Jörg Baberowski engage des poursuites judiciaires contre l’organisation des étudiants de Brême

Mercredi 25 janvier, le Comité général des étudiants (Asta, Allgemeiner Studierendenausschuss) de l’université de Brême en Allemagne, qui représente l’organe suprême des étudiants à l’université, a annoncé que Jörg Baberowski avait intenté une action en justice contre les étudiants de l’université. Le professeur de droite du Département d’histoire de l’Europe de l’orientale à l’université Humboldt de Berlin cherche ainsi à museler les critiques contre ses positions réactionnaires.

Le site web de la représentation des étudiants a fait savoir que le « Le tribunal de grande instance de Cologne a adressé une injonction contre les étudiants de Brême. » « Et donc, pour le moment, nous ne pouvons pas faire certaines déclarations critiques concernant le plaignant Jörg Baberowski. L’Asta a formé opposition contre cette décision ; la procédure est encore en cours en première instance. »

En octobre 2016, l’Asta, la représentation des étudiants, avait publié un tract dans lequel elle avait cité et politiquement évalué les déclarations faites par Baberowski au sujet de la politique des réfugiés et de la lutte contre le terrorisme. Baberowski tente maintenant de faire interdire ces deux actions par le tribunal. En affirmant avoir été cité de manière fallacieuse et calomnieuse, il veut empêcher que les étudiants continuent à le citer en donnant leur avis sur ses citations.

L’Asta avait rédigé le tract à l’occasion d’une réunion à laquelle Baberowski était convié comme orateur et qui fut organisée par la Fondation Konrad Adenauer (KAS), en coopération avec la fédération des étudiants chrétiens-démocrates (RCDS) de l’Université de Brême. Les étudiants avaient lancé un appel pour des protestations pacifiques. En réaction, la direction de l’université avait déclaré s’attendre à ce que les organisateurs « acceptent que le débat soit ouvert et que l’Asta puisse formuler ses critiques qui sont tout de même substantielles à l’adresse de l’orateur. »

Visiblement, Baberowski n’était pas disposé à accepter ces termes. La réunion fut transférée dans les locaux de la Fondation Konrad Adenauer et deux dizaines de policiers furent déployés pour le protéger des étudiants critiques. Baberowski a fait appel au cabinet d’avocats Schertz Bergmann de Berlin pour contraindre les étudiants à retirer de leur site Web leur dépliant ainsi qu’un communiqué de presse ultérieur.

Simultanément, divers blogs et sites web de droite et d’extrême droite ont abordé cette question en reprochant aux étudiants de Brême de faire du « terrorisme intellectuel » et de procéder à une « mise sous tutelle intellectuelle ». « Nous avons donc reçu des dizaines de lettres d’extrémistes de droite qui nous ont insultés et en partie menacés », a déclaré Irina de l’Asta. Finalement, la lettre du cabinet des avocats est arrivée.

Baberowski se sert de l’action en justice contre les étudiants à Brême comme point de départ pour s’en prendre aussi à d’autres critiques. Pour avoir cité l’Asta de l’université de Brême dans un article, Christoph Vandreier, le porte-parole de l’IYSSE (International Youth and Students for Social Equality, Étudiants et jeunes internationalistes pour l’égalité sociale) en Allemagne et un éminent critique (article en allemand) de Baberowski a déjà reçu une lettre d’avocat lui demandant de s’abstenir de le critiquer.

Alors même que la brochure a été distribuée à l’université de Brême et que Baberowski vit et travaille à Berlin, Baberowski a déposé sa demande contre l’Asta devant le tribunal de première instance de Cologne qui, selon le magazine d’information Der Spiegel, « passe entre les journalistes pour être la plus sévère du pays. »

Il est hautement improbable qu’un autre tribunal aurait délivré cette injonction, car les raisons sur lesquelles Baberowski fonde sa requête adressée au tribunal, et dont le WSWS est en possession, ne peuvent être qualifiées que de scandaleuses. Baberowski veut de fait interdire aux étudiants de le citer et d’émettre leur opinion sur ces citations. Baberowski, exige par exemple que la citation tirée d’un débat qui eut lieu au Musée historique Allemand (Deutsches Historisches Museum-DHM) de Berlin sous le titre « L’Allemagne force d’intervention » ne soit reproduite que dans son intégralité :

« Et si l’on ne veut pas prendre des otages, brûler des villages, pendre les gens et semer la peur et la terreur, comme le font les terroristes, si l’on n’est pas prêt à faire de telles choses, alors on ne pourra jamais gagner ce genre de conflit et il vaut mieux rester complètement en dehors. Donc : oui, bien sûr, l’Allemagne devrait jouer un tel rôle et il est important que l’Allemagne en accepte la responsabilité, surtout dans les conflits qui la touchent. Mais il faut prendre en considération (a) pour quel genre de guerre on est prêt, et (b) si l’on peut la gagner. Et si l’on ne peut pas la gagner, alors on devrait la laisser tomber. Voilà mon opinion sur la question ».

