire. C’est la lutte de plus en plus acharnée entre les États-Unis et leurs principaux rivaux, y compris l’Europe, pour le contrôle des marchés mondiaux et des ressources qui confère un tel caractère incendiaire à la politique mondiale – et qui se traduit par le discours intimidant de Trump.

May a débuté son allocution devant la presse en faisant de la surenchère de flatteries grotesques envers Trump. Alors qu’elle le félicitait pour « une victoire stupéfiante » à l’élection présidentielle, Trump souriait d’un air suffisant en adressant d’un air crâneur à quelqu’un de l’auditoire un signe d’approbation des louanges entendues.

Dans la foulée, elle dit aux médias que la reine avait offert d’honorer Trump lors d’un banquet officiel à Londres à l’occasion d’une visite d’État officielle plus tard cette année. Malgré son humiliation, May est manifestement repartie bredouilles quant aux trois sujets de préoccupation de la Grande-Bretagne.

En dépit des affirmations de vouloir être « franche » en évoquant les divergences de la Grande-Bretagne par rapport à certaines des déclarations antérieures faites par Trump et de ses vues politiques, May n’a rien fait de tel.

Tout ce qu’elle a pu dire au sujet des pourparlers sur le commerce, ce fut que « le président et moi-même avons mentionné une future coopération économique et commerciale ».

En ce qui concerne l’engagement américain envers l’OTAN, May, au moment de dire à la presse, « Monsieur le président, je pense que vous avez dit, vous avez confirmé, être cent pour cent derrière l’OTAN », s’est tournée nerveusement vers Trump qui au début du mois avait qualifié l’OTAN d’« obsolète ».

Trump n’a jamais appuyé l’affirmation de May et a évité de mentionner l’OTAN durant toute la conférence. Au lieu de cela, il a réitéré sa volonté de conclure un accord avec le président russe Vladimir Poutine – la question précisément qui fait paniquer les puissances européennes.

En essayant une nouvelle fois de s’attirer les bonnes grâces de Trump, qui s’était insurgé contre le fait que les États-Unis payaient les dépenses de défense de l’Europe, May a déclaré : « Pour une répartition plus équitable de ce fardeau, j’ai accepté d’encourager mes collègues européens à respecter leurs engagements de consacrer 2 pour cent de leur PIB à la défense. »

L’on peut se demander quels sont ces autres dirigeants européens ? La réalité est qu’après le vote du Brexit, l’influence du Royaume-Uni en Europe s’est effondrée et continue de diminuer de jour en jour, de sorte que May est systématiquement exclue de toutes les réunions à haut niveau des dirigeants de l’UE.

C’est à la rédactrice en chef du service politique de la BBC, Laura Kuenssberg, qu’il incomba de demander à Trump, durant la courte séance de questions, « Vous aviez dit auparavant que la torture fonctionnait, vous avez loué la Russie, vous avez dit vouloir interdire à certains musulmans de venir en Amérique, vous avez suggéré qu’il devrait y avoir une sanction pour l’avortement. »

« Pour un grand nombre de personnes en Grande-Bretagne, cela ressemble à des opinions alarmantes. Que dites-vous à nos téléspectateurs britanniques qui s’inquiètent de certains de vos points de vue et qui s’inquiètent de vous voir devenir le leader du monde libre ? »

La réalité de la « relation spéciale » a été résumée par la réponse hostile donnée par Trump lorsqu’il a dit en regardant May : « C’est la question que vous avez choisie ? Et voici ce qu’il advient de cette relation. »

Trump a ensuite réitéré sa défense de la torture et a dit vouloir l’appuyer peu importe les opinions de l’un ou l’autre des membres de son gouvernement. « J’ai l’impression qu’elle fonctionne. » May est restée silencieuse.

Le sujet fut poursuivi pendant qu’on posait à May une question au sujet du décret de Trump de construire un mur anti-immigration à la frontière entre les États-Unis et le Mexique. En faisant clairement savoir qu’il n’apprécierait pas des commentaires de la part de May, Trump a dit à la presse, à la place de May, qu’elle avait d’autres problèmes à régler.

Après que Trump a réitéré ses projets, May a dûment informé ses interlocuteurs que les relations entre les États-Unis et le Mexique étaient l’affaire exclusive des États-Unis et du Mexique. En revanche, quand il s’est agi de la sortie de la Grande-Bretagne de l’UE, Trump a pu dire ce qu’il voulait.

Pour le gouvernement Trump, la principale valeur d’une Grande-Bretagne « post-Brexit » ne réside pas dans le fait d’être un partenaire commercial mais une arme politique employée contre l’UE, et en premier lieu l’Allemagne, que Trump considère comme le principal rival économique des États-Unis. En mettant le Brexit entre parenthèses à l’aide de sa propre élection et en faisant allusion à une plus grande dislocation de l’UE, Trump a dit, « Le Brexit est un exemple de ce qui va arriver […] Je pense que le Brexit se révélera être quelque chose de fantastique pour le Royaume-Uni […] et pas un handicap. »

Il est allé jusqu’à confier aux médias qu’en privé il appelle l’UE « le consortium » en profitant de l’occasion pour se plaindre qu’elle l’avait une fois empêché de mener à bien une affaire commerciale.

(Article original paru le 28 janvier 2017)

 

 

 

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