A Davos, le president chinois Xi Jinping met en garde contre une guerre commerciale

Dans une attaque à peine voilée contre la politique de « l’Amérique d’abord » du président américain Donald Trump, le président chinois Xi Jinping a prononcé un discours au Forum économique mondial de Davos, en Suisse. Il a salué le libre-échange et mis en garde contre le danger d'une guerre commerciale.

Xi prenait la parole alors que les divisions s’intensifiaient à Washington sur les politiques de Trump et que la panique se répandait dans la classe dirigeante européenne suite à l’interview de Trump lundi applaudissant le Brexit et traitant l'UE de pion de l'Allemagne. Dans ce contexte explosif, de larges sections des médias européens ont salué le discours de Xi à Davos, le premier d'un président chinois, comme une défense de l'ordre international existant.

Le discours lui-même de Xi était remarquable surtout pour son pessimisme sur le capitalisme mondial. A peine un quart de siècle après que le régime stalinien chinois a restauré le capitalisme et ouvert la Chine au capital international, Xi a dû évoquer le sentiment de plus en plus répandu à travers le monde que le capitalisme fait faillite.

"Beaucoup de gens se demandent, qu’est-ce qui a mal tourné dans notre monde? », a déclaré Xi, qui a ajouté que la mondialisation capitaliste semblait de plus en plus être une « boîte de Pandore », qui, une fois ouverte, permet à des monstres de s'échapper et de faire des ravages.

Peu après la publication par Oxfam d’un rapport montrant que huit milliardaires possèdent plus de richesses que la moitié la plus pauvre de l'humanité, Xi a avoué que l'économie mondiale produit des niveaux « inquiétants » d'inégalité sociale.

Sans nommer Trump, Xi a précisé que cette crise économique et sociale provoquait un effondrement au centre du système politique mondial. Il a averti sans détour que les politiques protectionnistes proposées par Trump étaient vouées à l'échec et ne feraient qu'intensifier les conflits. « Personne ne sortira vainqueur d'une guerre commerciale », a-t-il déclaré. « Le protectionnisme, c'est comme se renfermer dans une pièce sombre: si le vent et la pluie ne peuvent pénétrer à l'extérieur, il en va de même avec la lumière et l'air ».

Critiquant la tentative de Trump de faire porter la responsabilité du déclin américain à la Chine, Xi a pointé du doigt les guerres, en grande partie attribuables aux puissances impérialistes : «Certains reprochent à la mondialisation le chaos de notre monde, mais ce n’est pas la mondialisation qui cause nos problèmes. Ils sont causés par la guerre et les conflits. »

Xi a promis que la Chine serait un rempart du libre-échange: « La Chine va garder sa porte grande ouverte et ne la fermera pas." Il a prédit que la Chine, un partenaire commercial clé des USA et de l'Europe, importerait huit billions de dollars de biens américains et ferait 750 milliards de dollars d’investissement étranger en 5 ans. Il a également plaidé pour un soutien au traité écologique de Paris, que Trump compte répudier.

L'émissaire de Trump, l'ex-financier et directeur du Bureau de liaison publique des États-Unis, Anthony Scaramucci, a simplement affirmé: «Le nouveau gouvernement ne veut pas de guerre commerciale.» Mais il a répété les déclarations de Trump, qui veut plus de «réciprocité» dans les relations commerciales avec les États-Unis, ainsi que ses appels pour modifier l'OTAN, fondée en 1949 : «Beaucoup de gens ont rénové leurs maisons, nous avons certainement changé nos garde-robes depuis les années 1940 ».

Les conférenciers et la presse ont évoqué les démarches de la Chine pour se positionner comme une puissance mondiale et le déclin de l’influence américaine.

Le secrétaire d'Etat sortant, John Kerry, a déclaré que la menace de Trump de répudier le traité iranien risquait de provoquer une réaction globale et d'isoler Washington. « Si les États-Unis décidaient soudainement que nous n'allions pas continuer sur cette route, » Kerry a dit, « je parie que nos amis et alliés qui ont négocié ce traité avec nous se rassembleraient, et la Russie, la Chine, l'Allemagne, la France et la Grande-Bretagne diraient: ‘C'est un bon accord, et nous allons le garder’. Et nous aurons fait un grand tort à nous-mêmes ».