Les étudiants de Brême se voient également interdits de dire qu’il s’agit là de « thèses d’une brutalité choquante ». Lors de l’émission-débat « Maybritt Illner » en mai dernier, Baberowski avait indirectement accusé de calomnie le président du parti de Verts allemands, Cem Özdemir, après que ce dernier l’ait confronté à sa propre déclaration (en allemand). Dans la motivation de sa demande d’injonction, son avocat affirme maintenant que dans la citation en question, Baberowski avait conseillé « de ne pas se laisser entraîner dans une confrontation militaire avec des terroristes aussi inhumains, précisément parce que l’on ne peut pas et l’on ne doit pas rendre coup pour coup. »

C’est faux, et cela se déduit de la phrase citée elle-même. Baberowski n’a pas dit qu’il valait mieux s’abstenir de telles interventions parce qu’elles ne peuvent être victorieuses que grâce à des méthodes de guerre d’extermination. Il a dit au contraire qu’il valait mieux s’abstenir si l’on n’était pas prêt à recourir à de telles méthodes inhumaines. Ce qui est manifestement une présentation bien différente de celle avancée par l’avocat de Baberowski.

Il découle de la citation mentionnée ci-dessus que Baberowski se prononce bien en faveur de guerres contre les terroristes, notamment lorsqu’elles peuvent être gagnées. Il n’en a pas laissé le moindre doute à ce sujet au Musée historique allemand. Il avait notamment dit : « Dans le cas d’une institution comme l’ÉI, l’armée est en mesure d’en venir rapidement à bout par des frappes qui la décapitent. Ce n’est pas un problème. Les Américains peuvent résoudre ce problème. On peut faire liquider les dirigeants de cette bande par des commandos de tueurs. Ce n’est pas un problème. C’est faisable. »

Mais, si « les structures de l’État ont été totalement détruites par une longue guerre civile », alors il faut « être conscient que cela va coûter très cher et il faudra envoyer des soldats et des armes dans un vide de pouvoir », a poursuivi Baberowski. La chose la plus importante est toutefois d’« avoir la volonté politique et la stratégie politique, mais avant tout, vous devez vous dire que pour que cela fonctionne, il faut y aller. Et ça doit en valoir la peine. Cela coûte de l’argent. Nous devons y envoyer des troupes. Des pays comme l’Irak, la Syrie et la Libye ne sont plus capables de résoudre eux-mêmes ce problème. »

Baberowski a depuis tenu des propos semblables. Ainsi, le 25 novembre 2015, dans le journal Esslinger Zeitung, il avait demandé que les terroristes soient combattus par leurs propres méthodes, en déclarant : « Œil pour œil, dent pour dent ». À propos des attentats terroristes en France il avait dit, « Je pense que c’était une grave erreur que Mme Merkel dise aux Français, “nous pleurons avec vous.” Quiconque réagit ainsi sera méprisé par les terroristes, pris pour une mauviette. »

Puis, en janvier de l’année dernière, lors d’un entretien accordé au magazine allemand Ciceron, lui demandant explicitement ce qu’il pensait de la phrase : « Le terrorisme ne peut pas être combattu par la guerre. » Baberowski répondit : « La phrase est fausse. Si des terroristes comme les djihadistes actuels de l'"État islamique » ont déclaré la guerre, alors la guerre existe dans le monde. Je ne peux pas mettre fin à la guerre en niant son existence. Vous ne faites face au terrorisme que par des moyens violents. »

De telles déclarations de la part de Baberowski sont tout aussi claires que la citation faite lors de son apparition au Musée historique allemand. La tentative d’interdire aux élèves de le citer et de le critiquer constitue donc une atteinte fondamentale à la liberté d’expression. Tout en battant le tambour pour la guerre, Baberowski veut faire taire ses critiques en les poursuivant en justice.

Un idéologue de droite notoire

Bien que Baberowski aime se présenter comme un professeur respectable, il est en réalité un idéologue de droite. Rare sont les universitaires à s’exprimer autant et aussi souvent publiquement sur des questions politiques. Il apparaît régulièrement dans des talk-shows, il accorde des entretiens et écrit des articles pour promouvoir des positions qui sont courantes dans les cercles de l’extrême-droite et de l’ultra-droite. Il est maintenant un chroniqueur régulier du journal Basler Zeitung (BAZ) qui est influencé par l’extrémiste de droite suisse Christoph Blocher.

Dans un grand nombre d’articles, il a attaqué la politique de la chancelière allemande à l’égard des réfugiés en l’accusant de violer la loi. Il a affirmé que les réfugiés sont pour la plupart « un fardeau et non un enrichissement » (Basler Zeitung, 07/01/2016) en disant : « L’intégration de plusieurs millions de personnes en très peu de temps perturbe la tradition historique qui est la nôtre et qui assure la stabilité et la cohérence d’une société. » (Basler Zeitung, 14/9/2015)

À l’instar d’autres représentants de l’extrême-droite, Baberowski s’emporte contre la « dictature du politiquement correct » et attaque les « gardiens du temple des vertus ». Dans un article paru sous le titre « Contre la culture du politiquement correct » dans l’édition du 25 novembre 2016 du Basler Zeitung, il a défendu la victoire électorale de Donald Trump par les mots suivants : « Je voulais que mon vote compte, c’est ainsi qu’un citoyen américain a justifié sa décision de voter Trump. N’est-ce pas ce que nous voulons tous ? Alors nous devons aussi le concéder à tout le monde. »

