La campagne présidentielle de Fillon face à l’effondrement

La campagne de François Fillon, candidat de droite des Républicains (LR), est sur le point de s’effondrer, les procureurs du parquet national financier (PNF) préparent un rapport d’enquête préliminaire dans le dossier de l’emploi fictif allégué de son épouse Pénélope comme assistante à l’Assemblée nationale.

Alors que la colère populaire monte sur des allégations largement documentées qu’elle a reçues environ 900 000 € pour n’avoir effectué pratiquement aucun travail, la possibilité d’un effondrement de la campagne d’un des deux partis traditionnels de gouvernement en France est très réelle. La réponse de Fillon, une conférence de presse où il a défendu la rémunération à six chiffres sa femme pour un travail que lui seul pouvait justifier, n’a servi qu’à exaspérer davantage les électeurs.

Vendredi, un sondage Odoxa a révélé que 70 pour cent de la population veut que Fillon retire sa candidature, et 79 pour cent n’ont pas été convaincus par sa conférence de presse. D’ailleurs, le soutien à Fillon s’effondre même dans sa propre circonscription : parmi les électeurs du LR, ces chiffres étaient respectivement de 53 et 61 %. Les trois quarts de la population, et 53 pour cent des électeurs LR, ont déclaré avoir une opinion négative de lui.

Les responsables locaux LR auraient refusé de rencontrer Fillon lors des rassemblements de campagne ou d’organiser ses déplacements à travers la France, et son personnel de campagne serait en crise profonde. Alors que Le Monde a écrit, « L’entourage politique du candidat ne vient plus au contact pour décrypter sa position sur les sujets d’actualité », le journaliste Olivier Mazerolle a dit que Fillon et ses partisans étaient désormais « démuni », face à la crise.

Cette situation pose à LR, et même toute la classe dirigeante, un dilemme. L’ex-président Nicolas Sarkozy est mis en examen pour ses finances de campagne de 2012, et l’ancien Premier ministre Alain Juppé, qui a été condamné pour corruption en 2004, refuse de se présenter comme candidat après sa défaite surprise dans les primaires LR l’an dernier. Fillon, qui a gagné les primaires LR en promettant de se retirer s’il était traîné devant les tribunaux, est maintenant confronté à une perspective réelle de poursuites judiciaires. Dans ce cas, il n’est pas clair qui serait le candidat LR si Fillon se retire.

L’effondrement de la candidature de Fillon – ainsi que la situation du président François Hollande qui traîne à 4 pour cent d’approbation dans les sondages, et que les fonctionnaires du PS ont partagé leur soutien entre le candidat du PS Benoît Hamon et l’ancien banquier d’investissement et ministre PS de l’économie Emmanuel Macron – fait partie d’une crise internationale du pouvoir bourgeois.

Le discrédit du bipartisme PS-LR, qui a régné sur la France depuis la grève générale de mai-juin 1968, intervient à la suite de l’élection de Donald Trump aux États-Unis et du discrédit de l’Union européenne comme en témoignent la crise de la dette grecque et le Brexit. Comme l’a montré l’élection de Trump, les certitudes de longue date de la politique bourgeoise se vaporisent, à mesure que les résultats des élections bouleversent à maintes reprises les agences de sondages.

L’année dernière, LR était bien parti pour être le vainqueur de la présidentielle en 2017, étant donné l’hostilité écrasante face au programme d’austérité et de guerre du Parti socialiste de François Hollande et l’impopularité encore massive du Front national néo-fasciste de Marine Le Pen. Cependant, à peine deux semaines après que l’hebdomadaire satirique Le Canard enchaîné a révélé le scandale Penelope Fillon, il semble maintenant que Fillon ne soit pas capable de survivre au premier tour des élections en avril.

Ce qui ressort de la crise de la campagne de Fillon, c’est avant tout la faillite de l’establishment politique français. Malgré le discrédit du principal candidat de droite, qui a réclamé une politique très à droite, une « thérapie de choc » profonde avec la suppression de 500 000 emplois dans le secteur public et l’élimination des dépenses de santé publique, ce n’est pas une flopée de candidats plus favorable à la classe ouvrière qui émerge.

Au milieu des protestations répandues contre Trump aux États-Unis et en Europe, ce qui émerge, c’est une profonde crise internationale du pouvoir bourgeois, avec des implications révolutionnaires.