L'ex-Premier ministre suédois Carl Bildt a déclaré: «Il y a un vide quand il s'agit de leadership économique mondial, et Xi Jinping vise clairement à le combler. Avec un certain succès. »

Selon Bob Moritz, de PriceWaterhouseCoopers, il « y a un grand point d'interrogation sur la façon dont la Chine pivote dans ce monde. Seront-ils plus régionaux ou mondiaux dans leur état d’ésprit, et plus important encore, dans leurs négociations? C'est quelque chose que nous devrons surveiller dans les 12 prochains mois. "

Plusieurs journalistes européens ont salué Xi. L’émission allemande Tagesschau l'a traité de « voix de la raison et pionnier du libre-échange», et ajouté que comme l'économie mondiale est confrontée « aux dangers d'une désintégration de la coopération mondiale, la voix de Xi est d'une importance particulière. »

Le journaliste de CNN Richard Quest a écrit: "C'est surréaliste. Un président chinois donne un discours auquel l'on pourrait s’attendre de la part d'un président américain."

Les préoccupations des milieux dirigeants américains et européens reflètent de vastes changements dans l'économie mondiale qui ont mûri pendant de nombreuses décennies. Le déclin à long terme du capitalisme américain, la dissolution de l'URSS par la bureaucratie soviétique en 1991 et la rivalité américaine avec la puissance économique croissante de la Chine et l'Allemagne réunifiée ont sapé l'ordre politique existant. De nombreuses institutions, de l'OTAN antisoviétique à l'Union européenne, formée en 1992 dans le cadre de cette alliance, sont déchirées par des contradictions internes.

Les contradictions centrales du capitalisme identifiées par les grands marxistes à l'époque de la Première et de la Seconde Guerre mondiale, entre l'économie mondiale et le système d'Etat-nation et entre la production socialisée et l'appropriation privée, se réaffirment explosivement. Comme le montrent les propos de Xi, les dirigeants des grandes puissances capitalistes sont bien conscients que ces conflits pourraient provoquer une guerre commerciale qui pourrait brusquement gripper l'économie mondiale et déclencher une guerre mondiale.

La réaction favorable en Europe au discours de Xi provient de l'inquiétude croissante sur les implications des politiques de Trump et ses déclarations faites lundi au Times de Londres et au Bild allemand. Dénonçant l'UE en tant que pion de Berlin, qu'il a attaqué pour avoir eu des relations commerciales prétendument injustes avec les États-Unis, Trump a salué le Brexit et a menacé d'imposer des droits de douane à de grandes sociétés allemandes. Il a aussi souligné qu'il voyait le Brexit comme une arme contre la structure existante du capitalisme européen.

L'interview a démontré que le protectionnisme de Trump vise non seulement la Chine, mais l'Europe et surtout l'Allemagne. Les tensions en Europe explosent sur le dossier du Brexit, et des débats intenses s’engagent au sein des élites dirigeantes européennes sur comment réagir.

Une possibilité qui émerge est une alliance plus étroite entre les puissances européennes continentales et le régime stalinien chinois. Toutes les grandes puissances européennes ont déjà rejoint la Banque asiatique d’investissement pour les infrastructures (AIIB) de Pékin, foulant aux pieds l'opposition américaine.

L'AIIB leur offre des opportunités lucratives de se joindre au projet ambitieux chinois, « One Belt-One Road »(OBOR- une région, une route) de construire un réseau d'infrastructures ferroviaires, portuaires, routières et énergétiques reliant l'Eurasie, de la Chine, la Russie et le Moyen-Orient jusqu'au aux marchés en Europe. Maintenant que des conflits entre le Trump et la Chine, ainsi qu’avec l'Europe, se dessinent, les vastes implications, non seulement économiques mais aussi géo-stratégiques et militaires de ces projets, émergent clairement.

« La Chine se tourne aussi de plus en plus vers les pays les plus riches, et notamment la France, pour restructurer la gouvernance mondiale dans la direction qu’elle souhaite, » a écrit le quotidien français Libération. «A Chaque nouvelle initiative chinoise, la question d’une participation éventuelle de la France – et des conditions de cette participation – se posera, comme elle s’est déjà posée lors du lancement de la AIIB il y a près de trois ans. Cette question est incontournable et mérite d’être anticipée. »

(Article paru en anglais le 18 janvier 2017)

 

 

 

 

 

 

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