Dans ses travaux universitaires, Baberowski plaide depuis longtemps en faveur de positions marquées à droite. Pendant ses années d’études, il avait déjà pris fait et cause pour l’apologiste des nazis Ernst Nolte lors de la querelle des historiens (Historikerstreit) pendant laquelle Nolte avait décrit l’Holocauste comme une étant une réaction compréhensible à la violence du stalinisme. En février 2014, le magazine de référence allemand Der Spiegel avait présenté Baberowski comme le témoin principal de la réhabilitation de Nolte en le citant comme suit : « Hitler n’était pas un psychopathe, il n’était pas cruel. Il ne voulait pas que les gens parlent de l’extermination des Juifs à sa table. » (Der Spiegel, 07/02/2014)

Dans ses propres écrits, Baberowski va bien plus loin que Nolte lors de la querelle des historiens. L’on peut trouver des formulations niant que les nazis avaient mené une guerre d’extermination planifiée à l’Est en présentant le meurtre de millions de personnes comme une réaction à la résistance de l’Armée rouge. « Les soldats de Hitler n’ont pas mené une guerre idéologique. Ils se sont trouvés piégés dans une guerre qui avait sa propre dynamique inéluctable », avait-il déclaré dans son livre Terre brûlée [Verbrannte Erde], niant ainsi à la fois la planification de ces meurtres de masse et leur dimension antisémite. Cinq ans plus tôt, il écrivait : « Staline et ses généraux ont imposé une guerre d’un nouveau type à la Wehrmacht, qui n’a plus épargné la population civile. »

Tout en qualifiant l’Allemagne de « terre des gardiens du temple des vertus et des sujets », où quiconque poursuit des idéaux différents est « renvoyé dans l’Allemagne sombre » [sombre chapitre de l’histoire allemande] (BAZ, 07.01.2016), Baberowski s’en prend agressivement à ceux qui critiquent ses propres positions de droite. Début 2014 déjà, à l’occasion d’un colloque avec Robert Service, le biographe discrédité de Léon Trotsky, il avait exclu des professeurs et des étudiants critiques à son égard. Lorsque des étudiants, membres de l’IYSSE, distribuèrent aux étudiants de l’université Humboldt des tracts traitant de ses points de vue de droite, il fit appel à la direction de l’université pour faire interdire à l’IYSSE l’accès aux locaux de l’université. Lorsque l’YSSE organisa néanmoins de grandes réunions, il s’adressa à la presse pour demander que l’IYSSE soit expulsé de l’université. À présent il va jusqu’à engager des poursuites judiciaires contre toute critique indésirable.

Les idéologues de droite sont bien connus pour recourir à de tels procédés. À la moindre critique, ils se présentent comme victimes de diffamation et de la dictature de l’opinion, pour ensuite poursuivre leurs critiques d’autant plus impitoyablement dans le but de les faire taire.

Durant l’Historikerstreit des années 1980, la principale ligne de défense de Nolte avait été d’insinuer que ses critiques le diffamaient. Les accusations allaient de la « recherche bâclée et de citations fabriquées » (Michael Stürmer) à des « citations dénaturées » (Klaus Hildebrand). Nolte lui-même avait insisté sur l’idée qu’il n’aurait pas été correctement cité.

Lorsque Deborah Lipstadt cita dans son ouvrage intitulé Denying the Holocaust, David Irving, le négationniste de l’Holocauste, en indiquant qu’il est un défenseur de Hitler, celui-ci s’efforça tout d’abord d’empêcher la vente du livre puis de la poursuivre en justice pour diffamation. Il perdit le procès. À présent, Baberowski utilise des méthodes tout à fait identiques pour intimider les étudiants qui le critiquent.

Pour la défense des étudiants de Brême

Le fait que Baberowski ose agir de manière aussi agressive en intentant un procès contre l’organe suprême des étudiants de l’université de Brême est lié à des changements fondamentaux intervenus au sein de la société. La présidence Trump a déplacé l’axe de l’establishment politique vers la droite. En Allemagne aussi, la xénophobie, le nationalisme et le militarisme font de nouveau partie de la politique officielle.

La défense de la représentation des étudiant de Brême revêt donc une importance capitale. L’enjeu n’est rien de moins que la défense du droit de démasquer et de critiquer des positions réactionnaires, nationalistes et militaristes. Si les tentatives de censure d’un idéologue de droite chevronné comme Baberowski étaient couronnées de succès, cela signifierait la criminalisation de toute opposition à un virage vers la droite.

Nous en appelons donc aux élèves, aux étudiants, aux Astas, aux enseignants et surtout aux travailleurs pour soutenir la représentation des étudiants de Brême. Envoyez des lettres de solidarité à l’Asta Bremen University, et une copie à l’iysse@gleichheit.de .

(Article original paru le 7 février 2017)

 

 

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