Les électeurs de Fillon devraient réagir à un retrait de leur candidat en partageant leurs voix entre le FN et les candidats soutenus par le PS. Les deux options produiraient un approfondissement de cette austérité détestée, des guerres, et des politiques d’État-policier déjà entamées à la fois par le PS et LR. Cependant, aucun des partis, que ce soit le PS, le LR ou le FN, n’aurait de légitimité politique pour poursuivre ce programme réactionnaire. Tous seraient confrontés à une opposition sociale explosive.

Malgré les spéculations croissantes de la presse sur l’impact d’un effondrement de la campagne de Fillon, il n’y a aucune certitude sur qui récupérerait les électeurs de Fillon s’il devait se retirer.

Le bénéficiaire le plus en vue lié au PS, Macron, est largement considéré comme un candidat faible. Il n’a que 39 ans, n’a jamais été élu à une fonction officielle et n’est en tête des sondages qu’en raison d’une couverture médiatique favorable de son programme pro-entreprises, pro-UE et pro-OTAN, qu’il n’a pas encore publié. C’est un ancien banquier d’affaires, conseiller de l’ impopulaire gouvernement Hollande et auteur d’un projet de loi de déréglementation économique tout aussi impopulaire, le Pacte de responsabilité, imposé par le PS en 2015.

Un signe de l’incertitude à l’égard de Macron est que Le Monde a spéculé que le politicien de droite François Bayrou, une des rares exceptions à droite à ne pas s’être rallié au prédécesseur du LR, l’Union pour la majorité populaire (UMP), en 2002 pour rassembler la droite derrière Jacques Chirac, pourrait soudainement se porter candidat. Le Monde a écrit que « quelque chose pousse encore François Bayrou à tenter sa chance à l’élection présidentielle. Fillon pourrait être mis en examen, la « bulle » Macron pourrait éclater. La gauche, elle, restera en miettes. C’est maintenant ou jamais, pense-t-il. »

Avec Macron stagnant ou même en baisse dans les sondages, à environ 21 pour cent, il semble que Le Pen, la favorite pour la première place au premier tour de l’élection, soit actuellement le principal bénéficiaire de l’effondrement de Fillon. On rapporte maintenant qu’après le premier tour de l’élection présidentielle, elle pourrait recueillir jusqu’à 10 pour cent des suffrages de plus que le second, bien que cela ne la place toujours qu’à 36 pour cent et donc en échec pour remporter le deuxième tour.

Dans un article inquiet intitulé « L’élection française est devenue Marine Le Pen contre un establishment français qui s’effondre », la revue britannique de droite The Spectator a écrit, « le Brexit et Trump ont créé le sentiment que l’impensable est possible, ce qui pourrait affaiblir davantage le tabou de voter pour elle […] peu de gens excluent maintenant complètement une victoire de Le Pen, et si la campagne de Macron se heurte à de sérieux problèmes, tout est possible. Chaque nouveau scandale ou incident terroriste fait son jeu. »

Le Pen est pourtant indissociable de son approbation pour Trump, qui est profondément impopulaire en France, et l’opposition constante des deux tiers de la population au FN, héritier du fascisme du XXᵉ siècle. En examinant dans son même article les conséquences potentielles d’une victoire de Le Pen, qui a à plusieurs reprises promis de sortir de l’Union européenne et de l’euro, The Spectator prévoyait sombrement l’éruption d’une énorme crise politique en France et en Europe.

« Si elle devait remporter la présidence », a-t-il écrit, « la France serait confrontée à une crise de premier ordre, la pire depuis un démi-siècle. Il y aurait certainement des grèves et manifestations violentes par ceux qui se verraient comme les défenseurs de la République contre le fascisme. De quelle manière elle serait capable de nommer un gouvernement viable ou obtenir une majorité à l’Assemblée nationale, cela reste incertain. On pourrait être le témoin d’un conflit entre la présidence de la Vᵉ République, qui a des pouvoirs importants, et l’Assemblée nationale sous un système constitutionel qu’un critique libéral a décrit comme dangéreux même dans les mains d’un saint. Les conséquences pour l’euro, l’UE, la sécurité occidentale et les relations de la Grande-Bretagne avec l’un de ses alliés les plus proches seraient terribles. »

(Article paru en anglais le 14 février 2017)

 

 

 

 

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